Popularisé par le succès de l’émission Drag Race France sur France 2, l’art du drag, étendard de la communauté LGBTQIA+, questionne les normes de genre et séduit un large public, jeunes comme vieux et vieilles, hétéros et queers confondu·es. Alors que les performeuses fortes en gueule de l’émission partent en tournée triomphale à travers la France, retour sur ce phénomène feel-good.
Un dimanche d’août, une foule bigarrée se presse au bar À la Folie, dans le parc de La Villette (Paris 19e) pour assister sur grand écran à la finale de Drag Race France. L’organisatrice, la drag queen Minima Gesté, choucroute, faux seins pigeonnants et maquillage outrancier, commente en direct les épisodes avec une répartie savoureuse : « J’espère que vous avez passé un aussi bon été que moi à regarder des travelottes sur le service public ! » Les travelottes en question sont les drag queens qui se sont affrontées chaque semaine, cet été, dans cette compétition cathodique. Contre toute attente, le programme a fédéré jusqu’à 7 millions de téléspectateur·rices sur France 2. « C’est dingue ce qui s’est passé, commente le scénariste Raphaël Cioffi, qui a bataillé cinq ans pour importer et adapter cette émission américaine en France. J’ai 40 ans et je n’ai jamais vécu des moments qui ressemblent autant à une Coupe du monde pour célébrer la communauté queer. C’est comme le Mondial, sauf qu’il y a un but toutes les minutes. »
Club kids et comedy queens
On doit donc à France 2 d’avoir récemment popularisé le drag, performance artistique dans laquelle des hommes, généralement gays, se glissent, sur scène, dans la peau d’un personnage féminin exagéré jusqu’à la caricature. Devenir une queen implique de mobiliser toute une panoplie comprenant perruques, rembourrage, maquillage et costumes élaborés. Aux unes le bagout, aux autres l’outrance ou le mauvais goût : chacune a son style propre – il y a les reines de beauté, les club kids (fêtardes), les comedy queens (comiques)… « Mon personnage est une version libérée de moi-même, détaille Minima Gesté, performeuse bien connue des salles parisiennes, qui a postulé plusieurs fois sans succès pour participer à l’émission. Mon style est coloré et bruyant. Je fais 1,83 m, donc en talon et perruque j’arrive à 2 mètres facilement. Quand je me maquille, c’est pour qu’on me voie depuis le dernier rang ! » Femmes trans, personnes racisées, barbues, grosses… la communauté drag s’est également ouverte, au fil des années, à des profils variés.
La pratique du drag s’ancre dans une tradition française haute en couleur, celle du transformisme. « La France a été le pays qui a vu naître des cabarets connus dans le monde entier, dans les années 1940 à 1970, comme Madame Arthur, Michou ou Elle et lui », contextualise Paloma, gagnante de la première saison de Drag Race France. « À l’époque, précise-t-elle, ça ne s’appelait pas du drag, il s’agissait d’une culture du travestissement consistant à ressembler à des vedettes. » Cette scène riche en personnalités excentriques jusqu’au tournant des années 1990 tombe en désuétude à la fin des années 2000. Lorsque Paloma, Hugo Bardin dans le civil, emménage à Paris en 2009, elle déchante : « Le drag, c’était devenu hyper ringard, limite sordide et personne ne connaissait. À ce moment-là, dans le Marais [quartier gay parisien, ndlr], on voulait voir des mecs musclés, pas des hommes efféminés. »
Sofian Aïssaoui, journaliste et auteur du seul ouvrage
"Ce sont toujours des artistes qui jouent avec la féminité, mais leur style est plus déconstruit, il questionne le genre et l’identité"
français consacré au drag
L’heure est aux éphèbes bodybuildés plutôt qu’aux folles, remisées au placard. Journaliste et auteur du seul ouvrage 1 français consacré au phénomène, Sofian Aïssaoui découvre, lui, une scène drag parisienne en pleine mutation, en 2015 : à l’époque, aucun éditeur ne veut publier son livre sur le sujet. Il résume : « On considérait que c’était un sujet de niche très superficiel, pas[…]