Svalbard 2021 Heidi Sevestre
© HEIDI SEVESTRE

Heïdi Sevestre : « Avec Climate Sentinels, nous vou­lions mon­trer que les femmes ont toute leur place dans des métiers extrêmes »

Émerveillée dès son plus jeune âge par leur majesté, Heïdi Sevestre étudie les glaciers pour mieux les sauver. À 35 ans, cette scientifique intrépide milite avec ferveur pour alerter le grand public et les gouvernements sur la fonte des glaces provoquée par le réchauffement climatique.

Ses parents savoyards ont donné à Heïdi Sevestre le prénom d’une sauvageonne des alpages suisses, héroïne des livres de Johanna Spyri. Et ils vont lui transmettre l’amour de la montagne. À 17 ans, Heïdi est d’une timidité maladive. Pour la sociabiliser, sa mère l’inscrit à un raid des glaciers et c’est alors qu’elle trouve sa voie : elle sera glaciologue. Elle se confronte très vite aux risques du métier. Étudiante, elle manque de laisser sa peau dans une avalanche en expédition puis, son doctorat en poche, à 23 ans, elle lutte trente-six heures durant sans dormir et sauve les ongles de ses orteils en les collant avec du ruban adhésif ! Cette expérience du froid reste un de ses souvenirs les plus horribles. Mais rien ne la décourage. Pugnace et téméraire, Heïdi résiste et de ces missions périlleuses, elle sortira plus aguerrie encore. Lauréate de la médaille Shackleton pour la protection des régions polaires, Heïdi Sevestre est membre de l’association américaine prestigieuse The Explorers Club et travaille pour l’Amap au Conseil de l’Arctique 1. Pas de place pour une vie de famille, car pour l’instant, cette aventurière des glaces n’a d’yeux que pour les contrées froides et lointaines de la planète. C’est en visio que Causette l’a interviewée.

Causette : Vous êtes actuellement au Svalbard, archipel norvégien situé dans l’océan Arctique. Allez-vous partir en expédition ?
Heïdi Sevestre : Je donne des cours à l’université qui est à 300 mètres de la base scientifique. C’est ici que j’ai étudié, moi aussi, quand j’étais plus jeune. Je m’apprête à partir en repérage pendant une semaine en vue d’une longue expédition. On va aller voir les glaciers qui sont en train de bouger. Nous sommes une équipe féminine, mais c’est un pur hasard.

« Avec Climate Sentinels, nous voulions montrer que les femmes ont toute leur place dans des métiers extrêmes »

C’est volontairement, en revanche, que vous avez été à l’initiative de
la toute première expédition 100 % féminine : Climate Sentinels, en avril 2021, lors de laquelle vous avez traversé le Spitzberg
2 à skis...
H. S. : Quand j’étais étudiante, j’étais entourée de mecs et il n’y avait qu’une seule Française glaciologue, Madeleine Griselin. Les choses sont en train de changer et cela me réjouit. Nous avons été six femmes scientifiques à monter le projet Climate Sentinels. Nous voulions montrer que les femmes ont toute leur place dans des métiers extrêmes. Notre but était par ailleurs de prouver que les expéditions peuvent être neutres en carbone. À l’époque, l’empreinte carbone était un sujet tabou au niveau de notre comité scientifique. Nous n’avons reçu aucune aide, il nous a fallu quatre ans de préparation. On est parties pour prélever des échantillons de glace, à skis, fin avril, période à laquelle normalement, le temps est idéal. Mais on a dû faire face à des tempêtes avec des vents allant jusqu’à 140 km/heure et des risques d’avalanche. Un soir, nous avons même été obligées de nous enterrer sous la neige pour résister aux éléments déchaînés... Là, nous avons constaté que le réchauffement climatique était beaucoup plus avancé qu’on ne pensait ! Nous sommes revenues avec la rage : il fallait alerter sur ce qui se passe en Arctique, cette région qui joue un rôle crucial dans la stabilisation du climat sur notre planète.

Greenland HS

Heïdi Sevestre lors d’une expédition scientifique
au Groenland pour relever notamment les dimensions
de l’iceberg en arrière-plan, en 2022
© HEIDI SEVESTRE

Dans votre livre Demain, c’est nous, vous retracez le pari fou imaginé par François Bernard, professeur de technologie au collège Fénelon Notre-Dame, à La Rochelle (Charente-Maritime). Il vous a convaincue d’emmener sa classe de troisième en expédition et vous êtes partie avec eux en 2019 au Svalbard...
H. S. : Ce projet me tient énormément à cœur. J’étais encore avec les élèves, il y a un mois, sur la mer de Glace [glacier dans le massif du Mont-Blanc, en Haute- Savoie, ndlr]. Lors de cette expédition, j’ai beaucoup appris à leurs côtés. C’était un vrai échange, très enrichissant. Parmi eux, certains veulent faire Sciences Po, devenir glaciologues, politiciens... Ils vont se servir de cette expérience pour construire l’avenir. On sème ainsi une petite graine pour qu’ils aient une vraie prise de conscience. C’est très important de s’adresser aux jeunes générations. Quand on est scientifique aujourd’hui, l’une de nos responsabilités, c’est de rendre la science accessible.

« J’espère aller cette année sur les glaciers tropicaux, soit d’Afrique, soit de Papouasie »

Dans votre deuxième livre, Sentinelle du climat, qui mêle histoire personnelle et conclusions scientifiques, vous évoquez la beauté de l’Antarctique, hors de l’humain, mais aussi sa démesure, sa force écrasante... Une expédition qui vous a menée au burn-out pendant quelques jours.
H. S. : Oui, c’est un métier très physique ! Je m’entraîne tous les jours. Je fais beaucoup de gym, je soulève des poids. Pour l’aspect mental, je travaille mon endurance avec le vélo et la course à pied. Ou alors je tire des pneus de voiture sur les sentiers neigeux [rires]. La semaine prochaine, je pars donc en expédition, je vais tirer une pulka [traîneau à équipement] de 60 à 70 kilos. En ce moment, je mange trois fois plus que d’habitude car en expédition glaciaire, le corps brûle énormément de calories, il faut que je prenne du poids ! C’est aussi un métier à risques. J’ai failli mourir plusieurs fois et j’en garde des séquelles aujourd’hui, des problèmes de dos... L’environnement que j’explore est plus dangereux que nulle part ailleurs sur terre, car ce sont les glaciers qui réagissent le plus au réchauffement climatique. Au Groenland, à cause des crevasses qui s’ouvrent, le travail devient vraiment très compliqué. Mais on se doit de collecter les meilleures données possible, car ce sont des milliards de personnes qui vont être impactées par la fonte des glaces.

Svalbard Maria Philippa Rossi
La glaciologue en train d’enregistrer une vidéo de communication
scientifique devant le glacier Vallakrabreen (Svalbard, Norvège).
Il n’y a pas de réseau sur les glaciers,à part le téléphone satellite
© MARIA PHILIPPA ROSSI

Il y a quelques mois, au Svalbard, vous avez aussi alerté Tom Cruise...
H. S. : Beaucoup de documentaires et de longs-métrages sont tournés ici, le paysage est juste extraordinaire ! Tom Cruise est venu pour Mission impossible 8 3 . Comme des amis à moi travaillaient sur le film, j’ai pu le rencontrer et lui parler des glaciers. J’ai eu la chance de pouvoir l’emmener dans une grotte de glace, à deux kilomètres de la ville. On a passé plus de deux heures à l’explorer et c’était assez génial. Je voulais qu’il tombe amoureux des glaciers, lui montrer combien c’est merveilleux. Ici en Arctique, c’est l’endroit qui se réchauffe le plus vite sur terre. Je voulais qu’il en prenne pleinement conscience. Et, quand le film va sortir, qu’on y pense. J’espère que lui, il s’en souviendra...

Vous écrivez dans un de vos livres : « Une tristesse poignante m’étreint devant l’anéantissement de la beauté des glaciers. » Et pourtant, vous gardez espoir ?
H. S. : Il y a des initiatives encourageantes. On a travaillé pour la protection des glaciers des Andes en Colombie, en collaboration avec la population et les scientifiques locaux. J’espère aller cette année sur les glaciers tropicaux, soit d’Afrique, soit de Papouasie. Je prépare plusieurs expéditions. Ce que nous scientifiques, nous constatons, est très déstabilisant. La fonte de la banquise à cette vitesse-là, c’est vraiment fou ! C’est une course contre la montre. Et elle peut se gagner si on réagit tout de suite ! Il faut que tous les pays, tous les gouvernements, entreprises, sociétés civiles... travaillent ensemble. On est face à un défi qui nous dépasse, mais qui ne dépend que de nous !

Samantha Cristoforetti : « Mon parcours peut inspirer les jeunes générations. Non pour qu’elles deviennent nécessairement astronautes, mais pour qu’elles s’autorisent à rêver »

  1. Fondé en 1996, le Conseil de l’Arctique est une organisation de coopération civile internationale (Arctic-council.org). L’Arctic Monitoring and Assessment Program (Amap), créé en 1991, est l’un de six groupes de travail qui y participent (Amap.no).[]
  2. Le Spitzberg est l’île principale de l’archipel du Svalbard en Norvège et l’une des terres les plus au nord du globe. Elle fait partie de ces territoires magiques hors du temps, en partie classée réserve naturelle où subsiste encore une faune polaire exceptionnelle, dont les grands ours blancs.[]
  3. Mission: Impossible. Dead Reckoning Part Two est prévu en salles en 2024. Le premier volet (et numéro 7 de la série) sort le 12 juillet 2023.[]
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