shutterstock 1600718974
© Shutterstock

La semaine de révolte d’Extinction Rebellion

Extinction Rebellion orga­nise, début octobre, une semaine inter­na­tio­nale de révolte, à base de blo­cages et de per­for­mances éco­los en plein centre des grandes métro­poles. L’occasion de dres­ser le por­trait du der­nier gar­ne­ment de l’activisme vert. 

Voilà un an que cet hur­lu­ber­lu de la lutte éco­lo fait bou­ger l’activisme vert. La marée de faux sang sur le par­vis du Trocadéro, à Paris, les affiches mini­ma­listes ultra fla­shy (mais si, ce petit logo de sablier noir sur fond fla­shy !), la rivière de Zurich (Suisse) colo­rée en vert fluo­res­cent et les blo­cages des capi­tales de la mon­dia­li­sa­tion… c’est lui : le mou­ve­ment Extinction Rebellion (« XR » pour les intimes). Grand melting-​pot de citoyen·nes fon­dé sur l’idée de « déso­béis­sance civile » et de « lutte contre l’effondrement éco­lo­gique et le réchauf­fe­ment cli­ma­tique ». Depuis son lan­ce­ment offi­ciel, avec sa Déclaration de rébel­lion, en octobre 2018, à Londres (Grande-​Bretagne), petit pou­cet est deve­nu grand. À ­par­tir du 7 octobre 2019, le mou­ve­ment orga­nise la semaine de la Rébellion inter­na­tio­nale d’octobre (RIO) dans les grandes métro­poles du monde : Paris, Brisbane, Londres, Berlin, New York ou Buenos Aires… Au menu, nous ont confié deux acti­vistes, « mon­tagnes d’emballages devant des super­mar­chés, entas­se­ment de plas­tiques dans un filet de pêche qui sera dépo­sé dans un lieu de pou­voir, maraî­chage et cui­sine en ville, bar­rages de plantes sur les routes », mais, nous précise-​t-​on, « dis­tri­bu­tion de cookies aux auto­mo­bi­listes bloqué·es pour rendre la chose plus agréable » et, sur­tout, « occu­pa­tion illé­gale de lieux emblé­ma­tiques de notre sys­tème injuste et des­truc­teur ». Tout ça dans l’objectif ultime, à terme, de « mobi­li­ser 3,5 % de la popu­la­tion, seuil à atteindre pour déclen­cher un chan­ge­ment de sys­tème », clame la charte de XR.

Un peu anar

Prétentieux ? Selon les « rebelles » (c’est ain­si que se dési­gnent ces acti­vistes), la com coup de poing du mou­ve­ment, celle qui fait son suc­cès, sert des prin­cipes phi­lo­so­phiques plus pro­fonds. Au départ, Extinction Rebellion n’est qu’une cam­pagne de Rising Up!, un groupe éco­lo bri­tan­nique né sur les cendres d’Occupy. Fait peu com­mun, un groupe de cher­cheurs et cher­cheuses bri­tan­niques lui dédie une tri­bune de sou­tien dans The Guardian, peu après sa créa­tion. Coup de pro­jec­teur. Sitôt la fameuse Déclaration pro­fes­sée devant le Parlement bri­tan­nique, des bandes d’écolos lancent des répliques de XR dans leur pays. En France, la décla­ra­tion de rébel­lion façon bleu-​blanc-​rouge a lieu en mars 2019. 

Avec une poi­gnée de cama­rades, Lada* l’a pré­pa­rée dès jan­vier. On ne sait pas com­bien de membres compte le mou­ve­ment. Car, jus­te­ment, qui dit « mou­ve­ment », et non « asso­cia­tion », dit contours flous. Ce côté un peu anar, « liber­taire », où tout le monde peut par­ler, fait l’ADN d’Extinction Rebellion. Pour se dire membre, explique Lada, « il suf­fit de se recon­naître dans les dix prin­cipes de la charte », dont les points car­di­naux sont : le sou­ci des géné­ra­tions à venir, l’apprentissage constant et la non-​violence. Mais de là naissent bien des débats. Au sujet de la non-​violence, « la posi­tion offi­cielle, pré­cise Sacha*, une autre rebelle, c’est la phi­lo­so­phie de Gandhi. Et pas ­d’atteinte à l’intégrité phy­sique ou morale d’une per­sonne ou d’un être vivant et pas de dégra­da­tion de maté­riel sauf si c’est déci­dé en amont ». Des for­ma­tions à la non-​violence sont orga­ni­sées pour aider les rebelles à ne pas se lais­ser empor­ter sur le ter­rain. « Personnellement, admet Lada, je suis convain­cue que les mou­ve­ments non vio­lents ne peuvent pas réus­sir seuls… » Jusqu’où, alors, ouvrir la conver­gence des luttes ? Lorsqu’il s’agit de convier des assos paci­fiques, comme ANV Cop 21 (Action non vio­lente Cop 21) ou Youth for Climate, à la semaine de rébel­lion, l’idée coule de source. Mais la ques­tion se pose pour les « gilets jaunes », dont les dégâts maté­riels ont fait grand bruit, pour­tant eux aus­si invités.

Culture régé­né­ra­trice

De tout ça, quelque 8 000 inter­nautes (à ce jour) en débattent en per­ma­nence, par cla­viers inter­po­sés, sur ce qui sert à XR de grande matrice numé­rique (on l’appelle « la base »). Elle donne accès à des groupes en fonc­tion de sa ville ou de ses thé­ma­tiques de pré­di­lec­tion – « éco­lo­gie déco­lo­niale », « éco­fé­mi­nisme », « études scien­ti­fiques »… En ce moment, explique en gri­ma­çant Sacha, « on s’y frite pour déter­mi­ner s’il faut accep­ter les géné­reuses dona­tions de phi­lan­thropes amé­ri­cains, dont la famille Getty, enri­chie grâce au pétrole »… Dernièrement, on a aus­si blo­qué l’édition d’un livre. Il s’agissait de la tra­duc­tion de This is not a Drill, mani­feste cosi­gné par les fon­da­teurs et les fon­da­trices de XR en Grande-​Bretagne, comme Gail Bradbrook et Roger Hallam. « Pour qu’une assem­blée citoyenne se fasse, argu­mente Sacha, tout doit être fait dans l’horizontalité. Du coup, on ne veut mettre per­sonne sur un pié­des­tal. Et puis le contexte anglais est dif­fé­rent, le rap­port aux forces de l’ordre notam­ment. Il paraît que les poli­ciers doivent suivre cinq étapes avant d’arrêter quelqu’un là-​bas… quelque peu dif­fé­rent d’ici ! » La manœuvre en dit long sur l’attachement à l’autogestion chez XR France.

Imaginer les rebelles débattre à bâtons rom­pus donne un peu mal à la tête. C’est là qu’intervient l’un des autres idéaux phi­lo­so­phiques (et nova­teurs) d’Extinction Rebellion : la « culture ­régé­né­ra­trice », troi­sième fon­de­ment de la charte. Le concept vient de la mili­tante amé­ri­caine Joanna Macy, 90 ans, dont trente ans de lutte ­anti­nu­cléaire. « Quand elle était aux côtés des mili­tants, raconte Sacha, elle a vu la détresse et la souf­france du com­bat pour la pla­nète. Lui est donc venue cette idée : il faut prendre soin de toi pour récu­pé­rer ton éner­gie posi­tive et la mettre au pro­fit de la lutte. Concrètement, chez XR, si une per­sonne déprime en se disant que tout s’effondre ou que ses efforts sont vains, on apprend à la cal­mer. Ça peut pas­ser par de la relaxa­tion, du yoga, des apé­ros entre potes… On parle de tout et n’importe quoi sauf d’écologie, jusqu’à ce qu’elle aille mieux, qu’elle se régé­nère. » C’est la rai­son pour laquelle Lada est entrée chez XR : « L’aspect hyper­so­cial du mou­ve­ment. » Elle pré­dit la pré­sence de deux cents béné­voles à Paris, lors de la semaine de rébel­lion. Ce joyeux bor­del à la com léchée rameutera-​t-​il aus­si le public pen­dant sept jours ? Sacha tranche : « C’est clai­re­ment ce qui scel­le­ra notre ave­nir. » 

* Les pré­noms ont été modifiés.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.