JO Alice Milliat

1922, la série d'été : et Alice Milliat créa la femme olympique

Série d'été : Il y a un siècle, les femmes 4/4

Il y a cent ans, le 20 août 1922, les premiers Jeux « olympiques » féminins voyaient le jour dans le Bois de Vincennes à Paris, grâce à l’obstination d’Alice Milliat, qui a tenu bond face aux attaques sexistes de Coubertin.

« Il m’a aussi semblé que beaucoup trop de gens parmi le public n’avaient d’yeux que pour jambes et cuisses nues et non point suffisamment pour les gestes accomplis, relate Le Miroir des sports dans son édition du 24 août 1922. Ceux qui recherchèrent ce spectacle, mais ils durent être déçus, car il faut avouer que les performances furent au-dessus de l’esthétique. » Le 20 août 1922, une foule curieuse et populaire de 20 000 personnes s'agglutine dans le stade Pershing dans le Bois de Vincennes à Paris pour une grande première : les tous premiers Jeux olympiques féminins, mis sur pieds grâce à l'acharnement d'une passionnée, Alice Milliat.

A une époque où le sport féminin est cantonné à des promenades de santé et quelques exercices de gymnastique « tout en modération » prescrits par la médecine dans un souci d'hygiène des corps, la Nantaise née en 1884 voit des horizons bien plus vastes pour les femmes. Celle qui fut l’une des premières femmes à obtenir sa licence d’aviron consacra sa vie à fédérer le sport féminin, à plaider l’intégration des femmes dans les compétitions sportives et à revendiquer un statut d'athlètes qui ne demande qu'à être développé.

Pour Coubertin, le rôle des femmes aux JO est d'applaudir

Voyez un peu : en 1922, les Jeux olympiques modernes n'ont guère ouvert que certaines épreuves de natation (1912) et le tennis (1908) à la gente féminine. Rempart à toute velléité d'ouverture au sexe faible : celui qui créa les Jeux olympiques modernes en 1896 en oubliant d'y inclure (au moyen) la moitié de l'humanité, le baron Pierre de Coubertin lui-même, sexiste entre les sexistes. En 1912, devant le lobbying d'Alice Milliat et quelques autres pour admettre les femmes dans les compétitions olympiques, il rétorque dans La Revue olympique : « Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine. [...] L’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’internationalisme pour base, la loyauté pour moyen, l’art pour cadre et l’applaudissement féminin pour récompense. » Voilà qui est clair.

Pendant longtemps, Alice Milliat use de trésors de diplomatie face au baron, multipliant les précautions pour faire valoir sa cause, jusqu’à « rassurer lors de ses prises de parole publiques, en expliquant que la femme fera d’autant mieux son devoir à la maison qu’elle sera bien dans sa tête et dans son corps grâce au sport », décrit Anne-Cécile Genre, réalisatrice de Les Incorrectes, un documentaire consacré à l'héritage d'Alice Milliat. Malin. D’autant qu’en œuvrant pour le sport de haut niveau des femmes, elle s’oppose aux croyances véhiculées par le discours médical hygiéniste de l’époque. « Elle a œuvré pour que les femmes ne restent pas cantonnées à l’aspect “bien-être”, mais s’organisent en club, en groupe, ajoute la réalisatrice. Elle a montré à quel point il était structurant d’avoir un cadre, une activité physique qui les inscrivait dans la société. »

"Quelles sont ces furies toutes possédées par une sombre folie ?"

Les olympiades qu'elle organise en ce mois d'août 1922 répondent à cette stratégie et lui permettent de contourner les vives oppositions du baron, en reprenant les codes qu'il a instaurés, notamment le défilé des athlètes brandissant le drapeau du pays qu'elles représentent. « Il est très tentant de faire de toute l’histoire d’Alice Milliat un combat entre deux personnages, le sien, issu d’un milieu relativement populaire, et celui du baron de Coubertin, aristocrate qui considère que le sport est une pratique réservée à l’élite masculine des sociétés, admet Anne-Cécile Genre. Mais si on sait qu’ils se parlaient par tribunes de presse interposées, on n’est pas encore absolument certain qu’ils se connaissaient personnellement. » Ce qui est sûr, c'est qu'Alice Milliat ne se bat pas seulement contre le baron mais contre toute une partie de la société, encore très rétive à la pratique sportive des femmes. Jugez plutôt cet hallucinant compte-rendu du 400 m des jeux qu'elle organise, paru dans Le Figaro le 21 août 1922 : « Voilà la leçon du 400 m, cette épreuve terrible pour le corps féminin et qui le rend si peu aimable. Quelles sont ces furies toutes possédées par une sombre folie ? Leurs yeux sont hagards, leurs bouches sont crispées et je préfère ne pas parler de leurs poitrines. Dans un dernier effort elles passent la ligne d’arrivée, palpitantes, épuisées. On ne peut imaginer de spectacle plus navrant de délabrement physique. »

N'en déplaise à ces mauvais coucheurs de l'ancien siècle, ces tout premiers JO féminins sont un succès populaire et médiatique, deux ans avant les Jeux organisés à Paris en 1924. La Ville de Paris, qui consacre une rétrospective en ligne à ces jeux en partenariat avec les jeux de Paris 2024, précise : « En 1922, la presse nationale ne propose pas encore de rubriques sportives dans ses pages. Pourtant, [le 20 août], quasiment tous les journaux annoncent et couvrent l’événement, de l’extrême droite (L'Action française) à l'extrême gauche (L’Humanité). Le leader sportif L'Auto (ancêtre de L'Équipe) fait aussi une publicité quotidienne de l'évènement dès la fin du mois de juillet. »

La France, médaille de bronze au classement général

Côté sport, les Britanniques raflent la mise avec 50 points au classement général des nations, suivies par les Américaines avec 31 points. Rien d'étonnant, vu que ces deux nations prennent le sport très au sérieux et ont beaucoup plus de facilités que les pays latins à y inclure les femmes, notamment à l'université. La France, qui avait dépêché 71 athlètes issues de 22 clubs différents dont la moitié en province, se place en troisième position, avec 29 points. La Ville de Paris précise qu'en l'absence de possibilité de mener une carrière sportive quand on est une femme (sauf exception comme Suzanne Lenglen), la France n'aligne pas d'athlètes très expérimentées : « Aucune des pionnières du premier championnat de France d’athlétisme de 1917 n’est présente, malgré leurs belles performances après-guerre, car la carrière de ces sportives de milieu modeste s'arrête à l'âge des Catherinettes (25 ans) par obligation matrimoniale et/ou professionnelle. » On doit notamment donc cette honorable troisième position à la performance de Lucie Bréard sur le 1.000 mètres, qui gagne en 3 minutes et 12 secondes. Pour vous faire une idée du chemin parcouru par les sportives, sachez que l'actuel record féminin du 1.000 mètres est détenu par la Russe Russe Svetlana Masterkova, créditée de 2 min 28 s 98 le 23 août 1996.

Après ces premiers jeux, Alice Milliat réiètère à Göteborg, Prague et Londres. Sa belle aventure d'Alice Milliat, à qui l'on doit d'avoir sorti le sport féminin de l'ornière, prendra fin après 1934, alors que « le CIO et la Fédération internationale d'athlétisme s'unissent pour faire échouer les Jeux mondiaux », détaille la Ville de Paris, et que l'Europe voit monter les conservatismes. Après la seconde guerre mondiale, le sport féminin sera peu à peu incorporé dans les Jeux olympiques mais, jusqu'aux années 80, seules 15% des athlètes participant sont des femmes. Ce n'est qu'en 1984, avec les jeux de Los Angeles, que le Comité international olympique leur ouvre les portes de la sacro-sainte épreuve du marathon.

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Pour aller plus loin : exposition photographique à Paris sur les jeux de 1922 à voir en accès libre.

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