#RegretMaternel : ces mères qui démys­ti­fient la maternité

Depuis une semaine, de nombreuses internautes expriment leur regret d’être mère sur les réseaux sociaux. À travers ces indicibles aveux, elles espèrent casser les clichés et libérer la parole sur la maternité.

Vierge à lEnfant Fra Filippo Lippi
Même la Sainte Vierge a eu ses moments de doutes.
© Wikimédia Commons, Madonna col Bambino, Filippo Lippi, circa 1465.

« J’aime mes fils plus que tout clairement. […] Cela dit, je déteste être mère dans cette société et si c’était à refaire je ne le referais pas », écrivait @petitdoudou33 sur Twitter, le 30 mars. Depuis la semaine dernière, des témoignages de mères affluent sur le réseau social et évoquent les souffrances liées à la maternité, voire l’impensable désir d’un retour en arrière. Les récits rassemblés derrière le hashtag #RegretMaternel ont suscité de vives réactions, obligeant des utilisatrices à supprimer leurs Tweets. Il y a quelques années, feue l’actrice française Anémone choquait déjà l’opinion publique en confiant avoir « regretté toute sa vie » d’avoir eu des enfants. « C’est un sujet très tabou et encore mal compris », déplore @Fable_21e, à l’origine du hashtag.

En 2021, l’aveu de ces mères reste pour beaucoup inaudible. « Dire son regret d’avoir fait des enfants peut être vu comme le symbole d’une mauvaise mère, car on l’associe à un désamour. C’est d’autant plus délicat à exprimer qu’elles sont censées les avoir voulus », étaye Charlotte Debest, sociologue et autrice de Le Choix d’une vie sans enfant. Leurs messages font pourtant tous la distinction : elles aiment leur progéniture, mais déplorent le rôle de mère. Paradoxal ? Pas pour Orna Donath, sociologue israélienne et autrice de l’essai Le Regret d’être mère. Paru en France en 2019, ce livre s’appuie sur les témoignages de vingt-trois mères israéliennes, âgées de 25 à 75 ans, qui regrettent d’avoir eu des enfants. « La maternité est une relation, pas un royaume mythique. Et comme toutes les relations humaines, elle contient de multiples émotions comme la joie, l’ennui, la haine, l’amour et oui, le regret », explique Orna Donath, contactée par Causette.

Une réalité désenchantée

Dans son étude, la sociologue israélienne rappelle les diktats imposés aux femmes, qui vendent, entre autres, une promesse d’épanouissement par la maternité. Être mère serait synonyme de bonheur et ne pas l’être amènerait au regret. Quid du regret de la norme, celle d’avoir des enfants ? Tirtza fait partie des mères interrogées par Orna Donath. Sa prise de conscience a eu lieu les premières semaines après l’accouchement : « J’ai tout de suite vu que ce n’était pas pour moi. Je n’avais aucun intérêt à être mère. C’était anormal à mes yeux, tout comme le fait qu’un enfant m’appelle “Maman”. Je ne me suis pas identifiée à ce concept, ni au rôle, aux significations et aux conséquences de cette responsabilité et cet engagement », rapporte-t-elle.

Ambre*, 35 ans et mère d’un enfant de 3 ans, a aussi très mal vécu l’arrivée d’un nouvel être dans sa vie. « Lorsque mon fils est né, je n’ai pas ressenti tout de suite la vague d’amour dont tout le monde parle, j’étais trop crevée. J’avais beau m’être préparée au post-partum en écoutant des podcasts, je ne soupçonnais pas que ce serait aussi dur », avoue-t-elle. Au bout d’un an et demi et après une dépression post-partum, elle avoue regretter : « Je ne me sentais plus moi-même. Je n’arrivais plus à trouver ma place en tant que personne à part entière », relate celle qui, depuis, a créé le compte Instagram @le_regret_maternel aux 5 500 abonné·es. « Affirmer ce regret interrompt un storytelling linéaire, l’idée qu’apprécier la maternité n’est qu’une question de temps et que les femmes finiront par reconnaître que c’est l’essence même de leur vie », appuie la sociologue.

Le mythe de l’égalité

La maternité peut être d’autant plus éprouvante que beaucoup la vivent seules. « Pour mon premier, je ne savais absolument pas quoi faire. Quand il pleurait, je lui jouais de la musique alors qu’il voulait juste téter », se rappelle Héloïse Simon, mère de trois enfants et autrice d’un blog consacré à la maternité. Installée au Chili, elle a accueilli son premier enfant alors qu’elle ne connaissait personne dans sa ville de résidence. « J’aurais aimé avoir une structure familiale moins centrée sur la famille nucléaire telle qu’on est moi, mon mari et mes enfants. Cela permettrait de mieux répartir la responsabilité », poursuit l’autrice.

En France, le congé maternité au premier enfant peut aller jusqu’à seize semaines, contre onze jours pour le congé paternité. Ce dernier sera allongé à vingt-cinq jours à compter du 1er juillet 2021, mais l’écart pose encore question. « Bien sûr, il y a le temps nécessaire à la réparation physique, mais on a aussi un énorme besoin d’être soutenue et accompagnée pendant cette période, au moins psychologiquement, par les pères », déclare Ambre*.

Encore faut-il que ceux-ci soient volontaires. « J’étais persuadée que mon mari était le bon, que nous formerions une équipe. Mais j’ai vécu la parentalité seule », témoigne Louisa, 42 ans et mère de deux enfants. À la répartition inégale du travail parental s’ajoutent des discriminations. « On me disait avant le mariage que mon métier n’était pas compatible avec la maternité. Aujourd’hui, je recherche du travail et on me fait comprendre que mon enfant est un frein à mon engagement », rapporte Claire. « Ces femmes regrettent d’être mères précisément parce que les conditions sont inégalitaires. Elles ont l’impression de s’être fait prendre au piège », argumente la sociologue Charlotte Debest.

Libérer la parole des mères

Le compte Instagram @le_regret_maternel, créé en août 2020 par Ambre, compile des témoignages de mères qui regrettent la maternité, mais aussi d’enfants dont la mère a regretté. « J’ai d’abord fait ce compte pour moi, comme une thérapie. L’objectif aujourd’hui est de montrer à ces mères qu’elles ne sont pas seules, leur offrir un espace bienveillant où elles peuvent s’exprimer sans jugement », soutient Ambre. De son côté, Louisa* éprouve aussi le désir d’informer : « J’en parle ouvertement avec mes enfants, car je n’ai pas envie qu’ils reproduisent le comportement de leur père. Je veux qu’ils soient conscients de ce que ça implique, d’avoir des enfants », défend-elle.

Le 30 mars dernier, Héloïse Simon a partagé son soutien à toutes les mères via le hashtag #RegretMaternel, alors qu’elle-même n’a « pas de regrets ». « Je pense qu’il est important d’écouter la multiplicité des expériences pour réfléchir à toutes les maternités. Notre parole est trop souvent confisquée pour répondre à un idéal sociétal », se désole l’écrivaine. Après tout, si la maternité est censée « changer notre vie », pourquoi ne pourrait-elle pas le faire en mal ? « Je pense que par bien des manières, ce n’est pas nécessairement le regret en lui-même qui crée de la souffrance, mais les réactions de la société à ce regret. Regretter est humain, les mères sont des êtres humains », conclut la sociologue Orna Donath.

*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interrogées.

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