Ecole polytechnique 53452191807
© Ecole polytechnique / Wikimedia Commons

“Gabriel Attal ne veut pas être vu avec l’étiquette ‘ministre gay’” : dans “Sortir du pla­card”, Sonia Tir inter­roge la visi­bi­li­té des per­sonnes LGBT en politique

Quelques jours seulement après la nomination comme Premier ministre de Gabriel Attal, devenu le premier homme politique ouvertement gay à Matignon, Sonia Tir publie Sortir du placard. Un essai dense, fruit d'une centaine d'inverviews, qui analyse la visibilité des personnes LGBT dans le paysage politique français.

Sonia Tir Copyright Clemence Louise Biau
Sonia Tir © Clémence Louise Biau

Le 9 janvier 2024, Gabriel Attal est nommé Premier ministre au lendemain la démission d’Élisabeth Borne. Une nomination historique : il est à la fois, à 34 ans, le plus jeune politique nommé à Matignon mais aussi le premier ouvertement gay. Une semaine après, Sonia Tir, conseillère politique et ancienne journaliste, publie Sortir du placard, un premier livre sur… la visibilité des personnes LGBT dans le paysage politique français. Un essai dense, fruit d'une centaine d’interviews, qui tombe donc à pic pour analyser la place des hommes et femmes politiques qui ne font pas mystère de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, et qui accèdent à des postes de premier plan. Que change pour un homme ou une femme politique d’être LGBT ? Faut-il être militant ou non pour progresser ? Tous les partis politiques traitent-ils les personnes homosexuelles et trans de la même manière ? Sonia Tir essaie de répondre à toutes ces questions à travers les témoignages de l’ancien ministre des Transports Clément Beaune, de l’élue parisienne Alice Coffin, ou encore du député RN Thomas Ménagé, qui réalise son coming out dans son livre.

Causette : Votre livre démarre sur la séquence du Mariage pour toutes et tous. Jugez-vous qu’il existe un avant et un après pour la visibilité des personnes LGBT en politique ?
Sonia Tir :
Je fais démarrer mon livre en 2013, car j’avais besoin de me raccrocher à une temporalité et que j’ai réalisé mes entretiens au moment des dix ans du vote de la loi. J’ai l’impression que les choses ont commencé à bouger à partir de ce moment, notamment en termes de visibilité des ministres et des élus.

On voit aujourd’hui de plus en plus de coming out par conviction, contrairement à ceux qui étaient forcés, avec des personnes mises devant le fait accompli.
S.T. : Je note, en effet, qu’il y a des coming out moteurs, avec des politiques qui ne veulent pas exercer un mandat sans cette transparence. Lorsque Clément Beaune parle de son homosexualité, c’est au moment de l’apparition de zones anti-LGBT en Pologne, lorsqu’il est ministre délégué chargé de l’Europe. C’est fort. D’autres le font, car ils n’ont plus de choix. Comme Gabriel Attal, lorsqu’il est “outé” par Juan Branco dans son livre Crépuscule, en 2019. Il a alors besoin de reprendre sa communication en main, pour montrer qu’il ne se cache pas. 
Mais en général, l’outing reste assez rare et se pratique de moins en moins. En 2024, plus personne n’“oute” des gens. J’ai rencontré des personnalités politiques de premier plan, LGBT, mais qui n’en parlent pas. Car c’est encore trop compliqué. Elles ont aussi peur que ce soit un frein dans leur carrière, ne sont pas à l’aise avec leur famille ou n’ont pas envie que ce soit une donnée politique. Il s’agit plutôt de personnes âgées. Je pense qu’il existe un gap générationnel.

À lire aussi I “Plus jeune, le mariage ne faisait pas partie de mon univers mental” : Clément Beaune se confie sur l’importance de la loi Taubira

Vous écrivez dans votre livre que Gabriel Attal ne s’exprime “pas plus que le minimum” sur son homosexualité. Est-ce pour cette raison qu’il a pu être nommé Premier ministre ? Car il n’est pas jugé militant ?
S.T. :
Il s’agit d’une très bonne question. Emmanuel Macron est un président très libéral sur les sujets sociétaux, mais il ne faut pas non plus que ce soit trop militant. Quand il nomme des ministres, il s’agit avant tout de personnes fidèles qui respecteront la politique du gouvernement, c’est-à-dire d’agir comme un seul homme. Très peu de membres de la majorité se déversent dans la presse pour critiquer la politique gouvernementale. Je pense que cette donnée prévaut sur l’orientation sexuelle d’un homme ou d’une femme politique. Gabriel Attal est un mini-Macron. Ce dernier sait très bien qu’en le nommant, il ne va pas taper contre Catherine Vautrin ou Gérald Darmanin.

C’est sa fidélité au président qui explique que Gabriel Attal aille jusqu’à accepter dans son gouvernement la présence de ministres très à droite et anti-mariage pour tous ou PMA ?
S.T. : Gabriel Attal ne me parle pas dans le livre, car il ne veut pas être vu comme “ministre gay”. Il ne veut pas être ramené à cette étiquette. Quand il était en couple avec Stéphane Séjourné, tous les deux faisaient preuve d’une très grande discrétion. Ils n’ont jamais donné d’interview commune ou reconnu leur couple. C’est volontaire et sûrement stratégique : lorsqu’on a les ambitions de Gabriel Attal, on réfléchit avec un logiciel politique. Être étiqueté de la sorte n’est pas forcément une bonne donnée pour certains électeurs.

Sa nomination a été reçue d’une manière ambivalente par la communauté LGBT. Certains se sont félicités de voir un Premier ministre gay nommé, d’autres ont noté qu’il n’avait jamais fait preuve d’un grand militantisme. N’aura-t-il qu’une valeur symbolique ?
S.T. :
La communauté LGBT est en effet divisée. La nomination d’un Premier ministre gay de 34 ans représente un symbole incroyable. Mais politiquement, il va falloir regarder ce qu’il va faire et comment il va se positionner. En Serbie, Ana Brnabić est la première femme et première lesbienne à occuper le poste de présidente du gouvernement. Elle a fait une PMA à l’étranger avec sa compagne, mais n’a aucun droit sur son enfant en raison des lois de son pays. Elle s’est également opposée à la célébration en Serbie de l’Europride [Marche des fiertés européenne, ndlr], alors qu’elle y avait participé en 2017. Depuis son élection, elle n’a jamais proposé ou poussé de projets de loi pour la communauté LGBT. Elle semble donc avoir rangé ses convictions dans le but d’atteindre le pouvoir suprême et prouve que certaines nominations restent au stade de symbole.

Au sein de ce gouvernement moins LGBT-friendly qu’auparavant, qu’ont à gagner des personnalités comme Bruno Le Maire à se dire “en réflexion” sur le sujet de la GPA, par exemple ?
S.T. : Les personnalités politiques évoluent, et c’est normal. Il faut les écouter quand elles prennent la parole. Le vote gay est, par ailleurs, en train de basculer à droite. Les politiques ne sont pas dupes. Ils voient aussi que des gens ont recours ou comptent avoir recours à la GPA. Ils n’ont aucun intérêt à fermer des portes sur ce débat. Surtout que la GPA concerne autant les personnes hétérosexuelles qu’homosexuelles.

Il semble exister moins de femmes politiques lesbiennes connues. Cela s’explique-t-il par une double peine des femmes lesbiennes dans ce milieu ?
S.T. : Je ne sais pas s’il y en a numériquement moins que les hommes, mais elles ne parlent pas de leur homosexualité, étant donné le monde dans lequel on se trouve. Quand on est une femme et qu’on fait de la politique, c’est compliqué. Le plafond de verre sexiste est bien réel. Et cela devient encore plus compliqué quand on est lesbienne. On avance plus lentement dans ce milieu. Roselyne Bachelot me racontait, quand je l’ai interrogée pour le livre, que certains hommes politiques ne prennent pas les femmes lesbiennes au sérieux et pensent que leur homosexualité est une passade. Il s’agit d’un procédé de décrédibilisation.

Si des femmes politiques lesbiennes sont connues à gauche, ce n’est pas le cas à droite. Vous écrivez en avoir rencontré, mais qu’elles ne souhaitent pas s’exprimer à ce propos. Selon son camp politique, l’acceptation n’est-elle toujours pas la même ?
S.T. : Je suis incapable de citer des femmes ouvertement lesbiennes à droite. J’ai cherché et je n’ai pas trouvé, excepté des personnalités centristes, comme Sarah El Haïry. Plus généralement, le milieu politique ne représente pas encore un endroit sûr pour les femmes, lesbiennes ou non.

Les personnes trans, peu présentes en politique, commencent à exister dans les mandats locaux.
S.T. : Il ne faut, en effet, pas négliger les mandats locaux. C’est de la visibilité à l’état pur. Je trouve très bien que cela commence par le bas. Mais il y a encore beaucoup de travail. Elles ne sont pour l’instant que deux : Marie Cau, maire de Tilloy-lez-Marchiennes [Nord], et Estelle Szabo, maire d’Estevelles [Pas-de-Calais]. Le sujet des personnes trans crispe. Les insultes LGBTphobes sont d’une violence inouïe, encore plus lorsqu’elles concernent les personnes trans. Il faut énormément de courage pour se lancer en politique.

À lire aussi I Pas-de-Calais : Estelle Szabo devient la première maire à annonce sa transition de genre en plein mandat

Au sein du Rassemblement national, une partie non négligeable de députés gays sont “out”. Vous obtenez même le coming out de Thomas Ménagé, député RN du Loiret. Si tous ont l’air de dire s’y sentir bien, on ne peut qu’être surpris·e devant les positions toujours conservatrices du parti sur ces sujets, ainsi que sa croisade contre le wokisme et le lobby LGBT
S.T. : Il faut différencier ce qu’affiche le Rassemblement national et ce qu’il est vraiment. Le parti est très fort en politique, ses membres savent qu’avoir des députés gays participe à sa dédiabolisation. Cela les aide d’autoriser Thomas Ménagé à me révéler son homosexualité. Je pense que ce dernier reste néanmoins sincère. Car un coming out peut être traumatisant. Mais dans le fond, il ne faut pas oublier ce qu’est le RN. Des élus ont quand même lancé une association parlementaire contre le wokisme et dénoncé la “propagande LGBT dans les écoles”. Je note cependant que je n’ai pas galéré à avoir des députés RN pour me répondre. Je n’ai cependant eu aucun LR. La droite française n’a pas bougé et n’a pas su tirer de leçons du passé. Elle a préféré faire un gros crochet à droite.

Vous consacrez toute la dernière partie de votre livre à savoir si un président gay pourrait arriver en 2027. Qu’en est-il ?
S.T. : Je pense que le portrait-robot dépeint par certaines des personnes que j’interview devrait se réaliser. Il s’agira forcément d’un homme, pas d’une femme. Il ne faudra pas qu’il soit trop militant, c’est-à-dire “gay mais pas trop”, comme le disait Mediapart dans un article à propos de Gabriel Attal. N’oublions pas que la droite dirige le Sénat et les grandes villes et qu’elle ne participe pas à une meilleure visibilité des personnes LGBT. Il sera, en résumé, un homme politique comme un autre.

Couverture

Sortir du placard, LGBT en politique, de Sonia Tir. Fayard, 304 pages, 20 euros.

Partager
Articles liés
capture decran 2023 01 10 a 17.30.47

"Petite sale", un bon roman noir

Si l’intrigue de Petite sale respecte les codes du polar, le récit vaut aussi pour la façon dont l’autrice l’utilise pour illustrer la hiérarchie des classes sociales et des genres dans une France où les femmes étaient toujours en bas de l’échelle.

bd

Des bulles ! : on lit quoi comme BD ?

Que lire dans la longue liste des BD qui sortent en ce moment ? Causette vous a concocté une petite sélection au poil ! "Il m'a volé ma vie" Il m’a volé ma vie adapte en BD le témoignage de Morgane Seliman, publié sous le même titre en 2015 aux...

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.