Fabienne Lacoude : « Mères, vous êtes légi­times dans vos choix, vos vies, vos colères »

Fondatrice de MILF*, média consacré aux parentalités féministes, la journaliste Fabienne Lacoude sort son premier livre, Daronne et féministe. Un essai pratique qui parle aussi bien grossesse, post-partum que charge mentale… et fait du quotidien des mères un sujet éminemment politique.

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Fabienne Lacoude ©F.B.

Causette : Votre ouvrage est sous-titré Quand la maternité rend féministe. Vous-même, vous dites avoir accouché de votre enfant et de votre féminisme le même jour. Comment s’est opérée cette prise conscience?
Fabienne Lacoude : Mon accouchement m’a donné un sentiment de puissance que je n’avais jamais ressenti auparavant, et qui s’est ancré durablement en moi. Je ne voudrais surtout pas laisser entendre qu’une femme doit absolument devenir mère ou accoucher physiologiquement pour expérimenter cette puissance. Mais pour moi, ça s’est passé comme ça.  Après, passé ce premier moment d’évidence et de joie absolue, tout a été dur. J’ai pris une grosse claque, car j’étais complètement formatée par l’idée de l’instinct maternel. Je pensais que les choses seraient évidentes, faciles… Et ça n’a pas du tout été le cas. Dans un premier temps, j’ai réagi en me blâmant. Quand j’ai plongé dans la dépression, j’étais persuadée que c’était moi le problème. Une fois que j’ai été prise en charge sur le plan de ma santé mentale, j’ai opéré une première prise de recul.
Quand j’ai entendu qu’une mère sur dix souffrait de dépression post-partum - selon les chiffres, on parle de deux, voire de trois sur dix - ça m’a beaucoup travaillée. À ce moment-là, en 2016, le sujet était encore très tabou. Comment se fait-il qu’on ne nous en parle pas, alors que nous sommes si nombreuses ? C’est par ce petit bout de la lorgnette que je suis arrivée au féminisme. Et ça m’a fait un bien fou de me rendre compte que le problème n’était pas seulement individuel, ou psychique, mais plutôt collectif et politique.

Quel lien entre les vergetures, l’éducation bienveillante et les espaces publics « kids friendly », que vous abordez dans votre livre?
F. L. : Sur tous ces sujets, le patriarcat agit en sous-main pour nous mettre une pression de dingue et nous déposséder de nos expériences de maternités.  J’aime beaucoup cette dichotomie que fait Adrienne Rich [universitaire et théoricienne féministe américaine, ndlr] entre l’expérience de la maternité (qui peut être quelque chose de plutôt cool) et l’institution de la maternité (c’est-à-dire la pression et les injonctions que fait peser la société patriarcale sur les mères), qui les dépossède de la possibilité de vivre une expérience cool. Le dénominateur commun entre le corps enceint, l’accouchement, la manière d’articuler sa vie professionnelle et familiale, ou le partage des tâches, c’est qu’on voudrait nous faire croire que ce sont des choix personnels, des problématiques individuelles. Alors qu’au fond, c’est très emprunt de contrôle social. 

Votre livre n’est « ni un guide de grossesse, ni un précis de puériculture, ni un manuel de la parfaite maman féministe ». Qu’est-ce que cet ouvrage, alors? 
F. L. : Ce que je souhaitais dire par là, c’est que je ne voulais pas que ça soit perçu comme injonctif. Je voulais que ce soit un possible outil, dans un esprit de self-care et d’empouvoirement. Un outil qui permette aux personnes qui le lisent de se sentir légitimes lorsqu’elles se disent : « là, je vis des choses qui me paraissent violentes, injustes »... et que tout le monde leur dit que ça n’est pas le cas. La charge mentale, par exemple, est très révélatrice de ça. C’est quelque chose qu’on ressent profondément en nous, qui nous entrave assez fortement au quotidien. Pourtant, quand on en discute autour de soi, on nous renvoie assez rapidement que ça n’existe pas, qu’il suffit “d’arrêter de penser à tout”. Même la presse féminine tombe un peu dans cet écueil, en traitant ça comme une question de développement personnel, qu’on pourrait régler avec quelques techniques d’organisation. On nous renvoie à ça comme étant un problème individuel, voire imaginaire. Alors que c’est un problème de répartition du travail domestique et parental, et un problème d’articulation entre les sphères. J’avais envie que celles qui lisent ce livre puissent se dire :  « ça existe, je ne suis pas folle, je suis légitime à être en colère et à revendiquer des choses ». 

Vous rappelez que, dans les mouvements féministes, la question de la maternité s’est résumée à celle du choix. « Mais la maternité concrète a été traitée avec le mépris réservé aux affaires courantes », écrivez-vous. Cinquante après la deuxième vague féministe, cette « maternité concrète » est-elle devenue un enjeu majeur ?
F. L. : Oui, j’ai l'impression que ça devient un sujet un peu plus majeur. Parce qu’il y a eu le mouvement #MonPostPartum, que c’est plus présent sur les réseaux sociaux… Je pense que les femmes sont un peu plus conscientes de leurs droits. Sur le plan de la grossesse, de l’accouchement ou du post partum, certaines choses évoluent. Des festivals se créent autour de ces sujets, et beaucoup d’organisations féministes ou militantes, dans les syndicats ou les partis politiques, mènent des groupes de travail sur la parentalité. Donc oui, ça bouge. Parce que les femmes se bougent !
Après, sur l’articulation des sphères professionnelles et familiales, ou le partage des tâches, je pense qu’on pourrait en demander un peu plus. On compte encore sur une apparente bonne volonté des hommes, des « nouveaux pères », dans l’attente d’une évolution naturelle des choses. On l’a vu avec le congé paternité, qui a récemment évolué : c’est timide. On aurait pu avoir plus, et mieux, si on avait fait front ensemble, pères et mères. 
Plus profondément, si on veut œuvrer à une meilleure répartition du travail domestique et parental, il faut repenser le rapport qu’on a au travail salarié, au travail domestique, et plus globalement, au travail de care dans la société. Quelle place et quel temps on accorde au fait de prendre soin de soi, des autres? Si on réfléchit à ces questions pour ce qui est du soin aux enfants, ça aura aussi un impact sur les soins aux personnes âgées, aux personnes dépendantes. Donc on voit bien comment la maternité peut être un point d'entrée dans le féminisme et dans les luttes politiques.

010106209
Daronne et féministe.
Grossesse, post-partum, charge mentale...
quand la maternité rend féministe,
Fabienne Lacoude,
Éditions Solar, mars 2022.

Vous écrivez que « le féminisme est un projet de société, pas un mode de vie ». Pourquoi est-ce important de le rappeler?
F. L. : Quand on est féministe, on pense qu’il faut appliquer tous ces préceptes dans sa vie quotidienne. Mais quand on est une femme hétéro, en couple, dans une société patriarcale, c’est très compliqué d’appliquer chez soi l’idéal qu’on se fixe pour la société. Cette tension peut générer énormément de frustration, de culpabilité, et de fatigue. Les féministes des années 70 avaient le même problème : à l’époque, plein de femmes se sont senties obligées de choisir entre la lutte et leur envie de créer une famille. Parce qu’elles avaient l’impression que ça ne collait pas, et qu’on pouvait éventuellement leur renvoyer, dans leurs cercles militants, qu’elles étaient devenues des bonnes petites épouses, des bonnes petites mères. Comme si elles avaient « trahi la cause ». Il y a encore un peu ça, aujourd’hui, dans certains mouvements. Si on vit une vie jugée très traditionnelle, on ne serait pas une vraie féministe. Ça génère une vraie pression pour les mères. D’autant qu'aujourd'hui, se surajoute la question d’éduquer des enfants féministes. 
J’invite à se foutre la paix avec ça. Parce que la parentalité, c’est une relation : ça se construit, ça évolue, il y a forcément des ratés… On ne peut pas tout contrôler. Et le féminisme - comme l'écologie, d’ailleurs - c’est un combat politique et collectif, qui est long et difficile. Donc c’est hyper important de ne pas s’épuiser, et de prendre soin de nous, individuellement et collectivement. 

Que souhaitez-vous dire aux mères avec Daronne et féministe ?
F. L. : Je crois que j’ai envie de leur dire : « je vous crois ». Vous avez le droit de vouloir avoir des enfants, de vouloir passer du temps avec eux, de vouloir kiffer la maternité, même si vous êtes féministes. Et vous avez aussi le droit de trouver ça chiant, de ne pas aimer ça, par moment ou tout le temps. Vous êtes légitimes dans vos choix, vos vies et vos colères.

*MILF pour Maternités Informées Libres et Féministes

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