capture decran 2022 07 06 a 17.51.58
Emma Oudiou (©Youtube)

Avec son docu­men­taire "Suite", l'ancienne ath­lète Emma Oudiou dénonce les vio­lences sexuelles dans l'athlétisme

Emma Oudiou, ancienne spécialiste de demi-fond, donne la parole à cinq athlètes victimes de violences sexuelles dans le milieu de l'athlétisme dans son documentaire Suite. Elle revient pour Causette sur la genèse de son travail et sur l'urgence à agir pour briser l'omerta au sein du monde sportif.

À seulement 27 ans, Emma Oudiou, spécialiste du 3000 m steeple, une course de demi-fond, a participé à une dizaine de championnats de France, d'Europe et du monde. Si l'ancienne athlète de l'équipe de France a raccroché les chaussures à pointes en décembre 2021, elle n'a pour autant pas arrêté de réfléchir au milieu dans lequel elle a évolué pendant de nombreuses années. Et aux violences qu'elle y a subies. En 2018, la jeune femme avait porté plainte contre un entraîneur pour agression sexuelle, avant que l'affaire ne soit classée sans suite en 2020.

Afin de bousculer le milieu du sport, Emma Oudiou, qui travaille aujourd'hui chez Décathlon, s'est improvisée documentariste et a recueilli, au cours des derniers mois, la parole de cinq athlètes, âgées de 20 à 34 ans, évoluant à différents niveaux et qui ont toutes subi des faits de violences sexistes et sexuelles. Les mots de Sarah, Noémie, Élisa, Cassandre et Perrine sont à la fois forts et bouleversants dans le documentaire Suite, diffusé à la fin du mois de juin sur Youtube par l'ancienne sportive. Elle revient pour Causette sur la genèse de ce travail, et analyse les causes et conséquences de ces violences dans le monde sportif.

Causette : Vous avez porté plainte en 2018 contre un entraîneur pour des faits d’agression sexuelle. La plainte a été classée sans suite en 2020. Est-ce que ce sont ces événements qui vous ont poussé à réaliser un documentaire sur les violences sexuelles dans le milieu de l’athlétisme ?
Emma Oudiou :
Totalement. Voir que l’appareil judiciaire n’avait malheureusement pas répondu de manière favorable et constructive à ce que j’avais vécu m’a amenée à réaliser ce documentaire. Je ne suis pas un cas isolé, car dans beaucoup d’affaires de ce type, il y a des classements sans suite. Beaucoup de victimes ne sont pas reconnues dans ce qu’elles ont vécu. Donc je souhaitais trouver un autre moyen pour permettre aux femmes qui ont vécu des violences sexistes et sexuelles de parler et d’être reconnues dans leur traumatisme. 

Comment avez-vous recueilli les témoignages des cinq sportives qui témoignent dans votre documentaire ? Se sont-elles spontanément tournées vers vous après votre prise de parole ?
E.O. : J’ai fait un appel à témoins sur Instagram, au début de l’année 2022. J’ai reçu une vingtaine de témoignages, parmi lesquels celui d’un homme. Certaines des filles me disaient qu’elles ne savaient pas si les faits qu’elles me rapportaient étaient suffisamment graves. Ce qui traduit un véritable manque d’éducation et de sensibilisation sur ces sujets.
J’ai choisi d’interroger les cinq athlètes du documentaire car elles ont des niveaux différents, certaines ont une carrière internationale, d’autres nationale ou régionale. Mais aussi car les auteurs de violences étaient soit athlète, soit coach, soit président de club, ce qui montrait que ces agresseurs sont partout et peuvent avoir n’importe quelle fonction dans le milieu sportif.

Existe-t-il, encore aujourd’hui, une omerta dans le milieu du sport sur les violences sexistes et sexuelles ? 
E.O. : Oui, et c’est très grave. Car ce silence permet aux violences de continuer. Récemment, il a été révélé que l’athlète Wilfried Happio, tête d’affiche de l’équipe de France, est visé par une plainte pour agression sexuelle. Et dans une enquête de L’Équipe, qu’un athlète du club d’athlétisme de Cergy-Pontoise est accusé d’avoir drogué des collègues pour abuser d’eux [ndlr: selon le journal, il a été mis en examen fin juin pour « agression sexuelle avec administration d’une substance à la victime à son insu pour altérer son discernement ou le contrôle de ses actes »]
Après la diffusion de mon documentaire, il n’y a eu aucun écho chez les athlètes de haut niveau, femmes comprises, à part Christophe Lemaitre. Lors de son avant-première, en juin, quelques membres de la Fédération française d’athlétisme (FFA) sont venus. J’ai ensuite reçu un mail de la part de son service juridique en disant qu’elle voulait faire bouger les choses et discuter de solutions. Mais c’est paradoxal, car face à ce discours-là, il existe en parallèle un silence, une difficile prise de position publique sur ces sujets, qui deviennent insupportables. Les mentalités sont en train d’évoluer, mais cela va prendre du temps pour que les gens prennent position face à ces violences.

Les violences sexistes et sexuelles brisent-elles une carrière sportive ?
E.O. :
Ces violences peuvent briser des carrières sportives. Leurs conséquences sont absolument terribles. Je pense que ça a participé à l’arrêt de ma carrière, mais ces violences sexistes et sexuelles font aussi partie de tout un maillage de violences qui se créent autour de l’athlète pendant sa carrière. Il existe une maltraitance physique à l’entraînement, une maltraitance psychique… Au-delà des agressions sexistes et sexuelles, c’est la multiplicité de ces violences que je ne supportais plus. Le milieu est beaucoup trop violent et n’est pas capable de se remettre en question. Il ne correspondait plus à mes valeurs. J’ai vraiment voulu le fuir.

Selon les témoignages recueillis, il semble exister une omnipotence des entraîneurs et des présidents de club, une ascendance de leur part sur les jeunes athlètes… 
E.O. :
On est dans un fonctionnement en France et ailleurs où l’entraîneur est celui qui sait tout et peut tout. Une forme de domination se met en place très rapidement entre l’entraîneur et l’athlète. Elle est d’autant plus forte quand l’entraîneur est un homme et l’athlète une femme, en raison des inégalités de genre qui entrent en compte. Le sport est particulièrement propice à toute forme de violences car ce rapport-là se met en place très tôt. Le rapport à son propre corps devient aussi très complexe, car l'athlète doit accepter la douleur et la souffrance. Ce sont ces éléments que le milieu et les instances dirigeantes doivent entendre pour pouvoir lutter contre les violences sexuelles. 

Comment faire évoluer les choses ? Faut-il former les membres d’un club aux violences sexistes et sexuelles ?
E.O. :
Je pense que des formations obligatoires doivent être instaurées pour tous les encadrants dans le milieu du sport et pour les athlètes. Beaucoup d’athlètes n’ont pas conscience que ce qu’ils ont vécu sont des violences sexuelles, ça a été mon cas au début. Les athlètes, et en particulier les jeunes femmes, doivent être éduquées très tôt sur ce qu’elles sont en droit de refuser et pour mettre des mots sur ce qu’elles vivent. 
Il faut que les instances mettent également en place une politique de tolérance zéro concernant les violences sexistes et sexuelles, de la blague à caractère sexuel au harcèlement, en passant par le rapport ambigu entre l’entraîneur et l’athlète. On ne doit pas accepter que les entraîneurs massent les sportifs dont ils s’occupent, par exemple.
Je crois, enfin, qu’un réel accompagnement des victimes doit être développé, qu’il soit psychologique ou juridique. Les institutions doivent se positionner en faveur des victimes. Les institutions sportives estiment que tant que la justice n’a pas fait son travail, elles n'ont rien à faire. Mais les décisions de justice peuvent mettre des années à être prises. Ce sont des années où les victimes peuvent rester en présence d’un agresseur…

Vous-êtes vous sentie seule lorsque vous avez porté plainte ?
E.O. :
Dans le milieu de l’athlétisme je me suis sentie un peu seule, même si avant moi, dans les années 90, Catherine Moyon de Baecque avait dénoncé les violences qu’elle avait vécues. Quand j’ai porté plainte, il n’y avait pas grand monde pour me soutenir. 

Avec ce documentaire, souhaitez-vous provoquer un changement dans le milieu de l’athlétisme, et plus généralement du sport ?
E.O. :
J’ai envie que les gens prennent conscience de ce qu’il se passe. Les faits sont choquants et beaucoup plus répandus que ce que l’on pense. Les femmes parlent de plus en plus mais ne sont pas écoutées. Je souhaite que ce documentaire libère l’écoute et motive les prises de positions claires. Surtout, il existe pour que les victimes qui ne peuvent pas parler se sentent moins seules et sachent que des femmes ont vécu la même chose qu’elles et qu’on est là pour faire front. 

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.