round white ceramic plate with sliced vegetables
© Laura Johnston

Santé : les dan­gers du crudivorisme

Le décès de Zhanna D’Art, une influenceuse russe qui prônait le crudivorisme, relance la polémique autour de ce régime ultra-restrictif qui peut s'avérer très dangereux pour ses adeptes.

Zhanna Samsonova est morte à l’âge de 39 ans le 21 juillet dernier. Les causes de son décès sont encore inconnues, mais ses proches affirment que l’influenceuse russe serait « morte de faim » après avoir suivi exclusivement un régime de fruits exotiques en Malaisie. Connue sous le pseudonyme « Zhanna d’Art » sur les réseaux sociaux, la jeune femme prônait une alimentation crudivore auprès de ses milliers de followers.

Depuis plusieurs années, elle se nourrissait exclusivement de fruits et de légumes crus, mais ces derniers temps, son état de santé inquiétait son entourage. « Elle avait l’air hagard, les jambes enflées, d’où coulait de la lymphe, a indiqué l’un de ses proches auprès d’un média russe. Quand je l’ai vue à Phuket, j’ai été horrifié. J’habitais à l’étage au-dessus et chaque jour, j'avais peur de retrouver son cadavre le matin. » 

À l’image de Zhanna Samsonova, de nombreuses personnes adoptent la pratique du crudivorisme, une alimentation basée uniquement sur des produits crus et non transformés. Ce régime alimentaire est né au XIXᵉ siècle et théorisé en Europe par le médecin suisse Maximilien Bircher-Benner. En France, il est sous le feu de l’actualité depuis la mise en examen, en mars dernier, du Youtubeur et pseudo-naturopathe Thierry Casasnovas pour « abus de confiance », « faux et usage de faux », « exercice illégal de la médecine » ou encore « abus de faiblesse ».

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Pour accréditer son discours, il prétend avoir survécu à une tuberculose et à une hépatite en adoptant un régime crudivore. L’histoire marche : avant sa mise en examen, ses quelque 841 vidéos, diffusées sur sa chaîne YouTube Regenere comptabilisant près de 600.000 abonné·es, cumulent plus de 95 millions de vues. Dans ces dernières, le gourou du cru qui ne possède aucun diplôme médical dit apporter « des conseils génériques en alimentation, et plus largement en hygiène de vie, destinés aux personnes souhaitant adopter une approche plus naturelle ». Il défend le régime cru mêlé à des jeûnes pour mieux vivre, régénérer et détoxifier son corps. Selon le pape du crudivorisme, les méthodes de cuisson altéreraient la qualité nutritionnelle des aliments et provoqueraient des substances nocives. Supprimer ou minimiser l’étape de cuisson permettrait de conserver l’intégrité des nutriments et enzymes, et faciliterait ainsi la digestion des aliments, protégeant l’appareil digestif.

Selon Thierry Casasnovas, manger cru permettrait même de guérir la dépression, des maladies chroniques comme le diabète, l’endométriose ou la maladie de Crohn, et plus grave encore, certains cancers. Un discours qui a séduit nombre d’adeptes. Il assimile le cancer à une maladie « un peu plus intense qu’un nez qui coule » et nie l’existence du virus du Sida. Pendant la pandémie du Covid-19, il met en doute le virus comme le vaccin et rameute ainsi toutes les sphères complotistes.

Questionnement

Solenn Thircuir, docteure en sociologie de la santé, a consacré, à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) sa thèse sur le crudivorisme. Entre 2014 et 2018, elle a ainsi rencontré une soixantaine de personnes ayant expérimenté le crudivorisme afin de comprendre leur trajectoire. Difficile cependant d’établir un profil type. Si ces expériences individuelles sont toutes différentes, Solenn Thircuir a cependant observé certaines similitudes au fil de ces entretiens : « Ce sont souvent des personnes assez diplômées qui ont choisi ce régime alimentaire à la suite d’une “rupture biographique”, c’est-à-dire un problème de santé et une mauvaise prise en charge médicale, un rejet des modèles de consommation alimentaire traditionnel ou encore une perte de sens, explique-t-elle à Causette. Elles sont soulagées d’entendre qu’il est possible de retrouver la joie de vivre, la santé, en changeant seulement leur pratique alimentaire. » Il existe aussi une dimension spirituelle : le besoin de revenir à une façon de vivre plus authentique. « Il y a quelque chose que l’on retrouve dans le mouvement New Age venu des États-Unis avec une autre manière de penser la nature, d’être en harmonie avec elle », ajoute Solenn Thircuir. 

C’est le cas d’Anne-Laure, 63 ans. Il y a deux ans, cette ancienne directrice d’association tombe sur une vidéo d’Irène Grosjean, l'autre papesse du cru. Désireuse de nettoyer son corps des toxines, d’améliorer sa digestion et de se sentir mieux dans sa peau, elle tente l’aventure du cru. Matin, midi et soir, elle ingère des fruits et légumes crus ainsi que des noix. L’expérience dure deux petits mois. Si au départ, Anne-Laure se vante de retrouver de l’énergie, rapidement l’aventure tourne au vinaigre. La fatigue s’installe. « J’ai commencé à avoir de violents maux de ventre, raconte-t-elle à Causette. Ça avait mis le bazar dans mes intestins. » Sur les conseils de son médecin, Anne-Laure stoppe le régime cru, mais il lui faudra plusieurs semaines pour remettre de l’ordre dans son estomac. Et avec le recul, elle regrette aujourd’hui l’expérience. « Je me suis sentie manipulée par les discours de prétendus thérapeutes », souligne-t-elle.

Si l’histoire s’est bien terminée pour Anne-Laure (le prénom a été modifié), ce ne fut pas le cas de Carole R. décédée en mars 2018 après une semaine de jeûne. La femme de 63 ans souffrait d’hyperthyroïdie. Après avoir visionné des vidéos de Thierry Casasnovas, elle commence par pratiquer le crudivorisme. Elle arrête son traitement et bascule rapidement vers le jeûne de longue durée. « On lui répétait que stresser ses organes la ferait guérir. Forcément, la promesse était belle », a dénoncé son frère Michel en octobre 2019 auprès du Parisien. C’est en participant à une semaine de jeûne non encadré médicalement, qu’elle décède de déshydratation. 

À l’image de ce qui est arrivé à Carole, les conséquences sur la santé physique des adeptes peuvent être dramatiques. Dans ses vidéos, Thierry Casasnovas incite par exemple les personnes atteintes de cancers ou de maladies chroniques à remettre en cause les pratiques thérapeutiques médicales, expliquant par exemple que la chimiothérapie est toxique et inefficace. Martha (le prénom a été modifié), 56 ans, a succombé à un cancer de l’utérus il y a deux ans. Elle avait refusé l’opération, les soins et la chimiothérapie. A la place, cette adepte des préceptes de Casasnovas se nourrissait de jus et pratiquait le jeûne pendant plusieurs semaines. 

Conséquences sur la santé

Même s'il apporte de l’eau et certaines vitamines, le régime crudivore a ses limites. « En termes d’énergie, manger uniquement cru est insuffisant, indique Céline Blétry, médecin nutritionniste au CHU de Grenoble. Les personnes vont être carencées en fer et perdre leur masse musculaire. À long terme, la dénutrition peut entraîner le décès. » La santé physique n’est d'ailleurs pas la seule impactée. « Quand on est dénutri, le cerveau fonctionne beaucoup moins bien, il tourne au ralenti, observe la médecin nutritionniste. Ça dégrade la santé mentale des personnes qui sont alors plus sujettes à la dépression ou à l’épuisement ».

Le crudivorisme peut d’ailleurs être une porte d’entrée vers l'orthorexie (l'obsession d'une alimentation saine) et les troubles des conduites alimentaires. « J’ai eu des patientes tellement angoissées par ce qu’elles mangeaient qu’elles réduisaient de plus en plus les quantités jusqu’à quasiment ne plus rien avaler », explique Cécile Blétry. Pour elle, la difficulté réside dans la perte de confiance dans la science et la médecine. « Ce sont des personnes qui vont avoir tendance à s’isoler, elles ne viennent pas nous voir, elles sont complètement déconnectées », affirme-t-elle.  Quasiment toutes les personnes que Solenn Thircuir a interrogées dans le cadre de sa thèse de sociologie ont dépeint l’incompréhension de leur entourage. « Pour éviter la discussion, certaines ne mangeaient plus en famille », indique la docteure en sociologie. Mais cette dernière ajoute : pour la plupart des crudivores, le cru ne sera qu'une étape. Et pour ceux·celles qui le pratiquent sur une longue durée, iels le font de façon flexible, en conservant une diversité alimentaire, et préservent ainsi leurs liens sociaux.

Caractère sectaire

Reste que le caractère sectaire du régime crudivore a poussé la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) à s' intéresser au phénomène. Depuis plusieurs années, elle met régulièrement en garde contre les dérives associées au crudivorisme. Depuis 2011, elle a recensé plus de 600 signalements contre lui. Un record.

Dans le cadre de l’enquête à l’encontre de Thierry Casasnovas, plusieurs plaintes de victimes ont été recueillies. Les investigations ont aussi permis de révéler d’importants bénéfices avec des montages financiers suspects : blanchiment, pratique commerciale trompeuse, abus de confiance et abus de bien social. Des infractions évaluées à un montant de plus de 2,7 millions d’euros.

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