Avec son livre « Ceci est notre post-​partum », Illana Weizman libère la parole

En février 2020, à travers une photo postée sur Instagram et un hashtag lancé avec trois autres femmes sur Twitter, Illana Weizman libère la parole autour du post-partum. Plus que jamais déterminée à briser le tabou qui entoure la période qui suit l’accouchement, la Franco-Israélienne publie son premier livre, Ceci est notre post-partum. Et tant pis si elle bouscule, elle a l’habitude.

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© Laura Lafon pour Causette

Pantalon de jogging, large pull-over, assise en tailleur sur son lit, une tasse de verveine-menthe à la main, des photos de son fils Dov – bientôt 3 ans – accrochées au mur derrière elle. Lorsqu’Illana Weizman allume la caméra de son smartphone pour répondre à nos questions depuis Tel-Aviv, où elle réside depuis dix ans, on est surprise par la tranquillité de la scène. Il faut dire que les dernières publications sur les réseaux sociaux de la doctorante en communication et sociologie empruntent plus au champ lexical de l’anxiété qu’à celui de la décontraction. 

L’objet de son stress ? Dans quelques jours, elle se rend en région parisienne, où elle est née, a grandi et a étudié la communication, le droit puis la socio avant de rejoindre Israël pour un stage de cinéma et de s’y installer définitivement. Elle retourne souvent – hors année confinée – en France, le pays étant au cœur de sa thèse en cours d’écriture, « L’identité des Juifs français dans le monde digital : une cartographie de Facebook et un cas d’étude de deux groupes ». Mais cette fois, la visite aura une saveur différente. Illana Weizman rentre au bercail pour la promo de son premier livre, Ceci est notre post-partum. 

En couche sur Instagram

À 36 ans, la Franco-Israélienne s’intéresse aux douleurs physiques et psychologiques post-accouchement, qui peuvent durer des mois, voire des années. Une phase « plus invisible que la face cachée de la Lune », alors que la période déboucherait sur une dépression pour près d’une mère sur cinq. Dans son manifeste, émaillé d’analyses d’expert·es, d’études scientifiques et de témoignages, Illana Weizman pose les bases. Le post-partum, c’est quoi ? Parce que aujourd’hui la définition ne semble claire ni pour les femmes, ni pour les professionnel·les de santé, ni pour les pouvoirs publics. De quoi empêcher aux premières de s’y préparer sereinement, aux deuxièmes de proposer un suivi médical adapté et aux derniers de mettre en place de vraies politiques ambitieuses sur le sujet. L’objectif étant que les mères n’aient plus à affronter seules les symptômes du post-partum que l’autrice détaille dans son livre. 

Hémorroïdes, inconfort périnatal, incontinence urinaire, douleurs liées à une épisiotomie, épuisement, fatigue extrême, maux de dos, troubles de stress post-traumatique, dépression… La liste est longue. Et ces douleurs sont, à en croire Illana Weizman, trop rarement prises au sérieux, bien cachées derrière les mythes de la mère sacrificielle ou de l’instinct maternel. Elle invite donc « les pouvoirs publics, les publicitaires, les producteurs de contenus culturels, les nouvelles mères » à se bouger pour « permettre de changer nos structures mentales et imageries autour de la maternité ».

Si l’on remonte le fil de sa lutte pour visibiliser le post-partum, on peut dire qu’Illana Weizman prend les armes le 12 février 2020, à travers une photo postée sur Instagram. Sur le cliché, pris quelques jours après son accouchement, et qui a tout de suite connu un écho retentissant, elle porte une couche pour adulte. Son ventre est gonflé, ses jambes bleuies. En légende, elle raconte « l’impossibilité de s’asseoir sans douleurs », « l’urine qui brûle », « l’impression d’être passée sous un rouleau compresseur ». La publication répond à la censure, par la chaîne américaine ABC, d’une publicité mettant en scène une femme, le corps marqué par un accouchement récent. « Partager cette photo a été une réaction épidermique, se souvient-elle. La censure du spot publicitaire, qui ne contenait ni violence ni pornographie, était symptomatique de la réalité de notre société. On laisse le post-partum dans les coulisses de la maternité. Ça a fait ressortir des souvenirs très douloureux en moi. » 

Un post, des milliers de réactions

Droite sur son lit, pas perturbée pour un sou, elle se replonge trois ans en arrière et se souvient de son corps. « Une espèce de ruine » qui ne répond à aucune injonction. Il n’est « ni ferme, ni beau, ni glamour ». Elle saigne en continu pendant plus d’un mois. Il y a aussi les douleurs qui lui tordent le ventre des semaines après l’accouchement, au moment où l’utérus reprend sa taille initiale. 

Elle « survit au jour le jour » dans une espèce de « chaos global » et culpabilise des « sentiments ambivalents » qu’elle éprouve envers son fils. « Je pouvais m’évanouir dans son souffle tellement je l’aime et la seconde d’après, parce qu’il faisait une crise, avoir envie de quitter la pièce, de le filer à son père et de ne pas le voir pendant une heure. » Au bout de huit mois, elle tombe en dépression et reprend sa thérapie débutée un an avant la naissance de son fils, au moment de son avortement. « Aujourd’hui, je sens que j’ai pas mal sorti la tête de l’eau. Mais il y a encore des choses que je n’ai pas réglées, notamment sur le plan de la sexualité, de mon retour à mon corps, à mon désir ou à mon individualité. »

Sur Instagram, son post fait réagir. « Des centaines de mères se sont manifestées dans mes mentions, dans ma messagerie. Elles me remerciaient. J’ai réalisé qu’il y avait quelque chose, un truc sensible qu’il fallait creuser. » Quelques jours plus tard, elle lance avec trois amies militantes, Ayla Linares, Morgane Koresh et Masha Sacré, le mot-dièse #MonPostPartum pour inviter les femmes à témoigner. Un vrai succès. « On ne s’attendait pas du tout à ce que ça prenne tant d’ampleur. En quelques heures, il y avait déjà huit mille personnes qui avaient utilisé le hashtag, c’était énorme. » La doctorante se remémore les journées passées à lire les récits sur Twitter. Et à pleurer. « C’était comme une thérapie de groupe. Hyper émouvant ! » Elles sont des milliers à parler pour la première fois de leur post-partum, « certaines le vivant à ce moment, d’autres l’ayant vécu trente ans auparavant ». Elles évoquent leur solitude, leur silence, leurs souffrances, leur culpabilité de ne pas avoir ressenti de « bouffée d’amour » pour leur enfant et leur colère face à une société qui les prive d’informations sur le sujet. 

Illana Weizman peut également témoigner de ce dernier point. Avant de le vivre, elle n’avait jamais entendu parler du post-partum. Sa mère lui a toujours soutenu qu’enfanter n’avait été que merveilleux, ses amies se sont « autocensurées » et à la maternité, la question n’a pas été abordée durant les cours de préparation à l’accouchement. Quand elle traverse à son tour cette période douloureuse, Illana Weizman reste également muette. « Je le cachais même à mon mec, je pleurais dans la douche. Je faisais bonne figure, je cherchais à correspondre à l’image qu’on se fait des mères. Tu penses être la seule à vivre ça, tu ne veux pas être cette mère défaillante, alors tu ne dis rien. »

Tout, sauf le sacrifice
LLA1418 A © Laura Lafon pour Causette
Illana Weizman pour Causette

Lorsque les proches d’Illana Weizman nous parlent d’elle, on comprend toute la puissance malheureuse du tabou qui entoure le post-partum. Il a muselé une femme qui ne s’était jamais tue. Béatrice Fratani, sa meilleure amie, dépeint une personne « libre, moderne et engagée » qui « dit ce qu’elle pense tout haut, quelle que soit l’audience, en se foutant du regard des autres, notamment de la communauté juive traditionnelle dont elle est issue ». Illana Weizman reçoit une éducation religieuse, effectue une partie de sa scolarité en école juive et fréquente la synagogue toutes les semaines. Adulte, non croyante mais attachée à son identité juive, elle n’a aucun problème à s’habiller en « petit crop top et mini-short ». « Qui dit juifs traditionnels dit, en général, qu’une femme doit avoir un certain comportement pour ne pas choquer, commente Béatrice Fratani. Illana, elle s’en fichait. Contrairement aux autres femmes de son milieu. » 

Quand on lui demande comment elle a pu s’émanciper de cet environnement très traditionnel pour devenir la porte-parole de la lutte contre le tabou du post-partum, Illana Weizman pense à deux femmes. D’abord sa grand-mère, dont les dernières paroles, « Je n’ai pas profité de la vie, je me suis toujours sacrifiée », résonnent encore chez la militante. « Cette phrase-là, elle m’a tuée. J’ai une boule dans la gorge quand j’en parle. » Et puis, il y a sa mère, qui a « toujours fait passer les besoins des autres avant les siens ». Ces deux figures consacrent leur vie aux autres, quitte à s’oublier. Illana Weizman décrète, adolescente, qu’elle vivra pour elle-même. Ses études en fac de socio, où « on déconstruit à peu près tout », marquent le divorce entre la jeune femme et la communauté juive traditionnelle. Elle y trouve les armes pour déconstruire les clichés et injonctions qui l’entourent. « C’est là que mon monde s’est ouvert. Je me suis vraiment détachée de l’éducation tradi. Je suis devenue plus indépendante sur le plan des idées. » La naissance d’un engagement féministe chez celle qui abordait volontiers le sujet avec ses ami·es, sans réellement aller plus loin, a lieu quelques mois après son accouchement, au moment de sa thérapie. « J’ai pris de la distance avec ce que je vivais. J’ai réalisé toute cette injustice autour de la classe sociale des mères. » 

Le réveil d’une militante

Depuis qu’elle a libéré la parole des femmes sur la question du post-partum, plus rien n’arrête Illana Weizman. « Le succès du hashtag est venu valider ce qu’elle avait vécu, décrypte Morgane Koresh, cocréatrice du mot-dièse #MonPostPartum. Elle se sent légitime en tant que militante. » La principale intéressée confirme : « Je me suis dit que je n’étais pas obligée de vivre mon féminisme dans mon coin. Le fait que ça ait eu cette ampleur, ça m’a donné l’autorisation de me lancer dans des projets, de lancer des initiatives. » Galvanisées, les sœurs de lutte importent, en juin 2020, le mouvement des Colleuses à Tel-Aviv, qu’elles baptisent HaStickeriot. Depuis, elles ont été rejointes par plus de cent femmes pour placarder des slogans contre les violences faites aux femmes sur les murs de leur ville. 

Et comme si l’écriture d’un livre, d’une thèse et le lancement d’un mouvement pendant l’annus horribilis ne suffisaient pas, Illana Weizman a également accepté d’animer des ateliers en visio sur le post-partum via la plateforme La Féministerie. À en croire Laura Driancourt, l’une de ses cofondatrices, les places partent en quelques heures, « beaucoup plus rapidement que la moyenne ». L’activiste attribue le succès des conférences-discussions à la capacité d’écoute d’Illana Weizman. « Elle sait mettre les gens à l’aise autour d’elle. Elle demande des retours des participantes pour s’améliorer. » Une qualité d’accueil de la parole et une aptitude à trouver les mots que souligne également Morgane Koresh. Cette dernière évoque un moment de panique avant de répondre à une interview en direct, il y a quelques mois. « J’ai douté de moi. Elle a accepté ce que je ressentais, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Elle m’a reboostée en me disant “Tu as accouché deux fois sans péridurale, tu es capable de parler avec deux mecs sur un plateau TV !”. » 

Un peu gênée, Illana Weizman peine à mesurer l’influence qu’elle a pu avoir sur certaines femmes. Elle nous parle tout de même des ostéopathes, associations, collectifs – rien que ça ! – qui témoignent d’une prise de conscience dans leurs rangs. « On se dit qu’on a eu une influence qui n’a pas l’air petite petite. » Grande ? Elle rigole. « Oui, allez, une grande influence. Je n’arrive pas à dire ça parce que, d’un coup, j’ai l’impression que je me la pète. » 

Illana Weizman Ceci est notre post partum © Editions Marabout
Ceci est notre post-pasturm.
Défaire les mythes et les tabous

pour s'émanciper.
D'Illana Weizman.
Éd. Marabout. 224 pages.

Ce n’est pas un vilain syndrome de l’imposteur qui arrêtera Illana Weizman dans son combat. Dans son livre, elle réclame la mise en place d’un congé coparent digne de ce nom, ainsi qu’un accompagnement significatif des jeunes mères. Et pour parvenir à convaincre les pouvoirs publics, elle pourrait bien choisir une nouvelle manière de lutter, depuis Paris, où elle souhaite retourner s’installer. « J’ai une nouvelle proposition de bouquin, mais j’ai l’impression qu’on ne peut pas vivre du métier d’autrice. En fait, ce que j’aimerais le plus faire, c’est bosser pour une organisation féministe. » De quoi avoir encore plus de poids pour faire bouger les lignes. 

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