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Pornographie : la délé­ga­tion aux droit des femmes du Sénat veut lut­ter contre les crimes de l'industrie

Dans le sillage du choc de l'affaire « French Bukkake », la délégation aux droits des femmes du Sénat se donne un semestre pour émettre des propositions de loi visant à enrayer les crimes de l'industrie porno.

L'industrie du porno français fait l'objet, depuis le printemps 2020, d’une enquête judiciaire retentissante, dont les coulisses, dévoilés par Le Monde en décembre, montrent l'existence de violences sexuelles structurelles. Pour la première fois en France, huit hommes – quatre acteurs et quatre producteurs dont Pascal Ollitrault, dit « Pascal OP », de la plateforme française French Bukkake - ont été mis en examen en octobre 2020 et en octobre 2021. Ils sont poursuivis pour « viols en réunion », « traite d’êtres humains », « proxénétisme aggravé », « blanchiment » et « travail dissimulé ». Selon Le Monde, cinquante-trois victimes sont déjà identifiées à ce jour.

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En réaction à cette affaire dite du « porno français » ou « French Bukkake » et à la vue de la multiplication des témoignages d’anciennes actrices, la délégation aux droits des femmes du Sénat s’est emparée début janvier du sujet, en annonçant consacrer son semestre au fonctionnement et aux pratiques de l’industrie pornographique en France, avec pour objectif de publier un rapport d'information à l'été 2022 – le premier sur le sujet en France. Ce rapport analysera les conditions de tournage des actrices et des acteurs, les représentations des femmes et de la sexualité véhiculées par ces images ainsi que l’accès de plus en plus précoce des mineur·es aux contenus pornographiques et ses conséquences en matière d’éducation à la sexualité. « Les récentes graves dérives dans le milieu qui donneront lieu à un procès nous ont confortés dans cette thématique de travail, soutient la présidente de la délégation, Annick Billon (UDI) en préambule de la première table ronde. Il était temps que nous nous penchions sur le sujet, car les sites pornographiques en France, c'est 20 millions de visiteurs uniques par mois. »

Lien entre pornographie et prostitution

Une première discussion qui a réuni autour de la table, le 20 janvier dernier les rapporteuses du futur rapport (Annick Billon, Laurence Rossignol, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen) et trois associations féministes abolitionnistes, le mouvement du Nid, Les Effrontées et Osez le féminisme. De plus en plus sollicitées par des femmes victimes de ce milieu, ces associations ont d’abord pointé le lien « évident » pour elles entre prostitution et pornographie. « L’industrie pornographique est une industrie dont la particularité est de ne pas être du cinéma. Les actes sexuels sont réels, les actes de pénétration sont réels, les coups et les tortures sont réels. C’est un milieu qui réunit toutes les perversions inimaginables, souligne Sandrine Goldschmit du mouvement du Nid. Pour toutes ces raisons, il est plus approprié de parler de prostitution filmée que de film pornographique. Le porno, c’est du proxénétisme à l’échelle industrielle. » Ce sera d’ailleurs l’un des enjeux du futur procès de « l'affaire French Bukkake », dont la date n’a pas encore été révélée : pour la première fois, l'institution judiciaire française pourrait pour la première fois envisager la pornographie comme du proxénétisme.

« Tout ce qui est interdit pénalement dans la société est accepté dans la pornographie »

Annick Billon, Sénatrice UDI présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat.

Pour décrypter le phénomène, les associations ont pointé la nature des mots-clés utilisés dans les moteurs de recherche des plateformes du X tels que Pornhub, Xvidéo ou encore Jacquie et Michel. « Du racisme, de la misogynie, de la lesbophobie, de la pédocriminalité, de l'inceste, liste Claire Charlès, porte-parole des Effrontées avant de donner quelques exemples de titres de vidéo comme « Daddy fucks his teen daughter ». « Tout ce qui est interdit pénalement dans la société est accepté dans la pornographie », dénonce Annick Billon à Causette.

Osez le Féminisme, qui s’est d’ailleurs portée partie civile dans l’affaire French Bukkake, vient de signaler le 21 janvier, sur la plateforme gouvernementale Pharos, 200 vidéos jugées illégales hébergées sur d’importants sites pornographiques. Aidée d’une équipe de juristes, l'association a recensé 200 vidéos contenant des scènes montrant des enfants, des viols, des tortures, de la barbarie ou encore du racisme.  

Pornhub, l’un des mastodontes du milieu épinglé par l’association féministe, avait pourtant annoncé en décembre 2020 une série de mesures pour lutter contre les contenus illégaux après la publication d’un article du New-York Times dénonçant la présence de vidéos pédopornographiques et de viols. « On demande que la pornographie cesse d’être cette zone de non-droit, revendique Céline Piques d’Osez le féminisme lors de l’audition au Sénat. On demande que les lois actuelles s’appliquent, comme elles s’appliquent sur la prostitution et le proxénétisme. »

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Réalité violente

« On est entrés dans le vif du sujet de manière assez violente, les associations ont dressé un cadre extrêmement inquiétant. Une réalité parfois difficile à entendre mais qui est nécessaire pour comprendre de quoi l’on parle, souligne Annick Billon, interrogée par Causette. Nous ne sommes qu’au début des auditions mais on a déjà pu constater l'existence d'une pornographie d’une violence inouïe, où le consentement n’est pas toujours éclairé. »

Si les femmes qui tournent dans des films pornographiques ne sont pas toutes des victimes de violences sexuelles, les producteurs extorquent bien souvent le consentement de très jeunes femmes précaires et vulnérables. Sandrine Goldschmit du mouvement du Nid a notamment lu lors de la table ronde certains témoignages dont celui, difficile, de Nadia qui a tourné comme seule femme avec trente-cinq hommes masqués. Sa peau a été brûlée par le sperme.

C’est un combat de David contre Goliath qui oppose ces associations à une industrie tentaculaire qui génère 136 milliards de vidéos par an pour 140 milliards de dollars de profit. Des millions de vidéos accessibles aux mineur·es en un seul clic. 82 % des 18-30 ans interrogé·es dans un sondage OpinionWay réalisé en 2018 déclaraient ainsi avoir été exposé·es à du contenu pornographique avant l’âge de 18 ans. 62% avant l’âge de 15 ans.

Contrôle de l’âge

Pour endiguer le phénomène, la loi du 30 juillet 2020 oblige désormais les sites X, accessibles depuis la France à mettre en place un strict contrôle de l’âge de leurs client·es (comme l’utilisation d’une carte de paiement), selon l’amendement déposé à l’époque par la sénatrice LR Marie Mercier. Cette loi permet également à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, institution née de la fusion entre le CSA et Hadopi en janvier 2022) d’adresser une injonction de mise en conformité aux sites frauduleux et, à défaut, de saisir le président du tribunal judiciaire de Paris afin qu’il ordonne aux fournisseurs d’accès à internet le blocage des sites en cause. Mais faute de décret d’application, arrivé tardivement le 7 octobre 2021, ce n’est qu’en décembre que plusieurs sites pornographiques ont reçu cet ordre.

Ils avaient alors jusqu’au 28 décembre 2021 pour instaurer un blocage efficace aux moins de 18 ans. Mais, alors que la date butoir est largement dépassée, les sites porno semblent toujours traîner des pieds pour mettre en place un contrôle. Il suffit pour le vérifier de se rendre sur n’importe quel site de x et de cliquer sur la mention « J’ai 18 ans » pour accéder au contenu.

Audition de l’Arcom

C’est pourquoi, après le choc des auditions des associations féministes, les membres de la délégation aux droits des femmes du Sénat ont auditionné, ce jeudi 27 janvier, Carole Bienaimé Besse, membre de l’Arcom. Cette dernière a dû faire face à l’incompréhension des élues. La sénatrice centriste Dominique Vérien veut comprendre le rôle de l’Arcom car pour elle, au-délà de la protection des mineur·es, lorsque des contenus sont « explicitement un viol » ou « un appel au racisme », «  qu’on soit adulte ou mineur, on n’a pas à voir ça ou à le mettre en ligne car sinon, on est en train d’accepter de visionner un crime ». « Nous sommes compétents sur [la diffusion et l'accessibilité des] contenus audiovisuels et numériques. Nous ne sommes pas compétents sur la chaine de fabrication de ces contenus. La mission de l’Arcom est de s’assurer que les sites pornographiques ne sont pas accessibles aux mineurs », se défend la membre de l’Arcom. « C’est vrai que votre travail, c’est de faire que ces sites ne soient pas accessibles aux mineurs mais on a l’impression que cette mission n’est pas remplie », pointe Annick Billon. Pour Carole Bienaimé Besse, la difficulté réside dans la multiplication de « sites miroirs ». « On sait très bien que si le juge décide de faire bloquer un site, on peut le voir renaître sous une autre adresse en quelques heures. »

« J’ai mis "viol, film sexuel" sur Google et immédiatement on me propose : "viol, film complet, vidéo porno sexe, HD gratuit". Et je pense que je n’ai pas besoin d’avoir 18 ans pour y accéder. »

La sénatrice centriste Dominique Vérien

La membre de l’Arcom assure avoir « passé en revue les conditions générales d’utilisation des plateformes ». Selon ces dernières, les sites supprimeraient automatiquement les contenus dès lors qu’ils ne respectent pas la loi. Des propos immédiatement démentis par la sénatrice Dominique Vérien. Elle sort son portable : « J’ai mis "viol, film sexuel" sur Google et immédiatement on me propose : "viol, film complet, vidéo porno sexe, HD gratuit", constate-t-elle. Et je pense que je n’ai pas besoin d’avoir 18 ans pour y accéder. »

Pour Annick Billon, le problème réside surtout dans le « manque de moyen ». « On parle de millions de vues, on parle de millions de personnes qui visionnent ces vidéos chaque mois, soupire-t-elle. On n’est pas doté aujourd’hui des outils pour lutter contre cette pornographie criminelle de grande ampleur. » Après avoir écouté les associations féministes et l’Arcom, la délégation aux droits des femmes du Sénat recevra le 3 février prochain des chercheur·euses et des juristes pour discuter des règles juridiques et contractuelles dans le milieu du porno. Les sénatrices entendront également au cours des prochains mois des acteurs et actrices, des sociétés de production mainstream mais aussi des sociétés de production se revendiquant féministes et des journalistes d’investigation qui ont infiltré le milieu. Mais également des médecins qui témoigneront des répercussions du porno sur les demandes de chirurgie esthétique. Un large panel qui permettra à la délégation de faire un état des lieux complet de ce qu'est le porno français aujourd’hui, avant de rédiger des propositions, « dont certaines seront législatives », d’ici la fin de l’été.

Lire aussi l Suite à l’affaire « Pascal OP » : propositions pour que le porno change enfin, par Olympe de G.

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