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© Katrin Bolovtsova / Pexels

Malaise d’une avo­cate enceinte de huit mois au tri­bu­nal : l’indignation monte sur la ques­tion de la gros­sesse au sein de la profession

L’incident survenu jeudi 4 avril devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, où une avocate enceinte de huit mois a fait un malaise et une crise d’épilepsie après s’être vu refuser le renvoi de son audience, illustre les problématiques systémiques que rencontrent les avocates durant leur grossesse. Et met en émoi la profession. Enquête. 

Maître N.* ne s’attendait pas à ce que son histoire provoque une telle émotion au sein de la profession. Et même au-delà. Depuis son malaise, le jeudi 4 avril, devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, elle reçoit des centaines de messages de soutien, d’indignation, de solidarité. “J’ai reçu des centaines de messages d’avocates de Marseille, de Lyon, de Lille, d’Angoulême qui me disent : ‘Moi aussi ça m’est arrivé’”, raconte Me N. à Causette. Sur les réseaux sociaux, on ne compte plus les témoignages qui pointent, depuis, une problématique majeure quant à la question de la grossesse dans la profession. Dès le lendemain de l’incident de Me N., repris un peu partout dans la presse, le barreau de Paris, l’Union des jeunes avocats (UJA) ainsi que le Syndicat des avocats de France (SAF) se sont fendus de communiqués dans lesquels ils dénoncent l’incident et militent pour une meilleure protection de la santé des avocat·es, en particulier celle des avocates enceintes. C’est dire si ce malaise cristallise une problématique systémique.  

Mais pour bien comprendre comment maître N. s’est retrouvée, le 4 avril dernier, dans l’obligation de devoir plaider à huit mois de grossesse pour le renvoi de son dossier, il faut rembobiner la cassette. Me N. s’est saisie du dossier de son client un an auparavant. Un gros dossier qu’elle suivait avec un confrère et qui devait donc être examiné par le tribunal sur deux jours, le jeudi 4 et vendredi 5 avril. Normalement, dans ce type d’affaires, les avocat·es sont convoqué·es très en amont dans le cadre d’audiences de fixation pour se mettre d’accord sur des dates d’audience, soit plusieurs mois à l’avance. Mais, en l’occurrence, le procès avait été “audiencé”, comme on dit dans le jargon judiciaire, seulement un mois et demi auparavant.

Les agendas des pénalistes étant ce qu’ils sont, c’est-à-dire surchargés, le confrère de Me N. était obligé de plaider ce jour-là à la fois à Créteil (Val-de-Marne) et à Nanterre (Hauts-de-Seine) pour deux affaires qui ne pouvaient pas, elles, être renvoyées dans la mesure où les prévenus étaient détenus. Il ne pouvait pas par conséquent se rendre au tribunal correctionnel de Paris le 4 avril. Quant à maître N., elle est enceinte de huit mois. Grossesse qu’elle ignorait évidemment au moment où elle s’est saisie de cette affaire, un an plus tôt. Par ailleurs, il s’avère que le prévenu présente un état de santé très grave. Pour toutes ces raisons, bien en amont du 4 avril, Me N. et son confrère demandent donc une demande officielle de renvoi d’audience afin de pouvoir l’assurer sereinement ultérieurement.

 Pas d’enjeux de délai

Le prévenu comparaissant libre – en raison de son état de santé, il a été sorti de détention et est sous bracelet électronique –, il n’y a en effet pas d’enjeu de délai le concernant. Sa compagne, prévenue elle aussi, est également libre et représentée par un autre avocat, Me Hedi Dakhlaoui. En clair, il n’y a pas de danger à repousser le procès. “S’il y avait eu une question de délai, c’est-à-dire qu’on arrive sur une fin de délai et qu’un prévenu potentiellement dangereux puisse être libéré, je n’aurais évidemment pas demandé le renvoi, mais ce n’était pas le cas ici”, précise Me N. Sauf que le tribunal ne peut statuer que le jour de l’audience et ne se prononce pas à l’avance sur lesdemandes de renvoi. La voilà donc contrainte de se déplacer, enceinte de huit mois – et par ailleurs en arrêt maladie à ce moment-là –, à la date fixée, soit le 4 avril, pour solliciter de nouveau, et plaider, cette demande de renvoi. Le risque étant que, si elle ne s’était pas rendue au tribunal, son client aurait dû se défendre soit seul, soit avec un·e avocat·e qu’il n’aurait pas choisi·e. 

Me N. est alors plutôt confiante dans la décision du tribunal. “Ça me paraissait assez improbable qu’ils puissent prendre ce dossier”, assure-t-elle à Causette. Dans sa plaidoirie, elle ajoute qu’au-delà de son état de santé, et de l’absence de son confère, une enquête pour faux documents est toujours en cours dans le dossier et qu’il n’est donc pas possible de l’examiner aujourd’hui. Même les avocat·es de la partie civile ne s’opposent pas au renvoi. Mais à l’audience, la tension entre avocat·es et magistrat·es est palpable, et Me N. pressent finalement le refus de la présidente. Elle contacte alors la vice-bâtonnière du barreau de Paris, Vanessa Bousardo. Cette dernière se déplace pour plaider elle aussi le renvoi, appuyant sur la nécessité pour un·e prévenu·e de pouvoir choisir librement l’avocat·e qu’il·elle veut pour être représenté·e.

“Mon client a le droit à ses deux avocats”

Le tribunal se retire pour délibérer. À son retour, la présidente prononce le rejet de la demande de renvoi et décide de prendre l’affaire sur deux jours. Elle annonce qu’elle consacrera cette première journée à l’audition de l’autre prévenue et qu’elle entendra le client de Me N. le lendemain, lorsque son confrère sera présent. Ce que Me N. juge scandaleux : “Il n’y a pas de raison qu’une femme ait à faire un choix entre sa vie personnelle et professionnelle juste parce que la justice veut avancer vite. En tant qu’avocate, j’ai le droit de ne pas vouloir abandonner un dossier sur lequel je travaille depuis un an et qu’on aurait pu décaler de trois moissansdifficulté. Et mon client a le droit à ses deux avocats”, explique-t-elle.

La vice-bâtonnière n’a pas quitté la salle d’audience qu’elle reçoit un SMS la prévenant que Me N. vient de faire un malaise. La tension de l'audience, ajoutée à sa grossesse avancée, a déclenché une crise d’épilepsieet de violentes contractionschez l’avocate. Me N. sera finalement transportée à l’hôpital. 

Interchangeabilité des avocat·es 

L’incident, rapidement relayé médiatiquement, soulève immédiatement une émotion et une vive colère dans les rangs de la profession. Le vendredi 5 avril, alors que l’audience reprend, sans Me N., toujours à l’hôpital, la salle est remplie de journalistes et de robes noires, dont celle du bâtonnier, de la vice-bâtonnière et des membres du Conseil de l’ordre des avocats. Tous et toutes sont venu·es témoigner à la fois leur soutien à leur consœur, mais aussi leur indignation. Me Hedi Dakhlaoui, l’avocat de la prévenue, présent la veille, prend la parole en s’adressant à la présidente quant au désir de Me N. de pouvoir assurer la défense de son client et au problème de considérer que les avocat·es sont interchangeables : “Vous lui avez répondu que ce n’était pas si grave, qu’il y avait un autre avocat et que sa présence n’était donc pas indispensable”, rapporte le site Actu-juridique.

La vice-bâtonnière de Paris prend elle aussi, à nouveau, la parole : “Notre présence ne vise pas à faire un incident sur un incident. Simplement, une consœur enceinte qui demande un renvoi est un sujet majeur qui relève d’une responsabilité collective pour savoir comment on appréhende la femme enceinte dans l’audience pénale.” Quant au confrère de maître N., il refuse de plaider sans sa consœur. Devant tant d’indignation, la présidente prononce le renvoi de l’audience à décembre 2024, prenant le temps de rappeler qu’il s’agissait ici d’un “malentendu”.

Situation de tension

Cette affaire révèle deux problématiques. D’abord, un climat de tension entre magistrat·es et avocat·es qui dure depuis longtemps. Voire une défiance de la part des premier·ères à l’égard des second·es. “Aujourd’hui, pour demander un renvoi pour raisons médicales ou de grossesse, il faut produire des pièces, des certificats médicaux, se justifier, venir sur place. Ce n’était pas le cas auparavant”, explique Me N. Dans l’affaire du 4 avril, l’avocat des parties civiles, Me Philippe Grundler, l’a lui-même pointé lors de sa plaidoirie du vendredi, comme le rapporte le site Actu juridique : “En quarante ans de barreau, je n’ai jamais vu une situation comme celle-ci. On est dans une situation de tension entre avocats et magistrats assez catastrophique, je nous l’impute à tous. Nous participons à une œuvre judiciaire qui constitue un pilier de la démocratie. Si nous ne savons pas entretenir des rapports équilibrés, nous jouons avec le feu.”

Pour Nelly Bertrand, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, cette affaire “illustre tristement les dysfonctionnements que peuvent connaître les tribunaux correctionnels aujourd’hui. La politique de renvoi est très liée aux injonctions à la productivité qui pèsent sur les magistrats. Il y a une espèce de pression diffuse qui pèse sur eux à ne pas prononcer de renvoi ou en tout cas le moins possible parce qu’ils savent qu’il y a déjà tellement d’audiences surchargées, de jugements tellement longs. Et plus ils renvoient, plus ces audiences vont être surchargées et les délais être encore plus longs. Il y a une accélération de l’activité pénale constante et une politique du chiffre”, déplore-t-elle. Et d’ajouter : “Cette méfiance que peuvent avoir les magistrats envers les avocats est révélatrice, pour nous, d’une méconnaissance mutuelle, mais notamment par les magistrats des contraintes professionnelles des avocats de manière beaucoup plus générale. Cela montre un manque de dialogue et la nécessité de renforcer ces liens.” Pour Vanessa Bousardo, si cette difficulté est entendable, la circonstance de la grossesse n’est pas n’importe quelle circonstance et ne doit pas entrer en confrontation avec la nécessité d’un audiencement.

“Le reflet d’une pratique professionnelle”

Autre problématique majeure soulevée par cette affaire, la situation des femmes enceintes. “Les femmes sont majoritaires depuis quelques années dans la profession et, pour autant, la maternité vient encore bien souvent entraver leur carrière”, souligne à Causette, la vice-bâtonnière du barreau de Paris, Vanessa Bousardo, qui a d’ailleurs fait du sujet de la maternité son cheval de bataille depuis son élection en juin 2023. “Je ne suis pas absolument pas étonnée de cet incident, il n’est pas du tout isolé, appuie Charlotte Bonnaire, avocate pénaliste au barreau de Marseille et coprésidente de la commission féministe du Syndicat des avocats de France (SAF). Il est le reflet d’une pratique professionnelle qui ne prend absolument pas en compte le bouleversement physiologique de la grossesse et de la maternité. Rares sont les avocates qui n’ont pas éprouvé de difficultés avec leurs collaborateurs, leur clientèle, leurs confrères ou les magistrats. On l’a toutes vécu, j’en suis intimement convaincue.”

Charlotte Bonnaire s’en est d’ailleurs elle-même rendu compte lorsqu’elle a traversé la vaste expérience qu’est la maternité il y a deux ans. Les renvois étant rarissimes dans les audiences aux assises, au regard des enjeux de liberté et de durée de détention, elle a dû elle aussi plaider à huit mois de grossesse. “C’était assez pénible, mais je le voulais. Il y a des contraintes que l’on s’impose, mais qui nous sont aussi imposées par l’exercice de cette profession”, observe-t-elle. 

“Elle n’avait qu’à pas prendre le dossier”

“Sur les réseaux sociaux, j’ai vu passer des commentaires disant ‘Mais si elle savait qu’elle était enceinte, elle n’avait qu’à pas prendre le dossier’,” raconte Me N. Une remarque qui prouve l’ignorance des problématiques inhérentes au métier. “Déjà, comme je l’ai dit, lorsque je prends le dossier, je ne sais pas que je vais tomber enceinte. D’autre part, étant donné la façon dont fonctionne la justice et ses délais, cela voudrait dire que si on a entre 25 et 40 ans, et potentiellement un désir d’enfant, il faudrait tout calculer lorsqu’on prend un dossier ? Et décider de se mettre hors course pendant un an à chaque fois qu’on a un projet de maternité parce qu’on risque de ne pas accepter nos demandes de renvoi à plus tard ? Cela revient à dire qu’une femme entre 25 et 40 ans renonce potentiellement à être avocate et accepte de laisser sa place à un confrère masculin ou une consœur qui ne veut pas d’enfant”, dénonce l’avocate, soulevant une dimension discriminatoire et sexiste dans l’affaire.

Une dimension également soulevée par élise Ralle, avocate en droit économique au barreau de Paris et membre du Syndicat des avocats de France (SAF). “Imaginons que ce type d’incident se reproduise et que cela devienne le mode de fonctionnement de la justice. Comme le temps de la justice est très long, les clients pourraient finir par ne plus prendre d’avocates susceptibles de tomber enceintes par peur qu’elles ne soient pas là le jour de l’audience, pointe Élise Ralle. Les clients pourraient finir par préférer prendre des avocats hommes.” Raison pour laquelle, d’ailleurs, de nombreuses avocates n’informent pas leurs client·es qu’elles sont enceintes.

Plaider jusqu’à la fin

Et si les avocates décident de ne pas se mettre totalement hors circuit, eh bien, c’est leur choix, leur problème. Elles doivent dès lors assumer, et leur statut de femme enceinte s’en trouve absolument nié. Si on ne veut pas renoncer, alors il faudrait plaider jusqu’à la veille de son accouchement et reprendre du service le périnée à peine recousu. “Il y a cette idée assez archaïque dans le métier qu’il faut consacrer sa vie à sa profession”, lance Charlotte Bonnaire, à la tête de la commission féministe du SAF. “Il y a une sorte d’intériorisation d’ailleurs, de la part des femmes elles-mêmes, du fait qu’il serait normal de ne quasiment pas s’arrêter ni avant ni après”, analyse Carole Vercheyre-Grard, avocate en droit du travail et des affaires et présidente de l’association Les mômes du Palais, lancée en septembre dernier afin de replacer justement la parentalité au cœur de la profession. 

“Je notais l’intervalle entre les contractions sur un Post-it”

Claire Poirson, avocate en droit des nouvelles technologies et vice-présidente de l’Association française des femmes juristes (AFFJ), qui promeut la place des femmes dans ces professions depuis vingt ans, a vécu cela quand elle attendait son premier enfant. Elle avait prévu de s’arrêter quinze jours avant le terme de sa grossesse. Sauf que, la veille de son arrêt, dans l’après-midi, elle se met à avoir des contractions au cabinet. Dans la précipitation, elle doit encore prendre le temps de donner ses directives à ses collègues sur ses affaires en cours et à venir. À 18 heures, elle était toujours à son bureau. “Je notais l’intervalle entre les contractions sur un Post-it”, raconte-t-elle. Lorsqu’elle arrive à la maternité, elle ne peut recevoir la péridurale car elle a oublié son dossier médical… au cabinet. Elle a accouché à 20 h 50. Elle n’avait pas eu le temps de faire la préparation à l’accouchement. “Parce qu’on me répétait que je n’étais pas malade et c’est vrai que j’étais en forme, je n’osais pas dire non”, se souvient-elle. En précisant son métier à la psychologue de la maternité, le lendemain, cette dernière lui répond : “Vous, les avocates, vous êtes les pires. Vous faites limite un déni de grossesse.”

À chacune de mes grossesses, j’ai travaillé jusqu’au vendredi, j’ai accouché le lundi et je travaillais de nouveau trois jours après, raconte de son côté Saskia Henninger, avocate en droit social au barreau de Paris et ancienne présidente de l’Association française des femmes juristes (AFFJ). J’étais en forme, mais je me rends compte aujourd’hui que j’ai payé le fait de ne pas m’être reposée avant l’accouchement sur les 2-3 années qui ont suivi mes grossesses. J’étais arrivée à un état de fatigue apocalyptique.” Dans ce métier, où la pression est quasi constante, le fait de devoir bosser jusqu’au bout du bout de sa grossesse s’est donc totalement normalisé. 

Faible indemnisation

Pourquoi en arrivent-elles à de telles extrémités ? Au-delà du sexisme plutôt généralisé dans le milieu, le nœud du problème se situe en grande partie du côté du congé maternité des avocates, notamment pour celles qui sont à leur compte ou possèdent leur propre cabinet. La plupart d’entre elles exerçant en libéral, elles dépendent d’une assurance privée (AON ou LPA, La Prévoyance des avocats, selon les barreaux) pour laquelle elles cotisent et qui les indemnise au moment de leur congé maternité, en complément de la Sécurité sociale. Dans le cas des avocates collaboratrices, la question de l’indemnisation se pose moins, car l’employeur prend financièrement en charge une partie du congé maternité, au-delà des indemnités versées par la Sécu.

Mais pour les avocates à leur compte la situation est ubuesque : “Le montant des indemnisations de l’assurance privée est extrêmement faible”, indique Me N. “Comme j’ai eu deux grossesses très rapprochées, j’ai appris que je n’avais pas le droit à une indemnisation de l’AON pour ma seconde grossesse. Du coup, je peux avoir recours à la Caisse nationale des barreaux français [CNBF], mais là encore, l’indemnisation est faible.” Or, à la tête de son cabinet, Me N. doit continuer à payer ses collaborateur·rices, une assistante juridique, des élèves avocat·es, sans compter les charges qui continuent de courir pendant son absence. Concrètement, si Me N. voulait prendre les quelques semaines de congé maternité auxquelles elle a droit, elle devrait “fermer [s]on cabinet”, assure-t-elle. 

“Disparaître totalement, c’est presque impossible”

Par ailleurs, si elle décidait en effet de toucher ses modestes indemnités, elle devra avoir interrompu son activité totalement pendant ses semaines d’arrêt en signant une attestation sur l’honneur. “On ne peut même pas répondre à un client au téléphone.” Une obligation incompatible avec le métier, assure l’avocate. “Qu’on n’aille pas sur notre lieu de travail ou aux audiences, bien sûr. Il faut être cohérent. Mais disparaître totalement de la circulation pendant quelques semaines, dans ce métier, c’est presque impossible. C’est risquer de perdre ses clients.”

En clair, résume-t-elle “on nous met dans une situation où on n’a pas d’autre choix économiquement que de venir travailler jusqu’au dernier moment et de reprendre immédiatement”. Résultat, résument Claire Poirson et Saskia Henninger : “Les trois quarts des avocates qui sont à leur compte préfèrent travailler jusqu’au bout et même pendant leur congé maternité et s’asseoir sur cette indemnité.” Pour Vanessa Bousardo, cette situation n’est pas viable : “Ce n’est pas parce qu’on est libéral qu’on doit accepter un sacrifice, qu’on doit se mettre en danger ou mettre en danger la santé de son enfant.”

Quitter la profession

Résultat, selon l’AFFJ et le SAF, nombreuses sont les avocates à être contraintes de quitter la profession après leur premier enfant parce qu’elles ne veulent pas devoir choisir entre leur carrière et leur famille. Raison pour laquelle, d’ailleurs, la féminisation de la profession s’inverse lorsqu’on regarde les patron·nes des grands cabinets. Selon la vice-bâtonnière du barreau de Paris, 30 % des femmes avocates quittent la profession avant d’atteindre dix ans de carrière. 

Les discriminations ne s’arrêtent d’ailleurs pas à la grossesse. Au sein de son association, Claire Poirson reçoit ainsi de nombreux témoignages de collaboratrices qui, à leur retour de congé maternité, se retrouvent sur la sellette. “Elles finissent par perdre confiance en elles et par croire que c’est normal d’être virée parce qu’elles ne font plus les mêmes horaires maintenant qu’elles ont eu un enfant. Et ce, même dans des gros cabinets d’affaires qui ont pourtant la trésorerie suffisante pour employer des femmes qui ont des enfants. Bien souvent, ces avocates n’osent pas saisir l’ordre.”

Trouver des solutions 

Pour tenter de sortir de cette impasse, la vice-bâtonnière du barreau de Paris, Vanessa Bousardo, travaille actuellement avec les membres du Conseil de l’ordre des avocats sur la mise en place d’un dispositif qui permettra de remplacer les consœurs quand il s’agira de solliciter leurs renvois d’audience. Concrètement, il s’agirait d’envoyer des avocat·es missionné·es par l’Ordre pour venir soutenir le renvoi. “Nous espérons présenter ce projet dans les prochaines semaines, ça relève de nos priorités”, indique Vanessa Bousardo. Pour elle, lorsqu’il s’agit d’avocates enceintes, le principe devrait d’ailleurs être que les renvois soient acquis. “Il y aura toujours des exceptions, lorsque la liberté est en cause notamment, pointe-t-elle. Mais le principe doit être le renvoi et son rejet, l’exception.”

Le SAF soutient également une autre mesure : la priorisation des avocates enceintes dans l’ordre d’appel en audience. Preuve que cela est possible, le barreau de Lyon l’a instauré en mars dernier. Les avocates enceintes sont désormais prioritaires, et ce, quel que soit le stade de leur grossesse.

Et la parentalité ?

Du côté de la commission féministe du SAF, “on compte mettre en place un groupe de travail sur le sujet de la maternité”. “On voudrait créer un petit guide pratique sur ces questions de maternité et de parentalité, avec des démarches à suivre et des conseils pour nos consœurs”, explique Charlotte Bonnaire. Preuve que la tâche est colossale, le travail de fond n’a pas encore pu être amorcé.

Et parce que la parentalité ne s’arrête pas à la maternité, Carole Vercheyre-Grard a lancé, en septembre dernier, l’association parisienne Les mômes du Palais – qui compte aujourd’hui 216 adhérent·es. Parmi eux·elles, 99 % d’avocat·es et 1% d’autres juristes, dont une trentaine d’hommes en tout. Son objectif est de replacer la parentalité dans la profession. Car si ce n’est pas facile avant l’accouchement, ça ne l’est pas davantage après, les avocat·es ne bénéficiant pas de crèche interentreprises ou de berceaux. “On est actuellement en train de regarder si on peut obtenir des avantages pour des places en crèche”, souligne Carole Vercheyre-Grard. Ça tombe bien, c’est justement l’intention de la vice-bâtonnière Vanessa Bousardo. Elle cherche, elle aussi, à mettre en place des crèches pour le barreau de Paris. Des mesures qui vont dans le bon sens, même si, à écouter les concernées, il faudrait surtout, et avant tout, donner aux avocates enceintes les moyens financiers de pouvoir s’arrêter. 

* L’initiale du nom de famille a été modifiée.

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