1940s bedroom scene with a nude woman lying on bed. u.s.A
© Richard Tuschman Millennium Plainpicture

Vieillir et mûrir de plaisir

Invisibilisées socialement, les quinquas et plus seraient aussi priées de remballer leur libido. Mais, pour beaucoup, entre réconciliation avec son corps, libération de l’esprit et réinvention de sa sexualité, les matelas n’ont pas fini de grincer.

Elle a les yeux qui pétillent tellement qu’ils pourraient remplacer une boule à facettes sur un dance-floor. Elle a l’air de la gamine qui vient de gagner le gros lot à la kermesse. Après plusieurs années de veuvage, Marion, une des héroïnes du documentaire Les Dames *, au cinéma en novembre, vient de retrouver l’amour et une vie sexuelle dans les bras d’Alain. « C’est explosif », décrit-elle, comme étonnée de découvrir qu’une telle flamme n’atten­dait que d’être ravivée en elle. Voilà : à plus de 70 ans, Marion plaît, Marion aime et… Marion fait l’amour. De quoi désappointer ce brave Yann Moix, qui, l’an passé, déclarait ­tranquillement dans une interview à Marie-Claire : « Je suis incapable d’aimer une femme de 50 ans. » Avant d’enfoncer le clou quelques lignes plus loin : « Le corps d’une femme de 50 ans n’est pas ­extraordinaire du tout. »

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Sans Moix !

Yann Moix ? Mieux vaut ne pas en parler à Catherine Grangeard, autrice d’Il n’y a pas d’âge pour jouir. Quand elle parle de lui, elle dit « Monsieur Moi », en prenant soin de ne pas prononcer le « x », ce qui, dans la bouche d’une psychanalyste, n’est évidemment pas anodin. « Sur mon divan, j’ai des femmes qui ont souffert de ces propos. Elles se sont senties blessées, humiliées », rapporte-t-elle. Dans l’inter­view de Moix, une autre phrase, moins relevée, est néanmoins tout aussi instructive : « Elles sont invisibles », dit-il, lapidaire, de ces femmes de 50 ans et plus. De fait, « des siècles de patriarcat construisent un ­environnement dont on ne peut se défaire en un demi-siècle de féminisme », résume Catherine Grangeard. À savoir : après 50 ans, une femme est bonne à être mise au rancart… plus qu’à courir les rancards. Une croyance qui tient aussi « à l’adéquation entre l’acte sexuel et la procréation », estime la psychanalyste. Et si bien ancrée qu’elle infuse même dans l’esprit des principales intéressées. « La plupart de mes congénères, elles sont comme moi. Elles disent : “On est transparentes, plus personne ne nous regarde” », souligne Noëlle, un autre personnage du documentaire Les Dames. Et de conclure en soupirant : « Nous ne sommes pas des Sharon Stone… »

« On voit quelque chose dans le miroir qui ne correspond pas à ce que la société veut voir. Dans le regard de l’autre, on devient vieille alors qu’on se sent toujours jeune dans sa tête », poursuit-elle. « Il faut se réapproprier son corps »

Viedequinqua, créatrice éponyme du compte Instagram

Et pourtant, à l’instar de Marion, la ­septuagénaire, elles sont un certain nombre à évoquer une sexualité renouvelée. Pas forcément dans la seconde, car il y a, d’abord, le cap de la ménopause à digérer. « Un tsunami, souffle Sophie, créatrice du passionnant compte Instagram Ménopause Stories. Mon corps a commencé à m’échapper, la cellulite à s’installer, les traits à s’affaisser. » Viedequinqua, créatrice éponyme du compte Instagram, évoque la prise de poids, les bouffées de chaleur, la baisse de la libido. Catherine Grangeard le reconnaît elle-même : quand les premières rides sont apparues, elle n’a pas « sauté de joie ». « On voit quelque chose dans le miroir qui ne correspond pas à ce que la société veut voir. Dans le regard de l’autre, on devient vieille alors qu’on se sent toujours jeune dans sa tête », poursuit-elle. « Il faut se réapproprier son corps », résume Viedequinqua. Et c’est alors que, après le combat, vient le temps de l’apaisement. Oui, la ménopause arrive avec son lot de désagréments, mais elle sonne aussi la fin de la contraception. Florence a ressenti cette légèreté. Finie « l’organisation » pour éviter une grossesse non désirée. « Avec la ménopause, la question était réglée. »

Libérée, délivrée 

Dans la bouche de beaucoup de femmes que nous avons interviewées revient le mot « libération ». « On n’est plus dans les couches, on récolte ce qu’on a semé », résume Lola, 50 ans. « À 30 ans, c’est le temps de la famille. À 40, celui du boulot. Les 50 laissent plus d’espace à la rêverie et à soi-même, détaille Viedequinqua. On a envie de bouffer l’existence à pleines dents parce qu’on a aussi conscience d’une forme de finitude : il faut vivre avec intensité. » 

115 halte au jeunisme © Jooney Woodward
© Jooney Woodward

Catherine Grangeard tempère : toutes ne sont pas en mesure de s’affranchir ainsi des normes qui ont pesé sur elles pendant des décennies. Et, selon les femmes, ce sentiment de libération va être ressenti dans des champs différents. Pour l’une, ce sera le départ des enfants de la maison et la possibilité de penser à soi. Pour l’autre, la retraite qui se profile. Pour une troisième, une aventure sentimentale qui débute… Oui, on peut être plus libre avec l’âge parce que les injonctions engrangées une vie durant sur ce qu’est être femme nous sortent enfin de l’esprit… « On s’affranchit de ce regard interne, ce surmoi cruel. Plus on va vers l’autonomie, l’empowerment de sa personne, plus on va avancer dans des domaines jusque-là en retrait », conclut Catherine Grangeard. 

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Ce sont donc autant de cases du cerveau qui se libèrent, laissant la place pour d’autres possibles. Notamment la réconciliation avec son corps. « Il n’a plus qu’une seule fonction, être lui-même », explique Sophie. Et c’est comme si on lui accordait enfin l’indulgence et la reconnaissance qu’on avait eu du mal à lui témoigner pendant toutes ces années. Pour Lola, le toucher-massage a aidé à cet apaisement. Sophie, elle, s’est observée davantage, photographiée, regardée en somme. « C’est peut-être le moment où on peut commencer à aimer vraiment son corps, estime-t-elle. On se dit : “Il a fait tout ça, il a vécu tout ça”. Alors tu le remercies, tu le magnifies. Et de cette jouissance en découlent d’autres. »

Délices au lit

Et notamment sur le plan sexuel. Anne-Françoise l’a constaté. La quinquagénaire le dit tout de go : « Entre 17 et 40 ans, j’ai dû jouir deux ou trois fois. » Depuis quelques années, ce n’est plus la même histoire. Avec un nouveau compagnon depuis deux ans et demi, elle dit « s’éclater » au lit. Avec l’âge, la couverture vole, les tabous aussi. Sous l’impulsion de son nouveau conjoint, elle a découvert le spanking [l’art de la fessée, ndlr] et ne s’interdit pas la possibilité d’un plan à plusieurs. « Avec l’âge, je crois qu’on a davantage la maturité et la sérénité d’essayer », estime-t-elle. 

En couple depuis trente ans, Lola a, elle, franchi le cap de la sodomie, qu’elle avait longtemps refusée. « Quand on est ensemble depuis plusieurs décennies, si on n’innove pas, on risque de s’ennuyer ou d’aller voir ailleurs », argue-t-elle. Mais avec les années, elle s’est aussi sentie capable de lever ses propres interdits, de s’interroger : « Qu’est-ce qui fait que tu ne vas pas vers ça et qu’est-ce que tu perdrais à y aller ? » Une façon peut-être aussi de rejeter au loin la phrase prononcée par sa mère quand, à l’adolescence, elle lui a demandé de prendre un contraceptif : « Ma fille, il faut que je te dise une chose : une femme n’a pas de plaisir. » Une sentence définitive qui ferait bien rigoler Florence. À la cinquantaine, elle quitte son mari et rencontre, plus tard, un homme avec lequel elle se découvre femme fontaine. « On peut faire l’amour pendant des heures. Et puis ça apporte une sacrée confiance en soi de se découvrir de nouvelles compétences… », s’extasie-t-elle. 

« Le sexe prend une dimension plus douce, plus profonde aussi. Une sorte de “sexualité de pleine conscience” en fait »

Sophie, créatrice du compte Instagram Ménopause Stories

Si Catherine Grangeard note qu’un certain nombre de femmes disent mieux faire l’amour avec l’âge, elle souligne aussi, en face, des partenaires masculins qui, a contrario, sont moins vaillants. Florence n’en prend pas ombrage. Oui, les hommes ont des pannes. Mais cela peut en amener certains, « s’ils s’intéressent au plaisir de leur partenaire, à faire preuve de plus d’imagination. Personnellement, je jouis et squirte [le squirt est l’écoulement abondant de fluide] beaucoup plus et fort sans pénétration. Des doigts et une langue sont beaucoup plus efficaces qu’un pénis ! ».

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Une sexualité plus mûre, c’est aussi une sexualité qui sort des injonctions de performance. Affirmer ce qu’on veut d’accord, mais sans se sentir forcément obligée de produire sa propre édition corrigée du Kama-sutra. Du côté de Lola, le rire s’est invité dans la chambre à coucher. Pour Sophie, c’est le corps qui a appelé à rebattre les cartes de la sexualité : « Avec la sécheresse vaginale, il faut apprendre à se rouvrir. Le corps a été choqué. Cela ne peut donc pas passer par la performance. Le sexe prend une dimension plus douce, plus profonde aussi. Une sorte de “sexualité de pleine conscience” en fait. On parle plus, il y a davantage de tendresse », énumère-t-elle.

115 halte au jeunisme editions larousse
Il n’y a pas d’âge pour jouir,
de Catherine Grangeard.
Éd. Larousse, 250 pages, 15,95 euros.

Catherine Grangeard rappelle des chiffres qui vont dans ce sens : « À 20 ans, il faut quelques secondes pour sécréter de la cyprine. À 50 ans, on est plus proche des deux minutes. Cela incite à prendre le temps, à ne plus être “aux pièces”. » Pour résumer les choses, Sophie convoque la métaphore pâtissière : « Plutôt que se jeter dessus, c’est comme si on prenait le temps de déguster un gâteau pour en apprécier tous les goûts. » Et si, avec sa phrase absconse, Yann Moix s’était bêtement privé lui-même de dessert ?

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