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Les couleurs du drapeau trans © Katie Rainbow 🏳️‍🌈

Transidentité infan­tile : après la fer­me­ture de l'emblématique centre de la cli­nique Tavistock, Londres opte pour un modèle régionalisé

Fin juillet, le système de santé publique du Royaume-Uni a annoncé la fermeture du centre pour enfants et adolescent·es de la clinique Tavistock, pionnière depuis trente ans. Une décision qui fait suite aux recommandations d’un rapport plaidant pour une approche décentralisée, qui permette de limiter les erreurs de prise en charge.

« Nous travaillons main dans la main avec nos partenaires des nouvelles structures et nos responsables pour assurer la continuité des soins de notre patientèle, où que cela soit possible. » Jeudi 25 août, la clinique Tavistock and Portman, basée à Londres (Grande-Bretagne), a publié un communiqué pour prendre acte de la fermeture de son service de prise en charge des troubles de genre chez les mineur·es. Annoncée le 28 juillet par le National Health Service (NHS, système de santé publique du Royaume-Uni), cette fermeture, qui interviendra au printemps prochain, sera compensée par la création de deux nouveaux centres d’accompagnement du jeune public trans, l’un situé à Londres et l’autre probablement à Manchester.

Depuis trente ans, la clinique de santé mentale Tavistock s’était spécialisée dans l’accompagnement des enfants et adolescent·es transgenres à travers le GIDS (pour Gender Identity Developpment Service, centre du Développement de l’identité de genre). Le GIDS était perçu comme l’un des pionniers en Europe et l’unique centre dédié à la transidentité des mineur·es dans le pays.

Mais son travail est remis en question ces dernières années, alors que plusieurs controverses et un rapport indépendant ont émaillé sa réputation. En 2020, le NHS avait confié à la docteure Hilary Cass un rapport indépendant sur le fonctionnement du GIDS. Son lancement a été jugé nécessaire dans un contexte où plusieurs voix (patient·es, parents, salarié·es) avaient émis des critiques sur la rapidité avec laquelle l’institution prescrivait des médicaments bloqueurs de puberté (lourds et dont certains effets sont irréversibles) à sa patientèle souffrant de dysphorie de genre, c’est-à-dire dont l’identité de genre ne correspond pas à leur sexe biologique.

Dans son rapport intermédiaire rendu en mars 2022, la Dre Cass s’inquiétait de la saturation des services du GIDS, due à une demande de prise en charge qui a explosé ces dernières années. Ancienne présidente du Royal College of Paediatrics and Child Health (pédiatrie et santé de l’enfant), elle indiquait que « l’actuel modèle médical, avec un seul centre national, n’est plus soutenable sur le long terme » et préconisait donc la création de plusieurs centres. La création de deux centres décidée par le NHS devrait également permettre de multiplier les expertises puisque dans, ce même document, Hilary Cass pointait « l’absence de consensus et de débat sur la nature de la dysphorie de genre et par là même sur la réponse médicale appropriée ». Et d’inciter les autorités sanitaires à établir des règles médicales permettant de contrôler la qualité de la prise en charge de la transidentité infantile : « Parce que le service spécialisé a évolué rapidement et de façon interne en réponse à la demande, l’approche médicale et, globalement, les services proposés n’ont pas été soumis aux contrôles de qualité habituels qui sont généralement appliqués quand des traitements nouveaux ou novateurs sont introduits. »

Une salariée lanceuse d’alerte gagne son procès contre Tavistock

Cette absence de recul scientifique a été plusieurs fois pointée par la justice. En septembre 2021, la lanceuse d’alerte Sonia Appleby a gagné un procès contre son ex-employeur, la clinique Tavistock, avec 20 000 livres de dommages et intérêts. Psychalanyste et psychothérapeute spécialisée dans la protection de l’enfance, Sonia Appleby était chargée de protéger les enfants suivi·es par l’établissement des risques de mauvais traitements. Après avoir été alertée par d’autres médecins du fait qu’une consœur prescrivait des bloqueurs de puberté à des enfants de 10 ans et à d’autres dont les dossiers médicaux étaient encore en cours d’évaluation, la docteure Appleby a alerté la direction de la clinique. Laquelle a finalement été reconnue coupable par le tribunal de l’avoir ensuite placardisée et donc « empêchée de mener à bien son travail de protection de l’enfance ».

Mais c’est une autre affaire judiciaire, très médiatisée outre-Manche, qui a encore plus terni la réputation de la clinique Tavistock et entraîné la mise sur pied de l’enquête Cass : « l’affaire Keira Bell ». Assignée femme à la naissance, Keira Bell a entamé avec Tavisotck un traitement hormonal à 16 ans pour que son corps concorde avec son identité masculine. La vingtaine passée, elle détransitionne. Et attaque la clinique qui lui avait administré le traitement, qu’elle regrette. En conséquence, en décembre 2020, la justice a restreint les conditions d’accès aux soins de transition aux mineur·es de moins de 16 ans, ne les estimant pas capables de formuler un consentement « libre et éclairé » au sujet de leur identité. Cette restriction n’a été que temporaire puisqu’en septembre 2021, les juges ont cassé la décision après un appel de Tavistock, estimant que c’est « aux médecins et non à la cour de justice de décider de la compétence des mineurs à consentir ».

Lire aussi l Détransition de genre : l'ultime tabou

De fait, la tourmente dans laquelle se trouve la clinique Tavistock relève de la difficulté d’apporter la juste réponse au bon moment à ces enfants et adolescent·es. D’un côté, la détresse de ces jeunes souffrant de vivre dans un corps qu’ils et elles rejettent avec force peut inciter les professionnel·les de santé à les soulager au plus vite en leur prescrivant des bloqueurs de puberté pour ralentir l’apparition des signes sexuels secondaires. De l’autre, la dysphorie de genre ne peut être dans certains cas qu’un symptôme de mal-être plus général, voire de problèmes de santé mentale. Cette possibilité nécessite alors de ne pas précipiter la prise de bloqueurs de puberté.

"La médecine est une science de l'incertitude"

Ce sont ces nuances que la docteure Hilary Cass voudrait voir comprises par l’opinion. À la suite de la vaste médiatisation de la fermeture du GIDS, l’experte a publié une note de blog, le 18 août, dans laquelle elle rappelle la complexité d’un sujet hautement inflammable et en appelle à l’humilité de chacun·e : « La médecine est une science de l’incertitude dans un monde où nous voulons tous de la clarté et des réponses noires ou blanches. » Face aux doutes, Hilary Cass développe son argumentation pour la création de plusieurs structures dédiées à l’accompagnement des mineur·es trans, tout en apportant son soutien à l’équipe médicale de la clinique Tavistock, dont l’image a été considérablement affectée : « L’équipe qui travaille dans le service du GIDS a démontré de la compassion et un fort engagement professionnel envers leur patientèle. Son expérience et son engagement continu seront essentiels pour assurer une transition sans accroc vers le nouveau modèle d’accompagnement. En parallèle, nous devons soutenir et développer les futurs effectifs qui seront la clé de l’efficience des nouveaux centres régionalisés. »

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