Capture d’écran 2022 10 27 à 09.37.25
Manifestation de Youth for Climate, le 19 mars 2021 à Paris. ©S.C.

Françoise Vimeux, cli­ma­to­logue : « C’est la pre­mière fois qu’on enre­gistre de telles tem­pé­ra­tures aus­si tar­di­ve­ment dans la saison »

Alors qu’on enregistre depuis le début du mois d’octobre des températures très élevées dans plusieurs régions de France, le dérèglement climatique pourrait être encore plus critique que prévu.

Fançoise vimeux 1
Françoise Vimeux,
climatologue à l’Institut de recherche
pour le développement (IRD).
©Charlotte Jolly de Rosnay

C’est un été sans fin et il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir. Selon les spécialistes, octobre 2022 sera le plus chaud jamais enregistré en France, et de loin. Selon les prévisions d'une étude scientifique publiée début octobre, ces plumes de chaleurs devraient se multiplier et s’aggraver dans les années à venir. Françoise Vimeux, climatologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) explique à Causette les raisons de ce phénomène et ses conséquences.

Causette : 32,5° en Corse, 29,6° à Toulouse ou encore 25° à Nantes. Un peu partout en France, les températures caracolent dangereusement. Est-ce exceptionnel pour un mois d’octobre ?
Françoise Vimeux : Oui, la vague de redoux est exceptionnelle pour cette période. Des températures frôlant les 30°C ont récemment été enregistrées dans le Sud-Ouest de la France. C’est la première fois qu’on enregistre de telles températures aussi tardivement dans la saison. De manière générale, depuis dix jours maintenant, la température journalière moyenne est environ 5°C au-dessus des normales de saisons. Une telle durée de redoux sur tout le territoire est très rare à cette période. Enfin, les températures nocturnes sont elles aussi particulièrement douces.

Pourquoi et comment expliquer que ce mois d’octobre est-il anormalement doux – voire chaud ?
F.V. : Les températures élevées depuis la mi-octobre sont dues à une remontée d’air du sud, une situation météorologique classique. Mais aujourd’hui, cet air qui vient du sud est plus chaud qu’il y a vingt ans, cinquante ans ou même un siècle.

« Plus la température augmente et plus l’intensité, la fréquence et la durée des vagues de chaleur augmentent. »

Cette plume de chaleur prolonge une année 2022 particulièrement chaude… Qu’est-ce que cela indique ? Peut-on y voir une accélération du dérèglement climatique ?
F.V. :
Nous n’observons pas d’accélération du réchauffement en France. Depuis une trentaine d’années, la température augmente d’environ 0,3 à 0,4°C par décennie. En revanche, plus la température augmente et plus l’intensité, la fréquence et la durée des vagues de chaleur augmentent. Nous savons aussi que dans un climat plus chaud, les vagues de chaleur pourront arriver plus tôt dans la saison estivale, comme au mois de juin de cette année ou plus tardivement comme en ce moment.

« Le réchauffement climatique au cours du XXIe siècle en France pourrait être 50 % plus intense que ce que l’on pensait. » Voilà la principale conclusion d’une étude publiée le 4 octobre par une équipe de CNRS, de Météo-France et du Centre européen de recherche et de formation avancée. Qu’en pensez-vous ?
F.V. : Il s’agit d’une étude très sérieuse et très détaillée qui revoit à la hausse les estimations d’élévation de la température en France à +3 ,8°C en moyenne sur le territoire à l’horizon 2100 par rapport au début du XXème siècle au regard des politiques environnementales actuelles. Cette étude montre aussi que les températures pourront atteindre près de 5 à 6°C en plus en moyenne pendant l’été, toujours par rapport au début du XXème siècle.

« Nous ne sommes pas du tout sur les bonnes trajectoires d’émission de gaz à effet de serre pour respecter les accords de Paris. »

Cette sombre perspective indique-t-elle que la France se réchauffe plus vite que le reste du monde ?
F.V. : Cela montre d’abord que nous ne sommes pas du tout sur les bonnes trajectoires d’émission de gaz à effet de serre pour respecter les accords de Paris, qui visent à limiter le réchauffement global à 1,5°C. La France se réchauffe un peu plus que la moyenne globale mais ce sont surtout les régions de l’Arctique ou de la Méditerranée par exemple qui se réchauffent deux à quatre fois plus que le reste du monde.
Il faut comprendre que si toutes les régions du monde se réchauffent, elles ne le font pas à la même vitesse. Les continents se réchauffent par exemple davantage que les océans. De même, les régions polaires se réchauffent plus que les régions tropicales. Enfin, certaines régions comme la Méditerranée sont plus sensibles au réchauffement global. Tout cela est dû aux caractéristiques de notre système climatique.

Que faire pour enrayer ce réchauffement ? Peut-on encore le faire ?
F.V. : Nous savons que nous pouvons encore limiter le réchauffement à 1,5°C si nous diminuons de moitié, et à l’échelle globale, les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Le dernier rapport du GIEC [publié en avril 2022, ndlr] donne des pistes pour diminuer les émissions dans les secteurs du transport, du bâtiment, de l’agriculture, de l’énergie ou encore de l’industrie.

Lire aussi I Au pied du mur et après un été catastrophique, un gouvernement tout feu tout flamme sur le climat

La réponse politique en France est-elle, selon vous, à la hauteur de cette urgence climatique ?
F.V. : Plus d’une trentaine de pays ont stabilisé ou diminué leurs émissions de gaz à effet de serre ces dernières années. En France, la diminution est de 23 % depuis 1990 et ces dernières années de 1,9 % en moyenne. C’est bien mais insuffisant. Le Haut conseil pour le climat rappelle qu’il faudrait plus que doubler cette diminution annuelle d’ici 2030 pour répondre à la loi climat européenne [votée en juin 2021, ndlr] qui vise une diminution de 55 % des émissions en Europe à horizon 2030.
Pour réduire nos émissions, il est impératif de passer au crible les secteurs qui produisent massivement des gaz à effet de serre. En France, le secteur le plus émetteur est celui des transports, qui représente 30 % des émissions dont la moitié proviennent de la voiture individuelle. Pour diminuer notre dépendance à la voiture, il est important qu’il y ait des changements structurels qui vont proposer des solutions de remplacement sobres : développement de transports en commun efficaces, réflexion sur l’urbanisation très en périphérie des villes qui éloigne les travailleurs de leur lieu de travail, développement de pistes cyclables sécurisées. Et pour les trajets où la voiture sera toujours nécessaire, une réflexion sur l’accessibilité pour tous à la voiture électrique est indispensable.

Dix jours après le coup d’éclat d’activistes climatiques britanniques qui avaient aspergé de soupe un tableau de Van Gogh à la National Gallery de Londres, deux militants écolo s’en sont pris dimanche à une œuvre de Monet au musée Barberini de Postdam en Allemagne. Qu’en pensez-vous ?
F.V. :
Je trouve ces actes affligeants et je ne comprends pas quels sont les messages derrière. Ces tableaux endommagés représentent un patrimoine artistique qui appartient à tous. En quoi les abîmer arrange-t-il la situation ? Finalement, on parle plus de l’acte en lui-même que du climat ! Il y a un ensemble d’actions possibles et utiles pour agir contre le réchauffement climatique et pour sensibiliser sans détruire notre patrimoine commun. Il pourrait s’agir, par exemple, pour les jeunes de s’orienter vers des études qui leur permettront de mettre leurs compétences techniques, scientifiques, en économie ou en droit au service de l’action climatique. Il faut s’en emparer !

Lire aussi I « L’enjeu du climat est un enjeu démocratique » : 35 scientifiques devant l’Assemblée nationale pour sensibiliser les député·es à l’urgence climatique

Partager
Articles liés
causette127 483 hr fredlahache a

Révolution fémi­niste dans les campagnes

Un vent nouveau souffle sur les campagnes. Alors qu’un agriculteur sur deux atteindra l’âge de la retraite dans les cinq à dix ans, de plus en plus de femmes font le choix de ce métier. Ces nouvelles paysannes bouleversent les codes, réclament leurs...

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.