Expulsion des squateur·euses, surpopulation carcérale, répression des sans-abris, des exilé·es et des travailleur·euses : alors que les JO approchent à grands pas, les associations réclament 10 millions d’euros pour célébrer sans “piétiner les droits humains”.
Loin de la fête promise par les Jeux olympiques et paralympiques organisés à Paris cet été, les populations les plus précaires et marginalisées sont effacées de la ville par les autorités, dénonce le collectif Le revers de la médaille. Derrière ce nom, 87 associations qui œuvrent au quotidien auprès d’exilé·es, de sans-abris, d’usager·ères de drogues et de travailleur·euses du sexe se sont regroupées depuis octobre. Le collectif a organisé, lundi 25 mars, une conférence de presse pour alerter sur des opérations qui “piétinent les droits humains”.
Fin janvier, la Nuit de la solidarité, recensait à Paris près de 3500 personnes sans solution d’hébergement. Le revers de la médaille formule alors ses inquiétudes dans une lettre ouverte pour inciter les autorités à prendre en charge de manière “concertée les personnes vulnérables”. Quatre mois plus tard, les inquiétudes “ont laissé place au constat” pour Antoine de Clerck, coordinateur du collectif. “Nettoyage social”, “désorganisation totale”, “logiques racistes et xénophobes” : les associations dénoncent avec force une volonté de l’État de faire “place nette” sur les sites, notamment à Paris et en Seine-Saint-Denis (département le plus pauvre de la métropole) où déambuleront touristes et acteur·rices des Jeux, pour en éradiquer la misère au forceps.
Habitant·es de squats expulsé·es
Lors de la conférence de presse, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNDH) a qualifié de “non-sens politique” les expulsions organisées par les préfectures de police d’Île-de-France, depuis novembre, des habitant·es des lieux de vie informels (squats et bidonvilles). Pour la CNDH, les pouvoirs publics ont accéléré le rythme de ces opérations d’expulsion en ciblant “les sites olympiques, sur les bords de Seine, entre novembre 2023 et mi-mars 2024”. Le revers de la médaille observe de surcroît des expulsions quasiment toutes les semaines dans Paris intra-muros, avec “zéro anticipation, zéro concertation avec les associations”, donc non conformes à l’instruction du gouvernement daté du 25 janvier 2018 encadrant la “résorption” des lieux de vie informels.
À Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), le squat le plus peuplé d’Île-de-France voit sa population augmenter de jour en jour, en particulier depuis l’expulsion en avril 2023 des habitant·es du squat Unibéton (Île-Saint-Denis). Le bâtiment qui servait de lieu de vie appartenait à la Ville de Paris et était situé à seulement quelques pas d’un des villages olympiques. Jhila Prentis, coordinatrice du squat de Vitry, précise que “huit mois après son évacuation, le bâtiment [Unibéton ndlr] est pourtant toujours vide et inutilisé”. Un “non-sens”, poursuit-elle. Le squat de Vitry-sur-Seine doit donc compenser et accueille avec les moyens du bord. À son tour menacé d’expulsion, l’incompréhension est manifeste : “Pourquoi, au moment d’une crise de logement et d’hébergement majeure, menacer de mettre quatre cents personnes de plus dans la rue”, interroge Jhila Prentis.
Où vont alors ces personnes expulsées, sans domicile ? Des bus pour rejoindre des “sas régionaux d’accueil” sont mis en place par l’État pour accueillir notamment les personnes à la rue. À Orléans, le maire, Serge Grouard, a d’ailleurs interpellé lundi, au micro de France bleu, le ministre de l’Intérieur à propos d’une arrivée dans sa ville de sans-abris réalisée “en catimini” et “particulièrement choquante”. Pour les associations, il ne s’agit pas d’une solution pérenne, mais davantage d’une “politique d’éloignement” qui ne correspond pas forcément aux besoins des personnes.
À Vitry, par exemple, sont recensés dans le squat près de deux cents réfugié·es statutaires. Beaucoup ont “un emploi ou font des formations, avec parfois des enfants qui vont à l’école”. Envoyer précipitamment à des centaines de kilomètres une personne qui travaille en Île-de-France et qui a ses enfants scolarisé·es n’est pas conforme à “la compétence obligatoire de l’État d’héberger les personnes en leur proposant une solution adaptée”, s’insurge Lilia Cherief, du Secours catholique. Pour les associations, cette politique est de nature à augmenter le nombre de personnes à la rue, et créer un “cercle vicieux” avec des personnes qui “finissent souvent par revenir en région parisienne”.
Pourtant, un véritable accompagnement social “avec des éducateurs spécialisés coûte moins cher que de mobiliser les forces de l’ordre pour expulser, puis nettoyer le terrain et garder le lieu de vie pendant plusieurs mois”, rappelle la CNDH. Le point central de leurs revendications est de donner les moyens aux associations d’effectuer un “vrai travail social” avec les personnes concernées pour permettre un départ en région avec “un consentement éclairé, une compréhension de ce qui les attend, et une solution pérenne pour [elles]”. Le collectif propose la mise en place d’un Fonds de solidarité olympique doté de 10 millions d’euros (par rapport aux 11,8 milliards investis pour les Jeux olympiques et paralympiques).
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“Confinement social” des travailleur·euses du sexe
Selon Élisa Koubi, coordinatrice du Syndicat du travail du sexe (Strass), le déplacement de populations déjà minorisées et précarisées pour ne “pas gâcher l’ambiance festive” n’est pas compréhensible. Le syndicat observe depuis plusieurs mois une augmentation de la répression en région parisienne, dans “les rues du quartier de Belleville notamment, les lieux de prostitution connus tels que le bois de Boulogne, le bois de Vincennes, mais aussi sur Internet”.
Si, depuis 2016, le délit de racolage passif a été supprimé, cela n’empêche pourtant pas les contrôles pour les travailleur·euses du sexe (TDS), assure Élisa Koubi. “La pénalisation du client sert de justification aux policiers pour effectuer des contrôles ciblés, sachant que le travail de rue est effectué à 70 % par des personnes migrantes, sans papiers ou non blanches.” Les personnes interpellées sont alors mises dans “des cars, emmenées au commissariat avec parfois des OQTF [obligation de quitter le territoire français, ndlr], des placement directement en centre de rétention administrative avant l’expulsion”, décrit la militante. Pour le Strass, ce processus a pour effet d’augmenter les craintes des TDS, qui cherchent à échapper à ces contrôles en se réfugiant dans des endroits toujours plus isolés. Ce qui diminue par là même leur chance de croiser des associations qui effectuent des maraudes et peuvent leur venir en aide, leur fournir du matériel de réduction des risques ou même de la prévention. “Elles disparaissent dans la nature, s’exposent à la violence de clients malintentionnés ou de réseaux d’agresseurs”, s’inquiète Élisa Koubi.
Selon elle, la “déferlante de TDS pendant les grands événements sportifs” relèverait du “fantasme”, justifiant cette augmentation de la répression du travail du sexe. Le rapport “Les jeux olympiques et paralympiques, un confinement social pour les travailleur·euses du sexe” publié en mars par le Parapluie rouge (regroupement d’association et collectifs de santé communautaire et de défense des droits des TDS) montre au contraire que les grands “mouvements de traites humaines internationales sont davantage liés à des problèmes de misère et de guerre dans les pays d’origine”. Au contraire, avec la présence policière et l’augmentation des loyers, il n’est pas intéressant pour des TDS de rester à proximité, “il vaut mieux fuir les grandes villes pendant les jeux Olympiques.”
Pour le Strass, le lien entre répression et JO est clair : “Il s’agit d’une bonne excuse pour appliquer des logiques racistes et xénophobes qui existent particulièrement au niveau du travail du sexe depuis la loi de pénalisation des clients de 2016.”
"Cacher ce que les touristes ne sauraient voir"
Une répression accentuée pendant les JO que craint également l’Observatoire international des prisons (OIP), lui aussi présent lors de cette conférence de presse pour dénoncer un dispositif sécuritaire qui “banalise l’emprisonnement”. La multiplication des patrouilles de police a pour objectif affiché “de faire place nette dans les rues, de cacher ce que les touristes ne sauraient voir”, affirme Johann Bihr, manager éditorial de l’OIP. La deuxième crainte de l’Observatoire est de voir le nombre d’audiences en comparution immédiate exploser. Les tribunaux s’organisent d’ores et déjà pour être en mesure de multiplier le nombre d’audiences, selon l’OIP. Ce type de procédure a pour caractéristique d’être davantage expéditif, “exposant jusqu’à huit fois plus de risques d’être condamné à de la prison ferme qu’une audience classique”, précise-t-il.
“On a quand même un ministre de la Justice, qui, quand il inaugure une nouvelle prison, dit que cela tombe à point nommé pour les JO et les paralympiques”, s’inquiète le membre de l’OIP. Le 19 octobre 2023, Éric Dupond-Moretti se réjouissait, lors d’une visite à Fleury-Mérogis (Essonne), de l’ouverture d’un nouveau centre de rétention pour faire face aux “enjeux sécuritaires” liés aux JO. Johann Bihr craint alors un “effet auto-réalisateur” de cette invective. Il alerte sur des politiques qui tendent vers des condamnations en hausse importante cet été. Cela se manifeste notamment par une proposition de loi sur la sécurité dans les transports censée renforcer les mesures de sûreté avec notamment la création de “délits d’incivilités d’habitude” dans les transports. Pour lui, ce projet signifie concrètement d’“envisager de condamner à six mois de prison les personnes qui régulièrement mendient, fument et empêchent la fermeture des portes” dans les transports en commun. Dans un contexte de surpopulation carcérale qui s’accompagne de conditions de détention critiques et maintes fois condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), les projets des pouvoirs publics interrogent. En attendant les médailles, la France a déjà battu en novembre 2023 son propre record de surpopulation carcérale.