Xavier CHIBOUT Auber Umay 2
© Xavier Chibout / RATP

On a visi­té la pre­mière “safe place” de la RATP

À Paris, trois boutiques de la station de RER Auber peuvent désormais accueillir des victimes : un petit pas symbolique dans la lutte contre le harcèlement dans les transports.

À vue d’œil, rien ne différencie la boutique Relay Fnac des autres magasins de la zone commerciale en sous-sol de la station de RER Auber, sur la ligne A. Si ce n’est une banderole flottant à l’entrée et annonçant “safe place Umay”. En effet, depuis le mois de décembre, le kiosquier, ainsi que le Monoprix et l’échoppe de cosmétiques Avril de la même gare sont devenus des safe places, c’est-à-dire des lieux où les victimes de harcèlement peuvent trouver refuge sans se faire envoyer paître ou se faire draguer. Le personnel a ainsi été formé à la règle dite des “trois R” : recueillir, rassurer, renseigner. “Ils ne sont pas là pour être psys ou policiers”, nuance Pauline Vanderquand, fondatrice de l’application mobile gratuite Umay, qui a mis en place ce dispositif en partenariat avec la RATP. L’appli a été lancée en 2019 pour répertorier les endroits “sûrs”, permettre de lancer l’alerte en cas de problème et se géolocaliser en direct auprès de ses proches. “Il y a quelques années, j’ai été harcelée dans l’espace public et j’ai demandé de l’aide à un vigile d’un magasin qui me l’a refusée,” se souvient Pauline Vanderquand. Umay répertorie désormais 6 500 safe places en France et revendique plus de 60 000 utilisateur·rices actif·ves.

Plus de “safe places Umay” en 2024 à la RATP

Cette première initiative parisienne de la RATP est pour l’instant très modeste : la formation des personnels est d’une heure et il faut, pour les victimes, être au courant de l’existence de ces lieux qui sont d’abord des magasins et ne proposent pas d’espace dédié pour s’asseoir ou se reposer. “C’est un premier niveau d’accueil,” reconnaît volontiers Sandrine Charnoz, responsable de la lutte contre le harcèlement sexuel dans les transports à la RATP, à qui l’on doit l’idée. Le dispositif est appelé à s’étendre en 2024 : la RATP a passé un accord avec Lagardère pour labelliser, dans ses stations, trente-cinq points de vente et former quatre-vingts employé·es. Contrairement aux idées reçues, la station Chatelet, méga hub parisien n’est pas le pire spot de la capitale : les signalements reçus par l’appli Umay indiquent que le harcèlement de rue et le sentiment d’insécurité ont lieu “partout, de jour comme de nuit”, indique Pauline Vanderquand.

Distribution de flyers et numéro d'urgence

D’autres initiatives visant à protéger les victimes de harcèlement dans les transports ont été testées et mises en place à l’étranger : au Mexique et au Japon on trouve, par exemple, un wagon réservé aux femmes dans le métro. “Une fausse bonne idée”, selon Sandrine Charnoz, qui rappelle que les voyageur·euses francilien·nes sont, pour plus de 50 %, des femmes : “Toutes les femmes qui ne seraient pas dans ce wagon seraient susceptibles d’être agressées…”, explique-t-elle, peu convaincue. Une initiative surtout très coûteuse à mettre en place.

La “safe place Umay” s’inscrit dans une stratégie plus globale de lutte contre le harcèlement mise en place par la RATP sur son réseau – trop tardivement, diront certain·es. Depuis quelques années, elle a en effet multiplié les campagnes, avec plus ou moins de succès, comme la distribution aux usager·ères de 300 000 marque-pages réalisés avec le programme Stand Up de l’ONG Hollaback ! pour sensibiliser les témoins à intervenir en cas d’agression. Ou encore la mise en place d’un numéro d’alerte en cas de harcèlement, le 3117. Le poste occupé par Sandrine Charnoz a d’ailleurs été créé en 2020 : avec une équipe de trois personnes, ce pôle spécialisé travaille en partenariat avec des associations de prévention ou des organismes de formation féministes comme Egaé, En avant toute(s) ou encore le Centre Hubertine-Auclert. Sandrine Charnoz constate, à l’image du reste de la société, une évolution dans la prise de conscience des violences sexistes et sexuelles chez ses équipes de terrain : “Avant, quand une victime se présentait, ils étaient un peu désemparés”, explique-t-elle. Les personnels de la RATP au contact du public sont désormais formés à la prise en charge des victimes et proposent, par exemple, d’appeler un commissariat ou de faire raccompagner les personnes chez elles : 113 propositions de taxis ont ainsi été faites en sortie de commissariat en 2022.

Seulement 7% de plaintes

Le harcèlement dans les transports reste un problème endémique, puisque sept femmes sur dix sont ou ont déjà été concernées, selon des chiffres d’une nouvelle étude (pas encore diffusée) de la RATP – voire neuf femmes sur dix, selon la Fédération nationale des associations d’usagers des transports. “Tout doit être dénoncé”, martèle Sandrine Charnoz, qui reconnaît qu’il y a “encore du travail. Trop de femmes ont intégré ces actes du quotidien et, pour une main aux fesses, elles ne vont pas forcément en parler alors que c’est peut-être ce qui les minera le plus”. Or, seules 7 % des victimes portent plainte, selon les chiffres de la RATP, soit 156 plaintes par jour enregistrées sur le réseau d’Île-de-France en 2020, selon une note de police consultée par Le Parisien – une goutte d’eau dans un océan. Rappelons que la peine encourue pour harcèlement de rue est de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
L’enjeu est d’autant plus crucial pour la RATP avec l’horizon des Jeux olympiques, l’été prochain, qui verra à la fois un afflux colossal de voyageur·euses sur son réseau et les yeux du monde entier braqués sur la capitale. Dans cette optique, les équipes sont formées à la prise en charge du harcèlement en anglais. “On s’est mis en ordre de marche,” assure Sandrine Charnoz. À vérifier dans quelques mois.

À lire aussi I Harcèlement de rue : “L’éducation, c’est la clé”

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