Inceste : la Commission indé­pen­dante tor­pille le "syn­drome d'aliénation parentale"

Sept mois après son lancement en mars 2021, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a publié le 27 octobre un premier avis : « Mères en lutte ». Le co-président de la Ciivise, Edouard Durand, revient sur ces premières recommandations visant à garantir une meilleure protection des enfants victimes, mais également des mères.

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Edouard Durand © Sébastien Soriano

Le 27 octobre, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) émettait trois premières recommandations au gouvernement pour protéger les enfants victimes d’agressions sexuelles incestueuses ou de viols. Un point étape pas forcément prévu par la Ciivise mais rendu nécessaire face à l’afflux de témoignages de mères relatant leur souffrance face au manque d’écoute et de moyens des institutions pour venir en aide à leurs enfants. Entretien avec Edouard Durand, co-président de la commission et juge des enfants.

Causette : En septembre 2021, vous lanciez une plateforme d’écoute et un appel à témoignages pour écouter et soutenir les victimes. Comment cela se fait-il que, dès la fin du mois d’octobre, vous rendiez un premier avis, intitulé « Mères en lutte » ?
Edouard Durand : Notre appel à témoignages résulte de la vocation de notre commission : recueillir la parole des personnes adultes, qui, dans leur enfance, ont été victimes de violences sexuelles. Mais depuis la création de la commission, nous avons reçu des centaines et des centaines de témoignages spontanés et quasiment la totalité de ces messages sont des appels à l'aide, adressés par des mères. Elles nous racontent s’être rendues au commissariat, aux services sociaux, au tribunal et être entrées dans une machine infernale, accusées de mentir. Leur enfant n'est pas protégé. C'est la raison pour laquelle, dès le 27 octobre, nous avons publié cet avis « mères en lutte ». Nous portons à la connaissance de la société toute entière et des pouvoirs publics tous ces appels à l'aide.

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Trois recommandations ont donc été rédigées par la Ciivise, quelles sont-elles ?
E.D. : L'idée est d'assurer la sécurité de l'enfant qui révèle des violences dans un cadre particulier : l'inceste parental. Dès lors qu'une enquête est diligentée pour agression sexuelle ou viol, il faut suspendre les poursuites contre le parent protecteur pour non-représentation d'enfant. Quand un enfant vous dit « j'ai été victime de viol chez papa », la réaction humaine normale, c'est de ne plus renvoyer l'enfant chez son père. Il faut donc cesser de poursuivre la mère pour non-représentation de l'enfant. Aujourd’hui, c'est un délit, puni d'une peine d'emprisonnement. Mais dans un modèle où vous avez un parent agresseur et un parent protecteur, si vous n'assurez pas la sécurité du parent protecteur, vous n'assurez pas la sécurité de l'enfant.
Deuxième chose, lorsqu'au terme de l'enquête, le procureur de la République, enclenche les poursuites pénales contre le parent mis en cause, il faut que la loi dispose que le droit de visite, d'hébergement, et l'autorité parentale du parent poursuivi, soient suspendus de plein droit, jusqu’au jugement. Jusqu’à présent, la suspension du droit de visite était laissée à l'appréciation des juridictions. C'est la raison pour laquelle ces mères nous ont alerté de façon aussi massive.
Et, au bout du compte, la commission préconise que, lorsqu'un parent est déclaré coupable et condamné, l'autorité parentale lui soit automatiquement retirée. Il y aura toujours la possibilité pour le parent de demander à revenir sur ce retrait. Y a-t-il une transgression plus grave de l'autorité parentale que de violer sa fille ou son fils ?

La commission entend-elle s’attaquer au sujet dudit syndrome d’aliénation parentale, cette théorie introduite par le psychiatre Richard A. Gardner au début des années 1980, selon laquelle les mères tenteraient de monter leur enfant contre leur père, en particulier lors de séparation ?
E.D. : Bien sûr, ce pseudo-syndrome est un concept anti-protection. Il faut absolument proscrire son usage par les professionnels. L'infiltration de ce concept dans la pensée et les pratiques des professionnels est une caution du déni social de l'inceste, qui existe encore aujourd’hui.
Il y a des situations de manipulation des enfants, mais le concept d'aliénation parentale n'est pas forgé pour penser ces situations, mais au contraire, pour les dissimuler. Là où il y a le plus de manipulation des enfants, c'est quand il y a de la violence. Pour assurer son impunité et garder le contrôle sur sa famille, le parent agresseur attaque la relation mère-enfant, manipule l'enfant. Le risque que nous courrons n'est pas d'inventer des violences ou de sur-interpréter des révélations de violences, mais de ne pas protéger des enfants.

"Une étude canadienne de 2005 montre que les mères ne commettent de dénonciation intentionnellement fausse que dans 2 % des cas"

Quelle est la part de fausses plaintes de maltraitance dans le cas de séparation ?
E.D. : Elle est extrêmement marginale, résiduelle. Une étude de 2005 de Trocmé et Bala [respectivement chercheur en travail social et professeur émérite, auteurs de False allegations of abuse and neglect when parents separate, dans la revue Child Abuse & Neglect, ndlr] vient objectiver cette réalité : sur un échantillon de 7 672 dossiers de maltraitance sur enfants, le parent ayant la garde de l’enfant, la mère le plus souvent, n’est l’auteur que de 7 % des dénonciations d’une part et ne commet une dénonciation intentionnellement fausse que dans 2 % des cas d'autre part, soit 12 cas sur l’ensemble des dossiers de maltraitance. Il y a un tel fossé entre la suspicion systématique des mères et de leur enfant, et les chiffres car c'est toujours plus facile de ne pas voir la violence que de la voir.

Comment ces recommandations peuvent-elles être suivies d’effets ?
E.D. : C'est au parlement et au gouvernement, de s'emparer de nos préconisations. Nous sommes une commission qui a vocation à recommander la construction d'une politique publique plus protectrice des enfants. Je passe le relais à nos parlementaires, à nos ministres pour qu'ils se saisissent de ces préconisations, qu'ils fassent qu'elles deviennent une réalité et qu'ainsi les enfants soient mieux protégés.

Après ces trois recommandations, quelles sont les prochaines étapes ? Un rapport final est-il prévu ?
E.D. : Nous devrons, au terme de nos travaux, dans deux ans, rendre un rapport qui restitue la parole des victimes et des experts. Nous espérons bénéficier du concours des inspections générales des ministères, pour pouvoir évaluer les politiques publiques, et notamment ce point aveugle que sont les 70 % de classement sans suite des plaintes déposées pour violences sexuelles sur les enfants. Nous voulons comprendre les besoins des professionnels, pour arriver à renforcer notre culture de la protection. Mais la protection des enfants n'attend pas. C'est pourquoi nous avons fait ce premier avis. A chaque fois que nous aurons suffisamment consolidé nos préconisations, nous les publierons.

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