Hubert Artus : « Je rêve de voir une Coupe du monde de foot dont les tour­nois fémi­nins et mas­cu­lins se dis­putent les mêmes jours »

Le 8 juin, le journaliste et critique Hubert Artus a publié son nouvel ouvrage, Girl Power – 150 ans de football au féminin. Essor du soccer aux États-Unis, tour du monde des équipes féminines, enjeux pour plus d’égalité salariale, foot post-MeToo : Hubert Artus y explore toutes les facettes d’une discipline qui le fascine.

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Causette : Pourquoi le foot féminin est un sujet qui vous passionne autant ?
Hubert Artus : C’est à la jonction des deux facettes de mon identité. Ma facette politique : le journaliste que je suis est militant antifasciste et féministe. Et ma facette sport : j’ai toujours été passionné de football, j’en ai d’ailleurs fait un premier livre, Dictionnaire rock, historique, et politique du foot en 2011. Je soutiens l’OM féminin et je regarde beaucoup le foot féminin en stade et à la télé. Ces matchs sont médiatisés et diffusés depuis peu de temps, autour de 2011 avec la Coupe du monde féminine où l’équipe française est allée jusqu’au demi-finale, à la surprise générale. Ce moment a fait prendre conscience que les footballeuses savaient jouer et gagner.

Pourquoi était-il important pour vous de faire un tour du monde des équipes féminines et de ne pas se cantonner qu’à l’Occident ?
H.A. : Justement, parce le Japon a eu un titre de championnes du monde en 2011 contre les États-Unis. Parce que la Chine a organisé deux Coupes du monde féminines. Parce que l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont dans des situations bien plus féministes et avancées qu’en France. Il fallait forcément parler du monde entier pour montrer que nous, qui vivons dans l’hémisphère nord, avons tendance à nous regarder le nombril. Ne parler que de nous revient à ignorer l’histoire du sport féminin, qui a dû se battre contre une fatalité. Il faut se souvenir que beaucoup de sports d’équipe ont été originellement inventés par des blancs (le foot, le cricket, le basket, le rugby…), et l’Occident ayant une certaine expérience du patriarcat, ces sports étaient clairement plus masculins. Ils étaient malgré tout autorisés pour les femmes, comme loisir, mais pas en compétition.

« Les joueuses françaises n’ont toujours pas le statut juridique de joueuses professionnelles. »

Et justement, avec ce livre, je veux montrer comment des femmes se sont battues contre leur système, contre les règles imposées. Je veux prouver que certains pays qui, au départ, ont avancé moins vite que la France sur le foot féminin, sont parfois en avance aujourd’hui. En plus, comme je l’explique dans la troisième partie de mon ouvrage, le foot féminin est devenu un soft power pour les pays du Proche-Orient comme la Jordanie, le Qatar, l’Arabie Saoudite, parce qu’il représente un gage de mixité, alors qu’avant la non-parité régnait là-bas. Depuis que le Qatar a été nommé organisateur de la Coupe du monde 2022, chaque pays de la région veut être le premier pays du Golfe à organiser les JO, à être à la tête des compétitions, et pour se faire bien voir, il faut forcément inclure les femmes. À l’heure actuelle, le foot féminin sert de navire amiral du soft power, pour leurs propres intérêts.

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Hubert Artus © Patrick Gaillardin

Pourquoi peine-t-on encore autant aujourd’hui à intéresser au foot féminin en France ?
H.A. : Nos médias ne sont pas à la traine sur le sujet, ce n’est pas le problème selon moi. La France est un pays en retard par rapport à l’Allemagne, l’Italie, la Suède, l’Angleterre, ça c’est sûr. Mais ce n’est pas juste une question de différence homme-femme, pour moi c’est surtout parce que la France n’est au fond pas un pays de culture foot. La preuve, ce n’est que depuis 1998 que le foot est à la mode, avec le titre de Champion du monde. Comme nous ne sommes pas un pays de culture du foot, nous ne pouvons pas avoir un intérêt viscéral pour le foot féminin, surtout que nous sommes inscrits dans une histoire patriarcale.
Le problème est clairement au niveau de la Fédération Française de Football. C’est la FFF qui ne fait pas assez. Car ce n’est pas normal, pour des matchs de championnat de première division féminine, de ne presque jamais se tenir au Parc des Princes ou au Stade de France. Ce n’est pas normal que la FFF ne fasse pas plus de promo, ne facilite pas plus l’accès aux stades pour les spectateurs… Forcément, s’il n’y a pas de moyens mobilisés, ça ne donne pas du tout envie de regarder les matchs féminins à la télé : il n’y pas de ralentis, pas de travelling, pas de travail de réalisation, enfin, c’est naze à regarder, quoi ! Et la FFF reste en plus hypocrite sur le sujet, puisque la France songe à déposer sa candidature pour accueillir l’Euro 2025. Mais n'oublions pas que les joueuses françaises n’ont toujours pas le statut juridique de joueuses professionnelles, puisqu’elles signent des contrats fédéraux gérés par la FFF et non la Ligue de football professionnel. Ça, ce n’est clairement pas normal.

« Celles et ceux qui trainent à faire changer les choses pour le foot féminin, c’est la FFF, c’est la France, ce sont nos mentalités, et c’est aussi le ministère de la jeunesse et des sports. »

Comment les footballeuses gèrent-elles les grossesses, le fait d’être mère, pendant leurs carrières ?
H.A. : Il y a un cas qui s’est posé à la saison dernière, la première fois dans l’histoire du foot féminin français : Amel Majri, footballeuse à l’OL, qui est tombée enceinte au même moment où elle s’est gravement blessée au genou. Elle était à l’apogée de sa carrière et elle a accepté de se dispenser de championnats. De toute façon, ce n’est pas possible de jumeler une vie privée et une vie sportive quand on est une femme athlète. En plus, la carrière d’une joueuse se finit en général avant celle d’un joueur, et certaines arrêtent leur carrière avant, comme Louisa Necib (joueuse de l’OL) qui a stoppé sa carrière en avance en 2016 pour se consacrer à sa vie privée, et devenir mère. Elle-même avait dit à l’époque que c’était trop compliqué d’être joueuse et maman, alors que les hommes, eux, peuvent plus facilement être les deux.

Les combats menés par les équipes internationales pour exiger plus d’égalité salariale sont-ils suffisants pour faire bouger les choses ? Faudrait-il que leurs homologues masculins s’emparent davantage de ces questions ?
H.A. : C’est sûr, il faut que ça devienne le problème de tout le monde. Les joueurs de Belgique ou d'Allemagne qui ont récemment porté les maillots de leurs collègues féminines pour promouvoir l'Euro féminin ont conscience que leurs actions, leurs conférences de presse, leurs matchs ont bien plus d’écho. Bien qu’individuellement, ces joueurs sont moins connus que les stars féminines, leur discipline masculine est tellement plus connue et prise au sérieux que leurs grèves, leurs actions et leurs déclarations sur le sujet ont un impact. C’est super. Ça ne pourra passer que par l’implication des joueurs pour que la Fédération prenne la mesure des enjeux et de ce qu’il reste à faire, pour donner plus envie aux jeunes filles d’aller voir des matchs féminins.
Pour moi, la vraie mesure phare, ce serait d’avoir une Coupe du monde de foot dont les tournois féminins et masculins se disputent les mêmes jours, comme aux JO. Si pour les JO il est possible de faire concourir les femmes et les hommes simultanément, pourquoi ne pas en faire de même pour des championnats de foot ? En plus, il y aurait encore plus d’équipes, donc plus de supporters. C’est un rêve aussi pieux que celui d’un monde durable, mais je préfère parier dessus sans y croire.
L’obstacle supplémentaire, c’est aussi la mentalité en France. Les clubs sont prêts, eux. Certains ont déjà mis beaucoup de moyens pour leurs clubs féminins. Ceux qui trainent, c’est la FFF, c’est la France, ce sont nos mentalités, et c’est aussi le ministère de la jeunesse et des sports. Les différentes ministres qui se sont succédées n’ont malheureusement pas porté ces questions d’égalité dans les compétitions. Moi, ça me révolte que personne n’ait émis l’hypothèse, parce que ce sera en le verbalisant qu’on rendra le problème important.

Girl Power, 150 de football au féminin, d'Hubert Arthus, chez Calmann-Lévy.

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