DRAG RACE SAISON 2 S02 1
Nicky Doll, présentatrice de Drag Race France (©FTV)

« Il n'y a rien de plus fort que le diver­tis­se­ment pour ouvrir des débats et faire bou­ger les lignes » : Nicky Doll se confie à la veille du retour de "Drag Race France"

À la veille de la diffusion du premier épisode de la saison 2 de Drag Race France, la compétition de drag-queens haute en couleur, Causette a recueilli les confidences de l'iconique présentatrice Nicky Doll sur le succès surprise du show, ses répercussions sur la scène drag et sur la violence subie par les queens ces derniers temps.

Avec sa première saison, Drag Race France, déclinaison française de l'émission américaine RuPaul's Drag Race, a conquis le cœur de nombreux·ses téléspectateur·trices. Plusieurs millions de personnes ont regardé sur France tv Slash et France 2 cette compétition haute en couleur de drag-queens, présentée par la drôle et élégante Nicky Doll, de son vrai nom Karl Sanchez. Causette a recueilli ses confidences, à la veille de la diffusion du premier épisode de la saison 2, sur le succès surprise du show, ses répercussions sur la scène drag et la violence subie par les queens ces derniers temps.

Causette : À la veille de la diffusion du premier épisode de la saison 2, comment vous sentez-vous ? Appréhendez-vous le retour du public, après le succès de la saison 1 ?
Karl Sanchez/Nicky Doll : Avant l'enregistrement de la saison 2, j'étais un peu stressé. Il s'agit d'un projet important, pour lequel on a pris des risques. Ce n'était pas gagné d'arriver à convaincre le peuple français que la prise de la Bastille devait se faire par des drag-queens (rires) ! On a reçu une réponse positive du public, notre casting a été apprécié avec une vraie ferveur. Du coup, il était un peu stressant de présenter de nouvelles concurrentes et de faire aussi bien, voire mieux.
Après être arrivé sur le plateau, je me suis finalement rendu compte que, même si la saison 1 et ses participantes étaient iconiques, on pouvait toujours faire de la place à d'autres artistes qui sont aussi doués. Ces nouveaux épisodes sont très différents. On va les apprécier pour d'autres raisons, car on ne traite pas exactement des mêmes sujets. Mais il s'agit toujours de la même énergie que pour la saison 1, de la même bienveillance. 

Justement, est-ce que vous vous attendiez à ce que la saison 1 rencontre un tel succès ? Est-ce que vous aviez un peu peur que ça ne prenne pas du tout comme show ?
N.D. : Je vous avoue que lorsqu'on était en train de créer cette magie dans le noir, je me disais : "Est-ce que la France est prête pour tout ce qu'on présente ?" J'ai quitté l'Hexagone en 2015 parce que j'avais justement besoin de me challenger, de pouvoir rêver plus gros et plus grand. À l'époque, la France ne semblait pas encore vouloir faire de la place à la scène drag. Mais quand j'ai vu, dès le premier épisode, les retours positifs aussi bien des fans de Drag Race, que des gens qui n'y connaissaient rien du tout, ça m'a beaucoup ému. Je ne m'attendais pas du tout à ce que mon pays soit prêt à ce point. C'est la preuve qu'on a un public qui souhaite voir d'autres choses à la télévision.

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Dans tous ces retours que vous avez pu avoir du public, quels sont ceux qui vous ont le plus marqué ? 
N.D. :
La première chose touchante, mais qui était prévisible, c'est qu'énormément de personnes queers se sont senties représentées et nous ont remercié d'avoir enfin un projet fait pour eux et ensuite pour tout le monde. Un projet qui œuvre à la représentation et permet aux personnes isolées, n'ayant pour certaines pas fait leur coming-out, de pouvoir se dire qu'en fait, elles ne sont pas seules.
J'ai aussi reçu beaucoup de messages d'alliés qui avaient une mauvaise conception de ce qu'était le drag. Par exemple, une mamie de 76 ans m'a écrit sur Instagram pour me remercier de lui avoir enfin apporté les outils pour comprendre ce qu'était une drag-queen, mais aussi ce qu'était le mal-être qu'une personne queer pouvait vivre au quotidien. Elle m'a assuré que maintenant elle serait beaucoup plus ouverte d'esprit. Il n'y a rien de plus fort que le divertissement pour ouvrir des débats et faire bouger les lignes. On a réussi à créer des conversations à travers du rire, des larmes, du divertissement,  de la danse, du chant, du théâtre... Je pense que c'est beau et que c'est comme ça qu'on fait avancer des points de vue.

Avez-vous l'impression que l'émission a permis à la scène drag d'être plus connue, plus mainstream ? 
N.D. : Le drag a toujours existé en France. On a un passé drag qui est très riche, avec une scène cabaret unique, que beaucoup de personnes nous envient. Je crois que les gens, quand on leur parle de drag-queens, pensent d'abord à Michou et à ce genre de choses. Il s'agit justement d'une des facettes du drag qui existait le plus en France. Mais celui à l'état pur, un peu à l'américaine, où on fabrique un personnage fictif, une sorte de super-héroïne, un avatar, pour créer notre art, est assez nouveau et pas assez mainstream en France. L'émission a permis de mettre cette forme de drag sur le devant de la scène.
Le programme a également dynamisé le système. Il n'existait pas encore énormément de soirées qui permettaient aux drag-queens d'être bien payées ou de pouvoir vivre de leur art. La majorité d'entre elles avaient un job alimentaire. Grâce à l'émission, les choses changent enfin. Le fait d'avoir de la visibilité semaine après semaine, l'été, sur le service public, ça permet aux promoteurs de boîtes de nuit de se dire qu'il y a vraiment plus à faire, de donner leur chance aux drag-queens. De plus en plus de viewing parties, ces soirées où l'on se retrouve pour regarder l'émission dans un bar, naissent également chaque jour un peu partout en France, pas juste à Paris . La scène drag se développe aussi ailleurs que dans la capitale. Je suis persuadé qu'il va y avoir encore plus de talents qui vont naître.

"Le drag est une extension du genre, un commentaire sur le genre"

Parmi les critiques qui peuvent venir de certaines féministes, les drag-queens perpétueraient des clichés parfois un peu sexistes sur les femmes. Que répondez-vous à ces critiques qui vous sont parfois faites ? 
N.D. : Pour commencer, je dirais à ces personnes-là d'aller voir un show drag et de ne pas s'arrêter à des photos qu'elles voient sur les réseaux sociaux. Parce que c'est vrai que si on se base que sur des photos, sans avoir de contexte, même moi je pense que je pourrais être un peu effrayé (rires) ! Le drag est une ode et un poème à la femme, à ce sexe qui est, selon moi, le plus fort sur cette planète. Les femmes se battent et sont tout aussi discriminées que la communauté queer. Les femmes queer sont d'ailleurs doublement discriminées. Je n'ai été élevé que par ma maman, donc je n'ai pas comme finalité de faire du mal à son genre ou de l'humilier. Il faut vraiment se rendre compte que le drag est une extension du genre, un commentaire sur le genre. On emprunte des codes féminins, mais on n'affirme pas être la représentation de la femme : on ne s'attend pas à ce qu'une femme soit une blonde peroxydée perchée sur des talons de 18 cm. Ma mère, ce n'est pas le cas du tout par exemple. Pourtant, elle comprend qu'il s'agit d'un commentaire, d'une libération du genre. Et d'ailleurs, il n'existe pas que des drags-queens, mais aussi des drags-kings et des drags-queer ou des drags créatures, qui empruntent aux deux genres.

On voit monter, surtout aux Etats-Unis, mais aussi de plus en plus en France, une violence à l'égard des drag-queens, notamment celles qui font des lectures pour les enfants. Est-ce que cela vous préoccupe ? Est-ce que vous avez peur que ça prenne des proportions un peu démesurées ? 
N.D. : J'aimerais que la France ne prenne pas l'exemple des Etats-Unis. Parce qu'aux Etats-Unis, une guerre culturelle est en cours contre le drag et le genre. Il s'agit du nouveau point que les conservateurs ont essayé de trouver pour faire bifurquer la conversation des armes à feu, par exemple.
Ce que j'explique aux critiques, et parfois aux personnes de ma communauté, c'est que, comme dans n'importe quel art, il existe des extrêmes. On ne va pas emmener un enfant de 7 ans aller voir une magnifique strip-teaseuse qui travaille dans un club de nuit à 3h du matin. C'est pareil pour le drag. Certaines drags sont faites pour du mainstream, s'habiller en princesse et aller lire un conte de fées véhiculant des valeurs de tolérance. Ce qui va aider les enfants à avoir toutes les armes possibles pour pouvoir juste être de belles personnes. Et d'autres drag vont faire des choses un peu plus subversives, que je vais adorer aller voir à 3h du matin. Mais je n'y emmènerais pas ma petite cousine de 7 ans (rires) ! Finalement, il faut voir l'art du drag comme n'importe quelle forme d'art. Il y a des choses qui peuvent se voir la journée et d'autres qui sont plus pour le soir.

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Beaucoup de sujets politiques (l'homophobie, la transphobie, la sérophobie...) ont été abordés lors de la première saison de Drag Race France. Pouvez-vous nous parler des nouveaux messages qui vont être portés pendant la saison 2 ? 
N.D. : Il y en a plusieurs, mais je n'ai pas du tout envie de gâcher l'expérience des spectateurs avant la diffusion.  Donc il faudra attendre pour les découvrir. Mais ce que je peux dire, c'est que l'on a des drag-queens très différentes de la saison 1, avec d'autres horizons et d'autres vécus poignants. Il y a aussi de très beaux messages tout au long de la saison. J'ai hâte que tout le monde puisse la découvrir.

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