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La semaine de révolte d’Extinction Rebellion

Extinction Rebellion organise, début octobre, une semaine internationale de révolte, à base de blocages et de performances écolos en plein centre des grandes métropoles. L’occasion de dresser le portrait du dernier garnement de l’activisme vert.

Voilà un an que cet hurluberlu de la lutte écolo fait bouger l’activisme vert. La marée de faux sang sur le parvis du Trocadéro, à Paris, les affiches minimalistes ultra flashy (mais si, ce petit logo de sablier noir sur fond flashy !), la rivière de Zurich (Suisse) colorée en vert fluorescent et les blocages des capitales de la mondialisation… c’est lui : le mouvement Extinction Rebellion (« XR » pour les intimes). Grand melting-pot de citoyen·nes fondé sur l’idée de « désobéissance civile » et de « lutte contre l’effondrement écologique et le réchauffement climatique ». Depuis son lancement officiel, avec sa Déclaration de rébellion, en octobre 2018, à Londres (Grande-Bretagne), petit poucet est devenu grand. À ­partir du 7 octobre 2019, le mouvement organise la semaine de la Rébellion internationale d’octobre (RIO) dans les grandes métropoles du monde : Paris, Brisbane, Londres, Berlin, New York ou Buenos Aires… Au menu, nous ont confié deux activistes, « montagnes d’emballages devant des supermarchés, entassement de plastiques dans un filet de pêche qui sera déposé dans un lieu de pouvoir, maraîchage et cuisine en ville, barrages de plantes sur les routes », mais, nous précise-t-on, « distribution de cookies aux automobilistes bloqué·es pour rendre la chose plus agréable » et, surtout, « occupation illégale de lieux emblématiques de notre système injuste et destructeur ». Tout ça dans l’objectif ultime, à terme, de « mobiliser 3,5 % de la population, seuil à atteindre pour déclencher un changement de système », clame la charte de XR.

Un peu anar

Prétentieux ? Selon les « rebelles » (c’est ainsi que se désignent ces activistes), la com coup de poing du mouvement, celle qui fait son succès, sert des principes philosophiques plus profonds. Au départ, Extinction Rebellion n’est qu’une campagne de Rising Up!, un groupe écolo britannique né sur les cendres d’Occupy. Fait peu commun, un groupe de chercheurs et chercheuses britanniques lui dédie une tribune de soutien dans The Guardian, peu après sa création. Coup de projecteur. Sitôt la fameuse Déclaration professée devant le Parlement britannique, des bandes d’écolos lancent des répliques de XR dans leur pays. En France, la déclaration de rébellion façon bleu-blanc-rouge a lieu en mars 2019. 

Avec une poignée de camarades, Lada* l’a préparée dès janvier. On ne sait pas combien de membres compte le mouvement. Car, justement, qui dit « mouvement », et non « association », dit contours flous. Ce côté un peu anar, « libertaire », où tout le monde peut parler, fait l’ADN d’Extinction Rebellion. Pour se dire membre, explique Lada, « il suffit de se reconnaître dans les dix principes de la charte », dont les points cardinaux sont : le souci des générations à venir, l’apprentissage constant et la non-violence. Mais de là naissent bien des débats. Au sujet de la non-violence, « la position officielle, précise Sacha*, une autre rebelle, c’est la philosophie de Gandhi. Et pas ­d’atteinte à l’intégrité physique ou morale d’une personne ou d’un être vivant et pas de dégradation de matériel sauf si c’est décidé en amont ». Des formations à la non-violence sont organisées pour aider les rebelles à ne pas se laisser emporter sur le terrain. « Personnellement, admet Lada, je suis convaincue que les mouvements non violents ne peuvent pas réussir seuls... » Jusqu’où, alors, ouvrir la convergence des luttes ? Lorsqu’il s’agit de convier des assos pacifiques, comme ANV Cop 21 (Action non violente Cop 21) ou Youth for Climate, à la semaine de rébellion, l’idée coule de source. Mais la question se pose pour les « gilets jaunes », dont les dégâts matériels ont fait grand bruit, pourtant eux aussi invités.

Culture régénératrice

De tout ça, quelque 8 000 internautes (à ce jour) en débattent en permanence, par claviers interposés, sur ce qui sert à XR de grande matrice numérique (on l’appelle « la base »). Elle donne accès à des groupes en fonction de sa ville ou de ses thématiques de prédilection – « écologie décoloniale », « écoféminisme », « études scientifiques »… En ce moment, explique en grimaçant Sacha, « on s’y frite pour déterminer s’il faut accepter les généreuses donations de philanthropes américains, dont la famille Getty, enrichie grâce au pétrole »… Dernièrement, on a aussi bloqué l’édition d’un livre. Il s’agissait de la traduction de This is not a Drill, manifeste cosigné par les fondateurs et les fondatrices de XR en Grande-Bretagne, comme Gail Bradbrook et Roger Hallam. « Pour qu’une assemblée citoyenne se fasse, argumente Sacha, tout doit être fait dans l’horizontalité. Du coup, on ne veut mettre personne sur un piédestal. Et puis le contexte anglais est différent, le rapport aux forces de l’ordre notamment. Il paraît que les policiers doivent suivre cinq étapes avant d’arrêter quelqu’un là-bas… quelque peu différent d’ici ! » La manœuvre en dit long sur l’attachement à l’autogestion chez XR France.

Imaginer les rebelles débattre à bâtons rompus donne un peu mal à la tête. C’est là qu’intervient l’un des autres idéaux philosophiques (et novateurs) d’Extinction Rebellion : la « culture ­régénératrice », troisième fondement de la charte. Le concept vient de la militante américaine Joanna Macy, 90 ans, dont trente ans de lutte ­antinucléaire. « Quand elle était aux côtés des militants, raconte Sacha, elle a vu la détresse et la souffrance du combat pour la planète. Lui est donc venue cette idée : il faut prendre soin de toi pour récupérer ton énergie positive et la mettre au profit de la lutte. Concrètement, chez XR, si une personne déprime en se disant que tout s’effondre ou que ses efforts sont vains, on apprend à la calmer. Ça peut passer par de la relaxation, du yoga, des apéros entre potes… On parle de tout et n’importe quoi sauf d’écologie, jusqu’à ce qu’elle aille mieux, qu’elle se régénère. » C’est la raison pour laquelle Lada est entrée chez XR : « L’aspect hypersocial du mouvement. » Elle prédit la présence de deux cents bénévoles à Paris, lors de la semaine de rébellion. Ce joyeux bordel à la com léchée rameutera-t-il aussi le public pendant sept jours ? Sacha tranche : « C’est clairement ce qui scellera notre avenir. » 

* Les prénoms ont été modifiés.

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