Baptiste Beaulieu : « Le #MeTooInceste libère la parole des patients »

« Ce qui se passe actuellement avec la question de l’inceste a un effet que vous n’imaginez pas dans nos cabinets médicaux. Des langues se délient, des patient·es parlent. Nous parlent. » Mardi 26 janvier, le médecin généraliste et auteur Baptiste Beaulieu racontait sur Twitter l’effet du #MeTooInceste dans la libération de la parole jusqu’à l’intérieur de son cabinet. Nous l’avons interviewé.

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Causette : Depuis la parution, le 7 janvier, de La Familia grande, de Camille Kouchner et les témoignages sur les réseaux sociaux de personnes ayant subi un inceste à travers le hashtag #MeTooInceste, certain·es de vos patient·es s’ouvrent à vous sur le sujet. Comment analysez-vous le rôle de dépositaire de la parole du « médecin de famille » que vous êtes ?
Baptiste Beaulieu : Depuis quelques semaines que l’attention médiatique est focalisée sur le sujet de l’inceste, quatre personnes que je suivais depuis des années ont choisi de se confier à moi et de me raconter les violences sexuelles qu’elles ont subi dans le cadre familial lorsqu’elles étaient enfant. Les associés de mon cabinet observent la même chose.
Le contexte médiatique, le fait que la société en parle, font remonter des souvenirs enfouis à la surface et donc de la souffrance. En nous parlant, elles se libèrent d’un poids.
Je ne saurais dire si tous les médecins vivent actuellement la même chose, je pense que cela dépend de la relation que l’on entretient avec ses patients. Je crois que ces confidences sont le reflet d’un lien de confiance, dans une société où la figure du confesseur disparait et où il est difficile de trouver une oreille attentive. En ce sens, le cabinet du généraliste est un sanctuaire et doit le demeurer, afin d’accompagner les victimes dans leur processus de résilience.

Tous les médecins n’ont pour autant pas cette capacité d’écoute. D’où vient la vôtre ?
B.B. : Il y a peut-être un effet génération qui joue aussi, parce que la jeune génération de médecins dont je fais partie est peut-être un tout petit peu plus sensibilisés aux violences sexuelles, qu’elles soient intra ou extra familiales. Les violences sexuelles sont, je crois, des questions que notre génération ose plus facilement aborder avec des patients. On ne nous l’a pas enseigné à la fac de médecine - ce que je regrette - mais je considère que ce sont des questions qui devraient être posées durant les interrogatoires d’antécédents. A cette occasion, on évoque les antécédents médicaux, familiaux, chirurgicaux… En tant que médecin qui se considère comme militant, je m’efforce aussi d’aborder cette question délicate.

Comment procédez-vous ?
B.B. :
Je ne le fais pas lors du premier rendez-vous, car ce sont des sujets très délicats, douloureux et intimes qu’il convient d’aborder lorsqu’une bonne relation est établie. J’essaie toujours de donner un aspect le plus clinique possible à la question, car il y a dans le champ clinique un territoire qui permet de dire avec moins d’affect. Je crois que cela permet à la personne d’avoir moins peur de parler parce que, par effet d’association au sein d’un entretien clinique, le sujet est soudain dépassionné. Sur l’instant, évidemment, parce que les larmes et l’émotion viennent évidemment par la suite, lorsque c’est dit.

Les personnes vous racontent directement une fois la question posée  ou y a-t-il un temps de décantation ?
B.B. : Ce que je constate, c’est que la première réponse est souvent : « qu’est ce que vous entendez par violences sexuelles ? » Cela révèle qu’en France, on n’a qu’une très vague idée de ce que sont les violences sexuelles. Il y a encore aujourd’hui des victimes qui ignorent qu’elles sont victimes, parce que faire penser aux victimes qu’elles n’en sont pas, c’est la première manière d’occulter ce phénomène systémique.

Qu’attendent ces personnes en s’ouvrant à vous ?
B.B. : La plupart manifeste l’idée que, de toute manière, c’est trop tard pour elles. Que ça fait trop longtemps, mais qu’elles ont besoin de le dire. Je les aiguille vers un soutien psy mais il est compliqué pour elles d’accepter, parce que beaucoup ont peur de remuer la douleur. Ce que je trouve qui marche bien, ce sont les groupes de parole dédiés aux personnes ayant subi des violences sexuelles dans l’enfance. Cela leur permet de trouver des adelphes, des personnes qui ont vécu les mêmes souffrances et qui les croient.

En tant que médecin, que pouvez-vous dire de l’incidence de ces traumatismes sur la santé des patient·es à l’âge adulte ?
B.B. : A mes yeux, c’est évident que ça a un impact. Je vois notamment des comportements addictifs chez certains patients, et souvent une sexualité fissurée, très difficile, douloureuse et désordonnée. Une observation personnelle ne vaut rien scientifiquement. Peut-être que des études scientifiques ont prouvé ces séquelles. Bien sûr, il existe aussi des personnes qui s’en sortent.

La corporation des généralistes devrait-elle systématiser la pratique de questionner autour des violences sexuelles ?
B.B. : Cela me paraît fondamental, avec la difficulté qu’on ne peut pas édicter de règles sur des questions aussi intimes. Cela reste à la discrétion du médecin, qui doit trouver pour chaque patient la bonne façon d’aborder le sujet. Un patient, en tant qu’individu, c’est un monde en soi.

Quand on reçoit cette parole en tant que généraliste et que ce n’est pas forcément le cœur de notre métier, comment fait-on pour tenir ?
B.B. : J’ai droit à un joker ? C’est certainement éprouvant car cela génère beaucoup de colère face à l’injustice de ce qui nous est raconté. A nous, ensuite, de composer avec cette colère.

Lire aussi : « L’inceste est un sujet de santé publique, il lui faut un institut dédié »

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