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Colonies de vacances : la fin d’un temps béni ?

Hausse des coûts, baisse des aides publiques, chute des effectifs : les colonies de vacances sont en déclin. Et avec elles, la mixité sociale, mise à mal par la marchandisation du secteur.

« Ancienne colonie de vacances à rénover, grand potentiel touristique, proche chaîne des Puys. 990 000 euros. » « Centre de vacances à vendre en Isère, au cœur du massif de la Chartreuse. 395 000 euros. » Des annonces comme celles-ci, on en compte aujourd’hui par dizaines – et jusque sur Le Bon Coin. De la Bretagne aux Alpes en passant par la Drôme ou par la Charente-Maritime, voilà maintenant des années que, les unes après les autres, des communes, des entreprises ou
des associations mettent en vente leurs centres de vacances. Une tendance massive, qui marque la fin d’un âge d’or : celui des colonies de vacances. À la grande époque, des années 1980 jusqu’au début des années 1990, 13 à 14 % des enfants et des adolescent·es partaient en séjour collectif de plus de cinq nuits : en 2011, ils et elles n’étaient plus que 7,5 %. L’an dernier, 900 000 d’entre eux sont parti·es en colo… loin des 1,6 million recensé·es en 1995 !

Moins nombreux·euses à partir en colo, les jeunes y restent aussi moins longtemps. Fini, le temps où on envoyait ses enfants en camp de vacances pour trois ou quatre semaines, comme c’était le cas dans les années 1960 et 1970. Les séjours de plus de deux semaines, encore majoritaires dans les années 1990, se font désormais rares. En vingt ans, leur durée s’est réduite de moitié, passant de quatorze jours, en moyenne, à sept jours en 2019. « Ça fait trente ans que la fréquentation des colonies baisse, confirme Jean-Michel Bocquet, enseignant en sciences de l’éducation et directeur du Mouvement rural de la jeunesse chrétienne. Il y a plein
d’explications à ça : l’augmentation du nombre d’enfants qui passent un mois chez papa, un autre chez maman (ce qui fait qu’on va moins facilement en colo), le désintérêt d’un certain nombre de gens pour ces séjours parfois trop grands, trop rigides, qui ne correspondent pas à leurs attentes. Il y a aussi la crainte que leur enfant ne soit pas respecté dans son individualité. Et puis le coût des séjours. »

Chères colos

C’est qu’elles ont un prix, les jolies colonies de vacances : 469 euros, en moyenne, par semaine d’été pour un enfant de moins de 12 ans, et 710 euros pour une semaine d’hiver. Un coût élevé qui, selon un sondage Ifop réalisé en 2016, représente aujourd’hui le principal frein au départ (cité par 59 % des répondant·es), suivi par le manque de confiance dans le personnel accompagnant (57 %). Et c’est d’autant plus vrai pour les classes moyennes, qui ont fait les frais du changement de la politique familiale, au milieu des années 1990. À cette période, les aides publiques, qui soutenaient jusqu’alors le départ des enfants en vacances, ont été réorientées vers d’autres services (les centres de loisirs, notamment) et se sont aussi resserrées vers les foyers les plus modestes.

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Résultat ? « Les franges les plus aisées n’ont pas de difficultés à faire partir leurs enfants. Avec le système d’aides des Caisses d’allocations familiales ou des mairies, la frange la plus défavorisée a aussi la possibilité de le faire, avec un reste à charge très faible, voire nul. En revanche, il y a toute une partie de la population qui se trouve à la limite des quotients familiaux et qui a beaucoup plus de mal à partir en congés et à envoyer ses enfants en colonie. Et ce ne sont pas les problématiques actuelles liées à l’augmentation du prix du carburant et des dépenses alimentaires qui vont faciliter leur départ », alerte Laurent Bruni, directeur général de l’Union française des centres de vacances (UFCV).

Mais il n’y a pas que dans les familles que se pose la question du coût des colos. Les collectivités locales, qui ont longtemps été de grosses pourvoyeuses de séjours collectifs, ont elles aussi réduit la voilure. Un tournant qui a commencé à s’opérer dans les années 1980, quand elles ont vu baisser les dotations de l’État et que, dans le même temps, elles ont été amenées à développer de nouveaux services. « Ces collectivités, qui géraient souvent les centres de vacances en direct, ont peu à peu réorienté leurs financements vers l’accueil de loisirs de proximité, préférant encadrer des activités sur leur commune plutôt que de faire partir un certain nombre d’enfants en colonie », poursuit Laurent Bruni, de l’UFCV. Sans compter qu’en parallèle, les bâtiments accueillant ces séjours ont dû subir de coûteuses mises aux normes (sécurité, handicap, etc.). Moins fréquentés, chers à entretenir, ces lieux sont devenus des gouffres financiers pour leurs propriétaires. « L’alourdissement des réglementations a conduit à la fermeture de certains d’entre eux, faute de moyens pour mettre aux normes ces équipements », confirme Laurent Bruni. Des lieux qui, peu à peu, ont été rachetés pour être transformés en logements ou, le plus souvent, en hôtels de luxe. Pendant que les colos opéraient, elles aussi, leur mue touristico-commerciale.

Pour tenter de pallier la hausse des coûts et d’attirer les familles, nombre d’organisateur·rices ont en effet changé leur fusil d’épaule. Délaissant les colos généralistes à l’ancienne, ils se sont mis à proposer des séjours thématiques, surenchérissant dans les activités et les prestations proposées.Karting, plongée, jeux vidéo, équitation, séjour « Harry Potter », « Walt Disney », ou semaine linguistique… « On a eu, dans les années 1990, une montée en force très importante des séjours à thème. Les organisateurs étant pris par la nécessité de remplir leurs séjours, et donc de proposer une offre commerciale alléchante pour le public », observe Laurent Bernardi, directeur national des Ceméa, un mouvement d’éducation populaire qui forme aux métiers de l’animation. Or cette mise en concurrence, qui s’est accompagnée d’une montée en gamme (et donc des prix), n’a pas permis d’enrayer le déclin des colonies. Mais elle a conduit, en revanche, à segmenter les publics.

« La mixité sociale, qui était l’un des principaux atouts des colonies de vacances, est désormais battue en brèche du fait de leur spécialisation thématique, des écarts de coûts qu’elle implique, de la disparition des subventions qui compensaient ces écarts pour les familles modestes et de la relégation des enfants défavorisés dans des séjours qui leur sont réservés », prévenait déjà, en 2013, un rapport d’information parlementaire sur l’accessibilité des jeunes aux séjours collectifs. Là où les colonies de vacances permettaient, hier, de dépasser les clivages sociaux, elles tendent aujourd’hui à renforcer les inégalités entre enfants ou adolescent·es. « Malgré le discours classique sur la mixité dans les colos, le fait est qu’il n’y en a pas ou peu – qu’on parle de mixité sociale, ethnique ou de genre. Structurellement, il y a des colos de riches et des colos de pauvres. De la même façon, certaines sont facilement accessibles aux garçons (par exemple, les séjours “foot”) mais pas aux filles, et inversement. Cette tendance est renforcée par le marché, mais aussi par des politiques publiques qui vont cibler, segmenter, sectoriser les publics, voire en discriminer certains », dénonce Jean-Michel Bocquet, coauteur d’un rapport d’évaluation du dispositif #GénérationCampColo (qui avait été lancé par le gouvernement en 2015). Mais les rapports ont beau se succéder – et se répéter – depuis dix ans, la réponse des pouvoirs publics se fait toujours attendre.

Besoin de retisser du lien

Il y a bien eu quelques initiatives, ces dernières années, pour tenter de relancer les colos. En 2015 d’abord, avec la création de #GénérationCampColo, un programme – aujourd’hui abandonné – destiné à soutenir financièrement une cinquantaine de projets « innovants ». En 2017 ensuite, avec la campagne nationale de communication « 100 % colo », rebaptisée « À nous les colos ! » depuis 2019. Et enfin en 2020, avec le lancement en grande pompe des « colos apprenantes », qui permettent depuis deux ans à des enfants issus de publics prioritaires de partir en vacances – mais à condition d’y faire leurs devoirs. « L’appellation nous a fait sourire, voire rire, car les colonies de vacances ont, par définition, toujours été apprenantes ! » ironise Laurent Bernardi, des Ceméa, qui se dit « inquiet pour l’avenir des colos. Mais pas définitivement pessimiste ».

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Contre toute attente, la crise liée au Covid semble avoir provoqué un regain d’intérêt pour les séjours collectifs. « Avec les protocoles sanitaires qui changeaient constamment, 2020 a été compliquée. Mais cette année, on voit un vrai redémarrage : le phénomène d’érosion s’est arrêté et les inscriptions sont reparties à la hausse », constate Laurent Bruni, de l’UFCV. Après deux années marquées par les confinements et la distanciation physique, le besoin de retisser du lien et de partir à la découverte de nouveaux horizons se fait sentir. L’envie de retrouver du sens – et de la simplicité – aussi. « On a organisé nos premières colonies l’été dernier, en proposant des séjours locaux, en tente, dans des espaces naturels, avec une pédagogie axée sur l’autonomie et la coopération. Et on a été surpris de la réception de notre projet, qui a très bien marché. Parce qu’il y a une demande des familles », observe Guillaume Viger, cofondateur de l’association Des camps sur la comète.

Dans une société en proie à de multiples crises, les colonies de vacances à l’ancienne n’ont peut-être pas dit leur dernier mot. « Je crois qu’on ne convaincra plus les familles avec de super séjours remplis d’activités clinquantes. En revanche, les colos traditionnelles, qui sont des lieux d’émancipation, de rencontre de l’autre et de découverte du milieu naturel, répondent à des enjeux qui sont précisément ceux de notre société », veut croire Laurent Bernardi. Oui, les colos ont encore de l’avenir. À condition qu’on les soutienne et qu’on leur permette de se réinventer, pour redevenir un objet éducatif… plutôt qu’un produit touristique.


L’animation fait aussi son #MeToo

Elle a connu la joie des colos, puis découvert leur face sombre en y travaillant comme animatrice. Pour dénoncer les violences sexuelles dans le milieu de l’animation, Anissa, tiktokeuse de 22 ans, a lancé mi-mars le compte Instagram #MeTooAnimation. Après avoir reçu quatre cents témoignages en trois mois, elle a créé une association et lancé une pétition pour appeler à prendre des mesures afin de former, éduquer et sensibiliser les animateurs·rices à la lutte contre les violences sexuelles. Il serait temps !

Lire aussi l #MeTooAnimation : Anissa, l'animatrice en lutte contre la pédocriminalité dans les colos


Cherche animateur·rices désespérément

Attention, pénurie en vue ! Dans les séjours collectifs comme dans les centres de loisirs, on peine à recruter des animateurs et des animatrices. « Il nous manque encore 10 % de nos animateurs pour encadrer les enfants durant les colonies
d’été. Mais là où c’est beaucoup plus compliqué, en revanche, c’est sur l’encadrement des séjours de vacances pour les personnes handicapées, où 36 % des animateurs et directeurs de séjours n’ont toujours pas été recrutés »,
témoignait Laurent Bruni, directeur général de l’Union française des centres de vacances, début juin. Une tendance de fond qui ne devrait pas aller en s’arrangeant. Car les détenteurs et détentrices du Bafa (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) sont de moins en moins nombreux·euses. De 54 800 jeunes formé·es en 2011, les effectifs sont tombés à 42 900 en 2019, avant de s’effondrer à 31 000 en 2020.

« C’est un peu remonté en 2021, mais sans qu’on retrouve les chiffres d’avant le Covid. Pendant deux ans, ce sont 15 000 à 17 000 jeunes qui n’ont pas été formés et qui vont nous manquer », poursuit Laurent Bruni. Une chute liée à la crise sanitaire, mais pas seulement : si le Bafa n’attire plus autant qu’avant, c’est que le secteur de
l’animation est en crise. Et que les jeunes sont d’autant moins enclins à encadrer des colos que cet engagement – exigeant et peu indemnisé – est souvent lié au fait d’être soi-même parti, plus jeune, en colo. Autrement dit, moins les enfants sont nombreux·euses à partir en séjours de vacances, et moins ils et elles seront nombreux·euses, plus tard, à passer leur Bafa. C’est l’effet domino.

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