Julia Chanourdie, pre­mière de cordée

Mise à jour 4 août 2021 /// Malgré son statut de favorite, Julia Chanourdie n'a pas atteint la finale d'escalade des JO de Tokyo ce mercredi 4 août. Mise en échec lors de l'épreuve du bloc, qui est pourtant son domaine, elle n'a pas réussi à rattraper son retard lors de l'épreuve de difficulté. Petite consolation : sa compatriote Anouck Jaubert s'est, elle, qualifiée pour la finale, qui se tiendra vendredi 6 août.

Cet été, l’escalade fait son entrée aux Jeux olympiques. Julia Chanourdie est l’une des deux femmes qui défendront les couleurs de la France à Tokyo. À 25 ans, elle a montré qu’elle grimpait aussi fort que les hommes, en compétition comme en falaise.

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Julia Chanourdie © JULIA CASSOU

À quatre mois pile des JO, il a fallu batailler un peu pour rencontrer Julia Chanourdie lors de sa tournée médias à Paris. Après Le Figaro, Le Parisien, LCI, RMC et l’AFP, la voilà dans les locaux de Causette, dans une coquette tenue de ville. « L’année dernière, j’ai dit oui à toutes les sollicitations, je me suis épuisée et j’ai perdu de vue mon objectif : m’entraîner pour les Jeux », dit-elle. Depuis, elle a pris un agent : c’est lui qui gère son image et ses contrats.

Après son marathon d’interviews, la grimpeuse enchaîne avec un stage de préparation olympique où elle retrouve l’équipe de France. Direction Climb Up, une nouvelle salle d’escalade parisienne. Les prises neuves attaquent la peau des doigts, et le niveau élevé de l’entraînement surprend certains athlètes. Il faut pourtant bien cela en vue du rendez-vous à Tokyo.

Cette édition des JO voit en effet l’escalade intégrer le programme, avec le surf, le karaté, le base-ball et le skateboard. L’épreuve olympique combinera les trois disciplines de l’escalade : la difficulté, où l’on grimpe le plus haut possible dans une voie avec un assurage ; le bloc, où l’on multiplie les passages sur des pans de 4 mètres de haut sécurisés par des tapis ; la vitesse, où l’on gravit un tracé identique à chaque compétition, le plus vite possible et en duel. Pour cette première année olympique, seules quarante qualifications étaient en jeu : vingt hommes et vingt femmes en tout, avec un maximum de quatre athlètes par pays.

Premières compétitions à l’âge de 8 ans

Julia Chanourdie a été la première Française à décrocher le sésame en décembre 2019, au terme d’une année épique. « J’ai fait compétition sur compétition pour essayer de me qualifier, c’était une pression difficile à gérer, d’autant que tous les athlètes français et étrangers voulaient la même chose. » Cette qualification vient couronner des années de haut niveau : compétition dès 8 ans, des dizaines de médailles et de titres en championnats nationaux et mondiaux chez les jeunes, puis autant de podiums chez les seniors depuis 2017. Malgré sa liste impressionnante de résultats, elle a mis du temps à comprendre qu’elle dominait son sujet. « J’ai toujours fonctionné par étape : quand j’ai commencé les coupes du monde, il a fallu un peu de temps avant que je m’autorise à convoiter les finales, puis les podiums. » Anouck Jaubert, l’autre Française qualifiée pour Tokyo, confirme : « Julia a une progression constante depuis des années, lentement mais sûrement. En 2017, elle m’avait confié ses limites mentales, juste avant de prendre la troisième place aux World Games en Pologne. Elle a franchi un cap ce jour-là. »

Avec le report des Jeux à 2021, Julia Chanourdie a gagné une année supplémentaire pour se préparer à l’épreuve de vitesse, qui n’est pas sa discipline de prédilection. « M’entraîner pour la vitesse a été fatigant au départ. Ça veut dire plus de séances à caler dans le planning et aussi accepter de régresser dans les autres disciplines. Avec le combiné, ça donne des JO très aléatoires, tout peut arriver au classement final. » Jusqu’aux olympiades, son programme compte vingt-cinq heures de grimpe par semaine et des étapes de Coupe du monde en Suisse, aux États-Unis, en Autriche et en France. Pour préparer au mieux l’événement, elle a mis en pause ses études de sport, mais vit de l’escalade grâce à un employeur atypique : l’armée des champions. Cette vitrine sportive des forces armées françaises recrute des athlètes qui participent à des compétitions et à des représentations au cours d’événements militaires. À cela s’ajoutent des partenariats avec de grandes entreprises et des marques de matériel de grimpe. De quoi assurer des revenus décents, alors que les gains restent modestes dans l’escalade de compétition.

Avec l’arrêt des compétitions en 2020 pour cause de pandémie, Julia Chanourdie a engrangé des performances sur son terrain de jeu favori : la falaise. Car l’escalade se pratique autant sur les structures artificielles (en intérieur) que sur les sites naturels (en extérieur). Depuis quatre ans, elle collectionne les premières ascensions féminines de voies extrêmement dures. En mars 2020, elle enchaîne par exemple Super Crackinette, sur la falaise de Saint-Léger-du-Ventoux (Vaucluse) devenant ainsi la première Française à réaliser une voie de cette difficulté (9a+). En novembre, elle récidive sur le même site, cette fois avec Eagle-4, une voie encore un cran au-dessus : elle est la troisième femme au monde à atteindre un tel niveau. Deux exploits qui ont alimenté l’intérêt médiatique pour Julia, mais aussi aiguisé sa soif d’égalité. « Après mes réussites, j’ai vu des mecs faire la queue pour essayer ces voies en se disant qu’elles devaient être accessibles si une fille les avait faites ! J’en rigole, mais c’est pénible. À un moment, il va falloir admettre que les femmes peuvent être aussi fortes que les hommes ! »

L’escalade, une histoire de famille

À l’autre bout de la corde, côté assurage, son compagnon, Augustin, vibre à chacune de ses performances. Il se souvient de leur rencontre, en 2017, dans une salle d’escalade lyonnaise. « Je la connaissais de nom, car elle commençait à percer dans le haut niveau. Comme tous les garçons, j’étais amoureux d’elle. L’alchimie a fonctionné rapidement et je me suis mis à la suivre en falaise. » Sa petite fierté ? Battre Julia au bras de fer, même s’il la suspecte de le laisser gagner. Compagnon de cordée et de vie, Augustin se réjouit du succès de sa chérie. « Super Crackinette, c’est dix-sept jours de travail étalés sur deux mois, dix-sept jours de hauts et de bas, de pleurs, de rires, d’énervement. Je lui apporte ma présence et mon écoute : un athlète a énormément besoin de parler de ce qu’il ressent. Je la rassure sur ses doutes, je prends soin d’elle, je participe à ma façon pour la soutenir dans ses ­fragilités. » Travailler une voie extrême, c’est accepter de tomber des dizaines de fois sur la même prise… et de recommencer jusqu’à l’enchaînement.

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© JAN NOVAK

Aux JO, malheureusement, Augustin ne pourra pas être à ses côtés : le gouvernement japonais a interdit, fin mars, l’accès aux spectateur·rices étranger·ères. Julia Chanourdie aura droit à une exception : avec sa double casquette de père et d’entraîneur, Éric Chanourdie embarquera avec le staff de la fédération. « Je suis un entraîneur autodidacte : je m’y suis mis quand elle a commencé à se démarquer, vers 8 ans. Au début, elle grimpait avec sa sœur dans la salle ­d’escalade que je tenais avec ma femme, à Annecy, et on allait tous les week-ends en falaise. » À partir des 12 ans de sa fille, Éric structure un planning d’entraînement après avoir accumulé beaucoup de connaissances sur le sujet. « J’ai lu et échangé avec des personnes qui avaient plus d’expérience sur l’entraînement des enfants dans d’autres sports. En escalade, Julia a fait partie de la première génération d’enfants très forts. On n’avait pas encore de recul sur ce qu’allaient devenir les petits qui commençaient tôt. » À l’adolescence, leur double relation père-fille et entraîneur-athlète se complique. Ils parlent, ajustent, continuent d’avancer « naturellement et en douceur », dit Julia. Son père utilise les mêmes mots et ajoute : « J’ai accompagné, jamais poussé. »

Côté école, Julia fréquente un collège, puis un lycée à Annecy, passe sa terminale en deux ans avec son statut d’athlète, décline goûters et apéros. « Le haut niveau t’oblige à gérer beaucoup de choses très jeune, entre les cours, les devoirs, les entraînements. À faire des sacrifices pour garder une bonne hygiène de vie. À affronter des questions sur toi-même plus tôt que pour les personnes “normales”. » Après un bac S, elle établit son camp de base à Chambéry, puis à Lyon, jamais trop loin du chalet familial, sur les hauteurs d’Annecy. « C’est ma base, mon cocon et mon lieu d’entraînement grâce à la structure de bloc créée par mon père. » Un père qui fonctionne à l’instinct avec sa fille, sent son état de forme à sa seule façon de parler et souhaite évidemment le meilleur pour les JO. « J’espère qu’elle ne se laissera pas bouffer par l’événement et qu’elle sera contente quel que soit le résultat », confie-t-il. Faute de pouvoir vivre Tokyo en famille, Lise Chanourdie regardera sa fille à la télé, avec le cœur qui bat. « Déjà, quand elle avait 8 ans et qu’elle gagnait tout, je stressais pour elle. » Cette ancienne nageuse de niveau national s’est mise à l’escalade, formant avec son mari et Lucie, la petite sœur, un écosystème bienveillant autour de Julia.

Une immense force qui cache des faiblesses

De la bienveillance, Julia en a eu grand besoin ces dernières années. « À 17 ans, j’ai eu une relation avec un garçon toxique qui m’a rabaissée. J’étais jeune, gentille, sensible, tout me réussissait, j’ai attiré cette personne et je me suis construite sur une mauvaise base. » L’épisode resurgit en 2018 sous la forme d’une dépression qui dure de longs mois. « On avait l’impression que le monde s’effondrait, qu’on ne pouvait rien pour elle. On l’a accompagnée en faisant de notre mieux, en trouvant les bons mots », se rappelle sa mère. La reconstruction prend encore plus de temps, mais Julia en parle volontiers pour faire de la prévention sur les violences morales. « Je suis quelqu’un de normal : je suis très forte, mais j’ai aussi de grandes fragilités. En termes de confiance en moi et d’estime, c’est encore difficile. » Ses fragilités l’obligent à travailler avec un hypnothérapeute, et ça paie, selon Augustin : « Depuis trois ans, elle franchit les étapes, elle gagne en maturité, elle prend conscience de son niveau et elle abandonne des peurs. » Elle l’affirme aussi, presque pour se convaincre elle-même. « Mes réussites en falaise m’ont rappelé que je suis forte mentalement. Il faut que j’arrive à appliquer cet état d’esprit à chaque compétition, que j’admette que j’ai le droit de gagner, moi aussi. Quand je me sens en confiance, quand je sais pourquoi je suis là, les résultats suivent. Être prête à gagner, ça se prépare. » Une certitude : en grimpant à Tokyo, Julia Chanourdie incarnera parfaitement la devise des Jeux olympiques : « Plus vite, plus haut, plus fort. »

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