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Salaires femmes-​hommes dans le sport : la course de fond

Alors que l’appétence du public pour le sport féminin ne cesse de grandir, les écarts salariaux entre pros femmes et hommes sont encore énormes. Bilan d’étape dans les disciplines les plus favorisées… a priori : le foot, le hand et le rugby.

Elles ont gagné la partie. En septembre 2021, la Fédération américaine de football (FAF) annonçait qu’elle allait proposer des contrats identiques aux femmes et aux hommes jouant en équipe nationale. Une victoire qui tient beaucoup au combat acharné de l’emblématique Megan Rapinoe. En mars 2021, la superstar de l’équipe
américaine, double championne du monde, s’était rendue à la Maison Blanche pour défendre cette demande d’égalité salariale devant le président Biden, après avoir, en 2019, déposé un recours avec 27 autres joueuses contre la politique discriminatoire de la FAF.

Si la différence semble abyssale avec la France où le rapport entre les salaires moyens des hommes et des femmes est de 1 à 27, le constat est à nuancer, selon l’économiste Luc Arrondel1. « Cette égalité concerne uniquement les joueuses de l’équipe nationale, indique le chercheur. Il n’y a pas de législation qui impose l’égalité de salaire au niveau des championnats nationaux. » Par ailleurs, souligne Caroline Angelini, conseillère médias pour des sportives de haut niveau, « aux États-Unis, le soccer féminin est extrêmement populaire et possède une histoire longue et de multiples victoires, alors que les sportifs américains excellent davantage en baseball ou en basket ». Il est donc hasardeux de comparer la situation américaine avec celle de la France, considère Luc Arrondel : « Le football masculin rapporte 2 milliards de chiffre d’affaires par an pour les 20 clubs de Ligue 1, contre 25 à 30 millions pour les clubs féminins », rappelle-t-il.

Loi “Title IX” aux États-Unis

Un écart énorme qui s’explique notamment par le fait que pendant longtemps, le football en France est resté une histoire d’hommes, la pratique étant même prohibée pour les femmes entre 1930 et 1970. Aux États-Unis en revanche, il n’y a jamais eu d’interdiction mais au contraire, l’adoption dans les années 1970 des lois antidiscrimination dites Titre IX (Title IX), qui ont permis le développement de
compétitions sportives féminines dans les universités américaines.

« Il est normal qu’il y ait des disparités énormes en termes de salaire, car le rayonnement médiatique et les ressources générées sont totalement différents, souligne Frédérique Jossinet, chargée du développement du football féminin à la Fédération française de football depuis 2014. Une fois qu’on a dit cela, il faut se demander ce qu’on fait pour que les sportives soient traitées de manière plus égalitaire, sachant qu’à palmarès égal, la valeur monétaire accordée aux hommes et aux femmes n’est pas toujours la même. »

La championne de judo sait de quoi elle parle : lorsqu’elle était entraîneuse, elle était moins payée que ses collègues masculins dont le palmarès était pourtant inférieur au sien2. Une réalité qui a heureusement changé depuis, grâce à la mobilisation des judokates. Il faut dire aussi que pour les sports olympiques amateurs comme le judo, la natation ou l’athlétisme, les inégalités de départ entre hommes et femmes sont moins importantes.

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Attirer les sponsors

Frédérique Jossinet, qui a travaillé entre 2012 et 2014 au cabinet de la ministre des Sports Valérie Fourneyron, considère que la situation peut évoluer si on agit sur plusieurs plans à la fois : au niveau des fédérations, du nombre de licenciées, mais aussi en allant chercher de nouveaux droits télévisés et des sponsors. Sur ce dernier point, la Coupe du monde 2019 a marqué un tournant pour le football féminin : « Les gens pensaient que ça n’intéresserait personne, mais à force de mobilisation, on a réussi à créer un vrai spectacle qui a été regardé par plus d’un milliard de téléspectateurs dans le monde », se réjouit la médaillée olympique. Une
médiatisation qui a attiré des sponsors comme le Crédit Agricole ou Arkema et suscité une multiplication par trois du nombre de licenciées.

Mais si on compare la France à ses proches voisins comme l’Angleterre – qui à l’approche de l’Euro féminin cet été a offert des contrats professionnels à l’ensemble de sa sélection –, on constate que les Tricolores pourraient mieux faire. Si les footballeuses stars de l’Olympique lyonnais ou du Paris-Saint-Germain comptent parmi les mieux payées au monde, beaucoup de leurs consœurs évoluent en première division sans contrat fédéral leur assurant une rémunération minimale.

Pionnier de l’égalité femmes-hommes, le handball a bénéficié du volontarisme de sa fédération qui a acté depuis plusieurs années l’égalité des primes au niveau des compétitions internationales et instauré un congé maternité pour les joueuses – le football n’en étant qu’aux prémices dans ce domaine. Mais « le salaire moyen des
handballeuses plafonne à 3 056 euros brut, contre 6 700 pour les hommes,
pointe
Nodjialem Myaro, présidente de la Ligue féminine de handball . Les clubs
féminins ont plus de difficulté à trouver des partenaires et à négocier des droits télé. Il est vrai que les garçons ont pris de l’avance sur les filles en raison d’un palmarès antérieur. Mais aujourd’hui, les compétitions féminines obtiennent d’excellentes audiences, donc il y a aussi des causes sociétales à cette inégalité ».

Crise dans le rugby

Si le handball reste un sport précurseur en termes d’égalité femmes-hommes, à l’inverse, le rugby a longtemps été marqué par une image de sport violent et masculin, empêchant le développement d’une pratique féminine. Laura Di Muzio, ex-capitaine de l’équipe de France de rugby, précise : « J’ai commencé en 2006 via les cours d’EPS et à l’époque, on manquait de figures auxquelles s’identifier. Aujourd’hui, on sait que les femmes peuvent jouer au rugby et que cela peut être beau à regarder. »

Signe de cette évolution, le nombre de licenciées est passé de 10 000 il y a quinze ans à 25 000 actuellement. En effet, la médiatisation s’est accélérée depuis 2014 avec la diffusion sur France Télévisions de la Coupe du monde et du Tournoi des six nations : « L’équipe féminine est toujours dans le top 4 mondial et cela s’est traduit par une vraie évolution salariale. Depuis cinq ans, la fédération française a décidé de proposer des contrats fédéraux aux meilleures joueuses, qui jusqu’alors devaient jouer pendant leurs congés payés, puis retourner travailler », détaille l’ex-championne de France.

Mais là encore, si une trentaine de privilégiées gagnent autour de 2000 euros par mois – contre 30000 à 40000 pour les hommes –, les autres continuent d’être rémunérées uniquement avec les primes de match. Signe de cette crise, fin 2021, la première division féminine de l’AS Bayonne déclarait forfait en plein milieu de la saison, les joueuses de l’équipe dénonçant les manques de moyens à leur disposition : « Au-delà de la rémunération, insiste Laura Di Muzio, il y a une vraie structuration à apporter autour des championnats, ce que l’Angleterre a su faire en aidant financièrement les dix meilleurs clubs pour qu’ils se professionnalisent et attirent des sponsors. Il existe une vraie attente au niveau des clubs et il faut vite se mettre en marche, sinon tout ça risque de retomber comme un soufflé. » La balle est au centre…

  1. Luc Arrondel est coauteur avec Richard Duhautois de Comme les garçons ? L’économie du football féminin. Éd. Rue d’Ulm/Presses de l’ENS, 2020.[]
  2. Le palmarès de Frédérique Jossinet en judo : vice-championne olympique à Athènes en 2004, deux fois vice-championne du monde en individuel, championne du monde par équipe, triple championne d’Europe, quadruple championne de France.[]
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