a little girl sitting at a red picnic table
Photo : Renaud Confavreux / Unsplash

“Nos expé­riences sont une exper­tise” : les ancien·nes enfants placé·es se struc­turent pour sur­veiller la com­mis­sion d’enquête parlementaire

De jeunes adultes passés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ont lancé, mardi, un “comité de vigilance” pour peser sur les travaux de la future commission d’enquête parlementaire relative aux dysfonctionnements du système.

“Je me suis engagé sans réserve dans ce collectif parce que je sais que quand on est placé, on ressent très souvent une solitude morale immense, confie Davy Beauvois, 23 ans, à Causette. Ce comité de vigilance que nous créons, c’est d’abord pour leur dire qu’ils·elles ne seront plus jamais seul·es : non seulement on les croit, mais on se bat pour elles et eux, pour qu’ils et elles puissent être placé·es dans de bonnes conditions et dans le respect de leur dignité et leur intégrité.”

Comme Davy, quatre-vingts personnes qui ont été des enfants placé·es et ont, pour la plupart, éprouvé dans leur chair les dysfonctionnements d’un système aujourd’hui à bout de souffle, viennent de rejoindre le “comité de vigilance” lancé mardi 19 mars à l’occasion d’une réunion à Paris. On y retrouve évidemment l’incontournable militant de la protection de l’enfance Lyes Louffok. Créé à l’initiative d’Ayda Hadizadeh, déléguée générale des Oubliés de la République, ce comité se donne pour mission d’observer et participer aux travaux de la commission d’enquête parlementaire qui, dès avril, doit se pencher sur la crise de l’Aide sociale à l’enfance.

Manque de moyens chroniques, pénurie d’éducateur·rices, enfants livrés à eux-mêmes dans des hôtels malgré une récente interdiction de ces placements, morts tragiques de trois adolescentes suivies par l’ASE depuis l’automne : c’est peu dire que le système de protection et d’encadrement des enfants placés – 300 000 dans le pays – se porte très mal, malgré la loi Taquet de 2022 censée améliorer les conditions de prise en charge et malgré l’abnégation des travailleur·euses sociaux·les engagé·es par les Départements. Causette s’est entretenue avec Ayda Hadizadeh et Davy Beauvois, membre du comité et lui-même placé en famille d’accueil de ses 3 à 16 ans.

Causette : Comment est née cette initiative et pourquoi ? Quel est votre état d’esprit ?
Ayda Hadizadeh et Davy Beauvois :
Quand la création de la commission d’enquête a été annoncée, notre première réaction fut le soulagement, parce qu’on était de nombreux·euses enfants et ex-enfants placé·es à se battre pour qu’elle voie le jour. Mais on ne voulait pas juste regarder les choses se passer. On veut être un acteur clé dans ce processus, pas juste des témoins. On est fatigué·es que nos histoires soient juste là pour émouvoir. Nos expériences sont une expertise, et c’est cette expertise qui peut vraiment montrer l’ampleur des dysfonctionnements, des violences systémiques que les enfants placé·es ont enduré et endurent encore. On a créé ce comité en pensant à elles et eux, en se disant qu’on serait là pour veiller au grain. Nous leur faisons une promesse : on sera là pour vous ! Nous sommes déterminé·es. Savoir qu’on est déjà 80 quatre-vingts alors que la commission n’a même pas commencé, ça nous donne une énergie incroyable. On va collectivement œuvrer pour des changements drastiques.

Quels messages prioritaires souhaitez-vous transmettre aux parlementaires ?
A.H. et D.B. : Le message général qu’on souhaite faire passer c’est qu’on sera vigilant·es du début à la fin au fait que la commission d’enquête fasse un travail de fond, aborde les vrais enjeux, tous les enjeux et ne se contente pas de langue de bois.
Mardi soir, on était toutes et tous en phase sur nos points de vigilance et ce qu’on attend de cette commission. D’abord, être vigilant·es sur les personnes qui seront convoquées : certain·es responsables politiques doivent venir s’expliquer devant la représentation nationale, rendre des comptes. C’est ce que “responsable” veut dire et nous y veillerons.
Ensuite nous serons vigilant·es à la qualité des questions posées : nous mettrons notre expertise à disposition des membres de cette commission pour qu’elles soient réellement pertinentes. Et bien entendu, nous mettrons un point d’honneur à vérifier la véracité et la qualité des réponses apportées : nous ferons savoir quand il y aura mensonges, déni de responsabilité ou euphémisation des violences, nous n’hésiterons pas à dénoncer devant la justice des propos mensongers et on informera le grand public !
Enfin, nous serons exigeant·es sur le fait que cette commission aborde l’ensemble des sujets qui touchent les enfants placé·es : personne ne le sait, car personne ne le dit, mais la santé physique et mentale des enfants placé·es est dans un état déplorable. Aujourd’hui, en moyenne, l’espérance de vie des enfants placé·es est de vingt ans inférieure à celle de la population générale !
Nous veillerons aussi à ce que les besoins spécifiques de certain·es enfants soient correctement abordés : les enfants en situation de handicap, ultramarin·es, LGBT+, les mineur·es non accompagné·es et tous et toutes les enfants laissé·es pour compte. Nous ne laisserons pas nos frères et sœurs de galère devenir les boucs émissaires des dysfonctionnements de l’ASE. Cela fait des décennies que les enfants placé·es souffrent de la maltraitance et de la négligence des institutions !

Quelles pourraient être les thématiques abordées par les personnes auditionnées qui auraient besoin d’être fact-checkées ?
A.H. et D.B. :
Nous avons trop de fois entendu, encore récemment, des responsables politiques de l’Aide sociale à l’enfance fuir leurs responsabilités et se renvoyer la balle. Par exemple, des présidents de départements expliquent qu’ils n’ont pas d’autres solutions que de mettre des enfants placé·es à l’hôtel, livré·es à elles et eux-mêmes. C’est tout simplement honteux : d’une part parce qu’aucun·e de ces responsables n’envisagerait une seconde de le faire pour ses propres enfants. Et d’autre part, parce que c’est faux ! Nous pouvons démontrer, chiffres à l’appui, que ces départements ont fait d’autres choix d’investissement, au détriment de la protection des plus vulnérables.
Nous voulons aussi entendre l’ancienne ministre de l’Enfance Charlotte Caubel expliquer pourquoi elle n’a pas publié le décret d’application de la loi Taquet interdisant les placements dans les hôtels.
Le problème de la protection de l’enfance est que les enfants placé·es n’étant “les enfants de personne”, personne n’est là pour leur demander des comptes. C’est désormais terminé, nous, on sera là !

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