mobilisation contre le projet de centrale nucleaire plogoff
Manifestation contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff le 3 février 1980. © Boelle Yvon/ANDBZ/ABACAPRESS.COM

Printemps 1980 : la fronde de Plogoff contre les neutrons

Il était une fois, un village d’irréductibles Bretons qui parvint à empêcher la construction d’une centrale nucléaire. Cette histoire, c’est celle de Plogoff (Finistère) il y a quarante ans. Un combat inédit, mené par un front de femmes, dont Nicole, réalisatrice d’un documentaire sur la lutte, Catherine et Nadine, militantes.

Le « désir de film » vient à Nicole Le Garrec alors qu’elle est perchée en haut de Feunteun Aod (« fontaine de la côte », en français), l’une des dernières falaises avant la pointe du Raz, située dans une commune de 2 200 habitant·es à l’époque et nommée Plogoff. Endroit idéal pour installer… une centrale nucléaire. C’est en tout cas le projet d’EDF en 1979. Nicole est, à cette époque, une jeune réalisatrice bretonne et une écolo vénère. Ce jour-là, sur les hauteurs de Feunteun Aod, elle proteste avec cinq mille camarades. Elle comprend que Plogoff résistera. Et qu’elle en fera un documentaire.

Le 31 janvier 1980 débute une étape clé du projet : ­l’enquête d’utilité publique. Six semaines pendant lesquelles les autorités doivent consulter les riverain·es. Nicole se pointe à nouveau. Son mari Félix tournera les images « avec des restes de pellicules » et un copain prendra le son. À leur arrivée, l’ambiance est électrique. En réaction à l’enquête, Plogoff s’est proclamée « ville morte », comme le montre le documentaire. Tout est fermé. La veille, le maire a brûlé l’avis d’enquête sur la place publique. On s’attend à ce que les gendarmes débarquent pour forcer la procédure. Du coup, la nuit suivante, des habitant·es tiennent la garde. Parmi eux, Catherine Peuziat. Cette féministe écolo a 25 ans, habite à 22 kilomètres de là, a une petite fille, mais s’engage sans hésiter : « On a construit des barrages avec des carcasses de voitures, des bouts de ferraille, des arbres et même des bouteilles de gaz… » Sept fourgons déboulent finalement à 3 heures du matin. « Du coup, on a mis le feu aux barrages. » La police passe, mais n’entre pas dans la mairie. Tout a lieu de nuit, dans le dos des villageois·es endormi·es. Au réveil, se souvient Nicole, « les gens se disaient, “pendant la guerre, même les Allemands ont eu la décence de nous occuper de jour !” Ça les a déterminés à poursuivre. »

La “messe” des femmes

La préfecture installe alors des « mairies annexes ». Des caravanes censées remplacer la municipalité récalcitrante pour permettre à l’enquête publique d’avoir lieu. Pour les protéger, des dizaines de fourgons de gendarmerie mobile se garent à leurs côtés - « jusqu’à sept cents soldats », se souvient la réalisatrice. Leurs allées et venues ponctuent ce qui devient rapidement « un rituel ». Dès leur arrivée, à 9 heures, décrit Nicole, les Plogoffistes se relaient pour tenir « un face-à-face quasi immobile » avec les soldats. Puis à 17 heures, chaque jour, c’est l’affrontement. Tout le village accourt pour protester d’une même voix, avec des renforts venus même du Larzac ! On jette des pierres – symboles de la lutte – auxquelles les forces de l’ordre répondent par du gaz lacrymo. Ce rendez-vous quotidien est baptisé la « messe ».  

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Tournage du documentaire Plogoff, des pierres contre des fusils. Nicole Le Garrec au micro et son mari Félix à la caméra.

Au premier rang : les habitantes de Plogoff. Pour la plupart femmes de marin, elles sont habituées à tenir les rênes de la ville. Nadine Pillut, militante antinucléaire du coin, a 19 ans lorsqu’elle participe aux messes de Plogoff. Elle se rappelle que les grands-mères « tricotaient devant les gendarmes mobiles » pour les provoquer. « Elles se plantaient devant eux et disaient le fond de leur pensée », ajoute Nicole. La réalisatrice évoque l’une d’entre elles, apostrophant un soldat : « J’ai l’âge d’être votre grand-mère et j’aurais honte de vous voir ici ! » La stratégie fonctionne. « Le gendarme a craqué. Il était au bord des larmes et a dû être remplacé. Après coup, poursuit Nicole, tous ceux que j’ai interviewés m’ont dit que c’était ce qui les avait le plus touchés. Affronter des femmes, d’un certain âge de surcroît, c’était contraire à leurs valeurs. » 

Faire du village une “île” 

Tout le village se fond dans le rituel pendant tout ce mois de février. En parallèle, les barrages continuent. « Une nuit, se rappelle Catherine, on a coupé des arbres le long d’une route pour en faire des obstacles. » Les réunions politiques se succèdent. « On se retrouvait sans cesse pour débattre dans les bars », rapporte Nadine. Jusqu’au « coup dur » du 29 février. « Là, les gendarmes mobiles ont brutalement arrêté onze hommes pour flagrant délit », souffle Nicole, parce qu’ils jetaient des pierres. La plupart resteront incarcérés à la prison de Quimper quelques semaines. La sentence, ­première condamnation de la lutte, refroidit tout le monde. Mais l’adjointe au maire, Amélie Kerloc’h, trouve les bons mots. « Elle a pris la parole sur la place du village et a dit aux habitants : “Restez là et faites de Plogoff une île !” » Sous-entendu, barrez encore plus le passage aux gardes mobiles ! « C’était un moment d’union sacrée », se rappelle la réalisatrice. Grâce à elle, Plogoff poursuit sa lutte. Elle sera la prochaine maire du village. 

À la fin de l’enquête, le 14 mars, un grand fest-noz est organisé pour célébrer le départ des gendarmes. Le projet de centrale n’est pas encore annulé. Mais les médias, la France, écoutent enfin Plogoff. Le village organise son bouquet final fin mai, à la Pentecôte : « Une sacrée fête » antinucléaire sur la plage, savoure encore Catherine. Jacques Higelin est sur scène. Cent mille personnes  festoient. Le journal Le Monde en profite pour souligner le modèle « pacifique » de la résistance plogoffiste. En novembre, le docu de Nicole – Plogoff, des pierres contre des fusils – sort en salles. Catherine, la militante, va jusque dans la Creuse pour plaider la cause aux avant-premières du film.

En 1981, François Mitterrand – fidèle à sa promesse de candidat à la présidentielle – enterre définitivement le projet de centrale. Presque quarante ans plus tard, en 2019, le film de Nicole est présenté au Festival de Cannes dans la catégorie « patrimoine ». C’est sa fille, Pascale, qui l’a restauré. Les falaises de Plogoff, elles, tiennent toujours bon la vague et tiennent bon le vent. Sans réacteur. Plus sauvages que jamais. 

Plogoff, des pierres contre des fusils, de Nicole Le Garrec. Sortie en DVD en septembre. En précommande sur Laboutiquedesmutins.org.Femmes de Plogoff, de Renée Conan et Annie Laurent. Éd. La Digitale, 2010 (réédition).  

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