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© Ryoji Iwata

Pourquoi les droits des femmes sont-​ils un fac­teur clef de l'enjeu démographique ?

Selon une étude américaine publiée le 15 juillet, l’amélioration de l’accès à la contraception ainsi que de l’éducation des filles entraîneraient une baisse généralisée et durable de la fécondité et donc de la population mondiale à partir de 2064.

Il y a deux siècles, la Terre comptait 1 milliards d’humains, aujourd’hui nous sommes 8 fois plus. Mais combien serons-nous dans 80 ans ? La récente étude de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) de l’Université de Washington publiée le 15 juillet dans la revue scientifique britannique The Lancet, vient contredire les prévisions des Nations Unis sur l’évolution de la population mondiale. Les chercheurs prédisent un pic dès 2064 à 9,7 milliards de personnes, avant un déclin pour atteindre 8,8 milliards en 2100.

Mais selon Gilles Pison, professeur au Museum d’histoire naturelle et chercheur à l’Institut National des Études Démographiques (INED) interrogé par Causette, l’étude américaine est à nuancer. « Les trajectoires sont tracées jusqu’en 2050 car la majorité des humains vivants dans 30 ans sont déjà nés, souligne Gilles Pison. 2100 est en revanche hors d’atteinte, car il y a énormément de choses qui peuvent arriver et altérer ces prédictions. » Si la prudence est de mise, Gilles Pison ne remet pour autant pas en cause la tendance de fond. « Le rythme de la population mondiale décélère depuis 60 ans. Il y a quelques décennies, nous avions 2% d’accroissement mondial par an. Aujourd’hui nous sommes à 1%. »

Le libre-arbitre des femmes, facteur clef de la démographie

L’humanité augmente certes, mais moins rapidement qu’auparavant, et cet accroissement risque de s’achever. « Le taux de fécondité mondial est passé de 3,2 naissances par femme en 1990 à 2,5 naissances en 2019 et devrait baisser à 2,2 naissances d’ici 2050 », précise à Causette ONU Femmes, l’agence des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. La nouveauté présentée par l’étude américaine, c’est de projeter un taux de fécondité à 1,66 en 2100.

Le ralentissement de la croissance démographique est largement imputable à la baisse de la fécondité. « Nous savons qu’elle diminue lorsque les femmes peuvent choisir si, quand et combien d’enfants elles ont », explique ONU Femmes. Un phénomène étroitement lié à l’accès aux méthodes modernes de planification familiale, à l’amélioration de l’éducation des filles, à l’accès des femmes aux marchés du travail et aux changements des normes sociales qui élargissent les choix de vie des femmes.

Les pays ne sont pas tous touchés de la même façon par la baisse de la fécondité. Dans certaines régions du monde, le déclin des taux de natalité a été particulièrement marqué. C’est le cas du Bangladesh où les taux de natalité ont diminué de plus de moitié, « passant de près de 4,5 enfants par femmes en 1990, à un peu plus de 2 en 2018 », selon ONU Femmes. Une baisse engendrée par les avancées majeures des droits des femmes au pays du Bengale au cours des dernières décennies. À l’inverse, cette transformation démographique est plus lente dans certaines régions, notamment en Afrique de l’Ouest. Précisément parce que la condition des femmes s’améliore moins vite dans les pays de la région, selon ONU Femmes. Si on élargit la focale, on se rend compte du long chemin restant à parcourir. En 2015, l’ONU spécifiait que dans le monde, « seulement 52 % des femmes mariées ou vivant en concubinage prennent librement leurs propres décisions concernant les rapports sexuels, l’utilisation de moyens de contraception et les soins de santé. »  

Des politiques natalistes en retour de bâton ?

Mais attention, il ne faudrait pas croire que tout est acquis. Le déclin de la population mondiale « ne doit cependant pas compromettre les efforts pour améliorer le progrès des droits des femmes et de la liberté des femmes d’avoir des enfants ou non », souligne Gilles Pison. Car le nombre d'habitants d'une nation est politique, la croissance d’un pays dépendant de la jeunesse de sa population (force de travail), et la démographie ayant un poids géopolitique indéniable. Le démographe craint donc le retour, dans les pays les plus touchés par une baisse de la population, de politiques natalistes liberticides. Restrictions du droit à l’avortement, voire du droit à la contraception, incitation à enfanter… Ces politiques seraient un désastre pour les femmes.

Face à cette menace, l’ONU a théoriquement de quoi riposter. L'organisation internationale s’est armée dès 1994 d’un texte spécifiant « qu’une personne peut mener une vie sexuelle satisfaisante en toute sécurité, qu’elle est capable de procréer et libre de le faire aussi souvent ou aussi peu souvent qu’elle le désire ». « Il est essentiel que nous respections ces droits pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) »,  ajoute ONU Femmes. Le programme de développement durable approuvé par les pays membres des Nations Unis en 2015 présente 17 objectifs de développement durable pour transformer le monde d’ici 2030. Par exemple, le quatrième concerne l’accès à l’éducation, préconisant que « d’ici 2030, que toutes les filles et tous les garçons achèvent un enseignement primaire et secondaire gratuit, équitable et de qualité. » Le cinquième objectif ambitionne de parvenir à l’égalité des genres et autonomiser toutes les femmes et les filles, en rendant notamment universel l’accès aux droits sexuels et reproductifs.

Bien qu’à ce stade nul ne soit capable d’affirmer avec exactitude si nous serons 8 ou 10 milliards dans 80 ans, les politiques actuelles en matière de développement, économique autant qu’humain, sont cruciales. « On sait que l’on consomme trop mais ce n’est pas tant la faute au nombre d’humains sur terre, c’est celle de notre mode de vie », souligne Gilles Pison. Les trajectoires démographiques sont donc bien loin d’être toutes tracées. Pour le professeur, « L’important n’est d’ailleurs pas de connaitre le chiffre exact de la population mondiale mais bien la façon dont ils vivent. »


L'exemple contre-intuitif de l'Europe

Si la baisse du taux de fécondité est généralement significative d’avancées majeures en terme d’égalité, elle peut dans certains cas être au contraire synonyme d’inégalité persistantes. C’est le cas pour les pays d’Europe du Sud qui comptabilisent un taux de fécondité d’1,2 enfant par femme. Un taux beaucoup plus bas que leurs voisins du Nord qui se sont stabilisés à environ 1,6 enfant par femme.
C’est contre-intuitif – les pays du Sud (Italie, Espagne, Grèce, Portugal) demeurent plus traditionnels que les champions scandinaves de l’égalité (Suède, Danemark) – mais finalement logique : « Bien qu’elles soient nombreuses à occuper un emploi rémunéré, elles sont toujours censées faire la grande majorité des soins non rémunérés et des travaux domestiques, analyse ONU Femmes. Les inégalités femmes-hommes y sont donc plus marquées et les tâches au sein du couple, moins partagées. » Concrètement, à force de charge mentale, les Italiennes ont moins de temps que les Suédoises à consacrer à un potentiel enfant.
Par ailleurs, « les politiques visant à favoriser le travail des femmes et à leur permettre de concilier travail et famille (grâce à des places en crèche par exemple) sont moins développées en Europe du Sud. » Une partie de ces femmes finit par renoncer définitivement à la naissance désirée.

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