Mettre des mets sur des mots. C'est ce que font ces cuisinières amatrices en cuisinant des recettes transmises par leur famille, qui leur ont permis d'en apprendre plus sur leurs racines. Aujourd'hui, elles font vivre leurs souvenirs à travers les odeurs du poulet yassa, de la tarte flambée ou des pâtes à la merguez.
Il existe parfois des histoires qui ne se transmettent pas par la parole au sein des familles. Soit parce qu'elles sont difficiles à raconter, renvoient à des événements traumatiques. Soit parce que tout simplement les mots ne suffisent pas pour les appréhender dans leur entièreté. Alors la cuisine intervient. Et par un ingrédient, une saveur, un plat, les langues se délient, et chacun·e en apprend plus sur ses racines. Dans cet article, Causette donne la parole à des personnalités (la chanteuse Aurélie Saada et la journaliste Grace Ly) et à des anonymes, pour comprendre l'importance de la cuisine dans leur vie, son rôle de transmission et comment elle réussit à faire vivre les souvenirs. Chacune nous livre un plat emblématique de sa famille.
Aurélia Saada, chanteuse – Les pâtes à la merguez
"L'amour de la cuisine est omniprésent chez moi : tout le monde cuisine, les jeunes, les vieux, ceux qui savent ou non… Au-delà du fait de manger, la pièce de la cuisine est très importante. Il s'agit d'un lieu de vie où l'on se retrouve, où l'on discute, se dispute. Les grands moments de la vie s'y déroulent. Dans ma famille, beaucoup de choses passent par la cuisine. On est pudiques, c'est comme ça que l'on se dit qu’on s’aime ou qu’on se manque. Je suis issue d’une famille juive tunisienne mais qui n'est pas forcément très religieuse. Alors on va cuisiner des plats traditionnels mais à notre façon. Notre tradition, c'est de ne pas totalement respecter les traditions. Elles se réécrivent. Du coup, on est très aventureux. Quand ma famille a connu l'antisémitisme en Tunisie, dans les années 50, elle est venue s'installer en France, qui a une place particulière pour elle. Mon grand-père s'est mis à cuisiner au beurre ou avec de la crème pour montrer son amour pour ce pays. En cuisine, tout se mélange et se transmet. Il n'existe pas, à mon sens, de notion d’appropriation culturelle. Cette pratique appartient à tout le monde et à personne.
Je n'ai été pour la première fois en Tunisie que très récemment. Alors le souvenir du pays m'a été transmis par la cuisine de mes parents et de ma grand-mère, à travers des parfums, comme ceux du cumin et de la fleur d'oranger, et des plats, comme des couscous, des ragoûts, des poissons… Il y a aussi une certaine influence italienne. Mes grands-parents n'avaient pas beaucoup de moyens, mais ils faisaient toujours des grands repas, avec une table abondante : on trouvait du harissa, du thon, de la viande, de la semoule, plein de sauces… C'était modeste et généreux,[…]