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Muriel Douru et Nicolas Hulot. © S.C.

Muriel Douru et Nicolas Hulot : « L'Histoire ne sera pas amné­sique concer­nant ceux qui ont le pou­voir de lut­ter contre le réchau­fe­ment cli­ma­tique et ne s'en servent pas »

L'éphémère ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot, qui se consacre désormais au plaidoyer écologique via sa Fondation pour la Nature et l’Homme, vient de faire paraître Les petits pas ne suffisent pas !, en collaboration avec l'illustratrice Muriel Douru. Cet « essai graphique » questionne la capacité de nos systèmes politiques dans la lutte contre le réchauffement climatique. Entretien croisé.

Causette : Comment est né ce projet de roman graphique ?
Muriel Douru : Le premier projet qu’on avait est né à l’époque où Nicolas hésitait à se présenter à l’élection présidentielle. L’idée, c’était de réaliser un ouvrage graphique qui aurait parlé de son programme. C’était vachement pertinent et novateur par rapport aux autres candidats qui nous pondent des livres imbuvables.
Nicolas Hulot : Et finalement, je ne me suis pas présenté.
M.D. : J’ai gardé l’idée du roman graphique pour raconter la situation environnementale à travers un fil conducteur qui serait Nicolas, et d’en faire un livre très atypique. À la fois un récit de vie et un ouvrage informationnel sur le problème systémique lié à l’environnement.
N.H. : Après ma démission du gouvernement, Muriel est revenue vers moi et m’a présenté ce projet. J’ai tout de suite accepté. J'avais vu ce qu’elle avait fait, notamment avec Médecin du Monde, Putain de vies ! [...]. Le travail était documenté, fourni. Le roman graphique, c’est un des rares vecteur de communication que je n’avais pas testé dans mon engagement. Donc je me suis dit que c’était une manière complémentaire de délivrer un certain nombre de messages, dans la perspective des 30 ans de la Fondation. C'est une manière de revisiter ces 30 années et d’essayer de comprendre comment mon engagement s’était forgé.

"L’optimisme environnemental, ok. Mais montre-moi que tu changes."

Muriel Douru

La bande dessinée permet-elle de toucher un public plus large ?
M.D. :
 Bien sûr ! L’avantage du roman graphique, c’est qu’il s’adresse particulièrement aux jeunes, mais aussi aux adultes qui n’ont pas forcément envie de lire un livre, surtout sur ces sujets-là, un peu durs à avaler. Il y a beaucoup de chiffres, beaucoup d’informations, plus digestes en passant par le dessin. Lequel permet aussi un peu d’humour. 

Pour mener un projet comme celui-là, il faut être sur la même longueur d’onde, avoir la même vision de l’écologie et de l’avenir. C’est votre cas ?
N.H. :
 Oui, même si elle est peut-être plus optimiste que moi.
M.D. : Je dirais plutôt être une pessimiste active.

Notre avenir commun vous inquiète-t-il à ce point-là ?
N.H. : 
Quand on est excessivement lucide, on a des raisons d’être inquiet. C’est dur aujourd’hui de faire preuve d’un optimiste béat, mais d’un autre côté, c’est trop tard pour se résigner. Je suis passé dans un mode « on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a ». Le reste ne nous appartient pas.
M.D. : Je connais plein de gens qui, il y a cinq ou six ans, me disaient être optimistes sur la question environnementale. Je leur répondais que s'ils ne changeaient rien à leurs habitudes de consommation ou de train de vie, cela relevait du vœux pieux. L’optimisme, ok, mais montre-moi que tu changes.

"Tous les jours, je me demande pourquoi c’est si compliqué de dire aux Hommes de se sauver eux-mêmes."

Nicolas Hulot

Dans le livre il y a cette phrase : « Il y a 45 000 ans, quand nous avons mis le pied en Australie, le continent était riche d’une mégafaune exceptionnelle : paresseux géants, kangourous de deux mètres... ayant survécu des millions d’années. Mais ils n’ont pas résisté à l’arrivée des humains sur leur territoire. » Sommes-nous destiné·es à détruire notre environnement ? Est-ce inéluctable ?
N.H. : Il y a 45 000 ans, il y a une chose qui n’avait pas émergé : la conscience. Notre génération arrive au moment où elle émerge. C’est une étape probablement ultime de notre humanisation. La question qui reste en suspend c’est : est-ce que cette conscience sera suffisamment forte pour se mettre au niveau de notre intelligence ? La réponse n’est pas encore actée. 
Nous sommes dans ce passage délicat, où selon le degré de conscience dont nous allons nous doter, l’Homme pourra sortir de cette période de prédation et de squatteur. Maintenant, nous sommes des êtres informés. Informés sur notre vulnérabilité, sur le fait que nous faisons partie d’un tout et informés sur les causes et les solutions pour réparer.
M.D. : Quand on réfléchit à l'arrivée de l'espèce humaine en Australie, on se demande si ce n’est pas notre nature intrinsèque qui nous fait tout détruire. À mon sens, l’anthropocentrisme est un problème central. Aujourd’hui, on est conscientisés sur notre impact, mais on n’arrête pas les bêtises pour autant... Récemment, on a envoyé une voiture dans l’espace, par exemple.
N.H. : On est un peu ce paradoxe qu’Edgar Morin décrit très bien : « Nous sommes technologiquement triomphants et culturellement défaillants. » Ça, c’était jusqu’à présent. Mais aujourd’hui nous sommes à un carrefour de notre civilisation. Est-ce que nous avons mérité cette prise de conscience ? On va le savoir très vite.

"Ce modèle s’épuise et va nous faire basculer dans la pénurie. Et la pénurie, c’est la porte ouverte à toutes les barbaries."

Nicolas Hulot

Qu’est-ce qu’on peut faire aujourd’hui qui n’a pas déjà été fait ?
N.H. : 
Si j’avais une réponse claire, nette et précise je serais le plus heureux des hommes. Tous les jours, je me demande pourquoi c’est si compliqué de dire aux Hommes de se sauver eux-mêmes. Mais c’est là aussi la complexité : depuis le début de son histoire, c’est la première fois que l’humanité est confrontée à un enjeu universel. 
Logiquement, il faudrait des institutions internationales qui coordonnent et régulent. Mais on en est loin, les Nations unies ne jouent pas encore ce rôle-là.  
Il y a un énorme travail de pédagogie à faire pour montrer qu’un autre modèle est possible, tout en faisant la démonstration en permanence, que le modèle actuel n’a pas d’issue heureuse. Parce que certains esprits, même les plus éclairés, doutent encore. Ils pensent qu’il suffit de corriger à la marge notre modèle actuel et qu’on sortira d’une impasse. Sauf que non. Ce modèle s’épuise et va nous faire basculer dans la pénurie. Et la pénurie, c’est la porte ouverte à toutes les barbaries.

Mais tout ce travail de sensibilisation sur l’urgence est déjà fait. Dans les pays riches, peu de gens peuvent encore l’ignorer. 
N.H. : 
Oui sauf que là, la réalité vient à notre secours. C’est bien dommage, mais au quotidien, ce qui était abstrait devient visible, y compris pour les pays du Nord qui ont une grosse responsabilité. Dernier exemple en date : cette pandémie, qui a probablement une cause environnementale. Un "petit" virus a mis à genoux les 2/3 de l’humanité. J’espère, à un moment ou un autre, que les inondations à répétition, toutes les canicules que l’on vit, vont provoquer un sursaut. Je le dis comme une incantation, je n’ai jamais été dans un état d’esprit de culpabilisation. 
Peut-être qu’il faut qu’il y ait des générations qui passent et que la jeunesse se manifeste de manière encore plus énergique pour reprendre en main leur destin.
M.D. : Il faudrait revoir notre récit collectif, comme le fait d’associer la réussite au fait de posséder toujours plus. Vous comme moi, on dépend de ce système pour vivre. Alors quand soudainement on découvre que le moindre de nos gestes a un impact à l’autre bout du monde, que notre travail a un impact délétère, c’est difficile. On vit une forme d’effondrement intérieur. À cela s’ajoute l'inaction collective et politique.
Face à cet effondrement qui vient, la première chose est de se demander « comment je m’en sors à titre personnel ? » Avant que ça bouge collectivement, il faut que ça bouge à titre personnel. Moi, la parole politique ne me touche plus. Le monde ne changera pas avec Ciotti, Castex ou autre. Ils sont restés bloqués aux années 1960, à la croissance économique des Trente Glorieuses qui ne correspond pourtant plus à ce que vivent les jeunes, ni à ce qui les attend.
N.H. : Oui c’est vrai, on doit opérer un déconditionnement et se libérer de trois poisons : l’ignorance, l’indifférence et l’arrogance. Ça vaut individuellement et collectivement. On doit être très exigeants vis-à-vis de nos responsables politiques pour qu’ils organisent la société. 

"La Convention citoyenne pour le climat a montré que quand on les informe vraiment les gens optent pour des mesures contraingnantes car c'est la seule solution."

Muriel Douru

À ce titre, quel regard portez-vous sur des initiatives comme la Convention citoyenne pour le climat ?
N.H. : La démocratie inclusive est essentielle si on veut demain opérer une mutation, une « métamorphose » comme le dit Edgar Morin. Le changement ne peut pas tomber du haut, être imposé mais doit être co-construit, co-planifié, co-géré. Donc sur le principe, associer les citoyens, c’est une excellente chose. D’abord, parce que personne n’a l’exclusivité de la solution ou de l’intelligence. Elles viennent autant du tissu associatif, des citoyens que de l’univers politique. C’est une expérience nécessaire parce que ça permet aux citoyens de s’associer à la complexité de la décision politique. La décision politique est souvent une décision qui impose de prendre la moins mauvaise, mais jamais la décision idéale. Et ça, que les citoyens le comprennent, c’est plutôt une bonne chose. Mais il faut aller plus loin. Associer les citoyens aux enjeux du futur et du long terme, il faut le faire de manière permanente. 
Je fais partie de ceux qui soutiennent des réflexions pour avoir une troisième chambre dans notre démocratie, dans laquelle on associera en permanence experts, citoyens, scientifiques et corps intermédiaires. Mais il ne faut pas que ce soit un exercice d’écoute qui ne débouche sur rien, comme avec la Convention citoyenne, dont il n'est pas resté grand-chose.
M.D. : Moi, ce qui m’a saisie, c’est que ces 150 personnes qui au départ ont des vies très différentes, ont réussi après des mois d’information à se réunir et à être d’accord. Le fait qu’ils aient été capables de faire des propositions que beaucoup de gens jugent coercitives, ça prouve quelque chose de très net à mon avis : quand on les informe vraiment les gens optent pour ces contraintes car c'est la seule solution.

Lire aussi l Grande interview : Grégoire Fraty, de la Convention citoyenne pour le climat, ne veut rien lâcher

Pensez-vous que la crise sanitaire actuelle va aider à changer les choses ? Ou, au contraire, que les gens auront tellement envie de vivre qu’ils vont retourner à leur vie d’avant ?
M.D. : J’ai observé depuis un an beaucoup de prises de conscience individuelles. Le départ en masse des Parisiens qui ne supportaient plus la ville montre une aspiration à reconnecter avec la Nature. Par contre, au plus haut niveau de l’État, on fait toujours tout pour que l'économie reparte exactement comme avant.
N.H. : Au moment du premier confinement, je trouvais que le choc était tel qu’il avait contraint chacune et chacun à une forme d’introspection et une leçon d’humilité. Maintenant, avec la prolongation de cette crise, je ne sais pas si on en tirera une leçon. Quand je vois qu’on parle d’un plan de relance, ce qui est nécessaire, mais qu’on n'associe aucune contrepartie à ces aides pour changer les modes de production... Je me dis qu’il y a une espèce d’uniformité dans la classe politique à s’entêter dans ce modèle de croissance qui, dans leur esprit, reste la solution. Et ce alors que la démonstration vient d’être faite que ce modèle, qui a eu ses vertus, est aujourd’hui la cause de tous nos problèmes.
M.D. : Quelque chose de révélateur d’ailleurs, c’est que je n’ai jamais vu nos responsables politiques parler de la cause de cette pandémie. Je n’ai jamais entendu le président parler de la déforestation, qui détruit la biodiversité et qui crée de plus en plus de zoonoses. Les scientifiques crient dans le vide vers les plus hauts sommets de l’État. Pourtant, ils expliquent qu’au rythme actuel, les pandémies seront de plus en plus fréquentes. Et comme il n’y a pas d’anticipations sur le long terme, ça va recommencer.

Vous parliez de la jeunesse. Cette génération est-elle le dernier recours pour faire changer les choses ? 
N.H. :
 Il ne faut pas leur demander plus qu’ils ne puissent. Ils héritent d’une situation dont ils ne sont pas responsables. C’est lourd à porter, et puis à un moment où on autre, on va leur poser sur la table de tels paramètres, que quelle que soit leur volonté, leur énergie, leur conscience, les choses vont leur échapper. Ils ne peuvent pas faire de miracle. C’est pour ça que la responsabilité de tous ceux qui ont du pouvoir aujourd’hui est immense. Et c’est un point sur lequel l’Histoire ne sera pas amnésique. Les dix prochaines années seront déterminantes. Alors, oui, on a besoin de la jeunesse pour nous donner une injonction à agir. Parce que demain ils auront eux-mêmes des responsabilités, il faut qu’ils participent à construire ce nouveau monde. Mais c’est aujourd’hui que les choses se jouent, qu’il faut prendre les bonnes décisions. Il y a une règle qu’il faut s’imposer : l’argent public doit être au service du bien commun. Tout ce qui est toxique il faut petit-à-petit y mettre fin, les subventions aux énergies fossiles, les subventions à des modèles de transports, agricoles ou industriels qui sont responsables de la situation.
M.D. : Ce qui me choque beaucoup, c’est que les gens de la génération qui gouverne sont restés sur ce modèle de croissance économique des Trente Glorieuses et donnent des leçons à la jeunesse. Il y a une page dans le livre qui parle de Greta Thunberg, qui a été fustigée par des gens qui ont participé activement à ce modèle. Ils crachent sur cette jeunesse qui se lève, alors qu’ils devraient faire preuve un peu d’humilité.

Vous disiez que vous n’étiez pas très optimiste, mais comment on fait alors pour ne pas baisser les bras ?
N.H. : J’ai eu cette tentation, parfois très maladroite et insidieuse, de baisser les bras. De dire « là, je ne sais plus quoi faire. » Mais au moment où j’ai cette tentation, je me dis « qui es-tu pour penser que les choses sont déjà foutues ? » Je pense que les choses sont tendues. Qu’on est dans un moment critique. Mais rien ne me permet d’affirmer que la situation est irréversible. Rien. Et puis la deuxième chose, c’est que ces moments de doute, sont très passagers parce que quand on est dans un engagement comme le nôtre, on croise des femmes et des hommes qui nous redonnent de l’énergie. Quand je vois partout ailleurs sur la planète toutes les initiatives pour créer le monde de demain, ça me redonne la pêche. De toute façon, l’espoir sera le dernier à mourir.
M.D. : Comme pour l’optimisme, l’espoir en tant que tel ne sert à rien s’il n’est pas appuyé par une action. Bien sûr, quand on tire la langue à chaque fin de mois, la fin des ours polaires, ce n’est pas la priorité. Mais si on la possibilité de se remettre en question, un peu d’argent pour changer certaines choses, il faut le faire. Il y a un modèle qui se joue là aussi : les personnes s'influencent entre elles. Mais évidement, il faudrait que ça aille vachement plus vite...

9782815316057

Les petits pas ne suffisent pas !, de Muriel Douru et Nicolas Hulot. Éd. Rustica, collection Ecologie. 192 pages.

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