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Vacances : elles ont choi­si de par­tir seules

Ninon, Aurélie et Chloé ont entre 26 et 28 ans. Comme de plus en plus de femmes, elles ont choisi les vacances en solo. Entre peur de la solitude, ouverture à l’autre et questionnements sur leur sécurité, elles nous racontent cette expérience émancipatrice.

« Hello, j’envisage de partir en voyage en Europe solo après une rupture sentimentale mais j’avoue que ça me fait un peu peur de me lancer… Où me conseilleriez-vous d’aller ? » Des messages comme celui de Garance, le groupe Facebook « Voyager au féminin en sac à dos » qui compte 97 300 membres, seulement des femmes, en voit passer plusieurs dizaines par jours au milieu de clichés de montagnes, de plages paradisiaques et de monuments historiques.

« Voyager au féminin en sac à dos », mais aussi « We are backpackeuse », « Les Couchsurfeuses », « La Voyageuse », ou « Ose voyager seule ». Depuis quelques années, les groupes réservés aux femmes désireuses de tenter les vacances en solo pullulent sur les internets. Autrefois connotées stade ultime des vacances de la lose, l’aventure en solo s’est largement démocratisée ces dernières années et nombreuses sont les femmes qui n’hésitent plus à partir sur les routes de France et de Navarre. Mais, à la différence de leurs compères masculins, celles qui voyagent seules intriguent, déroutent, autant qu’elles forcent l’admiration.  

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Il faut dire que dans l’Histoire, les femmes n’ont pas été habituées à fouler, seules, les sentiers du monde. Réduites à la maternité, cantonnées à la sphère domestique et donc à l’immobilité, elles étaient davantage des patientes Pénélope attendant le retour d’Ulysse au port que des Christophe Colomb en devenir. En témoigne d’ailleurs l’essai Les femmes aussi sont du voyage, de Lucie Azema, publié en mai 2021 et sélectionné cette année-là pour le prix de l'essai féministe décerné par Causette. Un ouvrage qui s’adresse aux femmes qui sont déjà parties et à celles qui n’osent pas encore en les invitant justement à larguer les amarres et à s’affranchir du carcan qui voudraient les retenir au foyer. « Voyager, pour une femme, c’est une mise à feu – de toutes les interdictions, de toutes les injonctions », résume l’autrice, elle-même bourlingueuse au long cours.

Voyage thérapeutique

Chloé, 27 ans, vient tout juste de rentrer de dix jours dans les Cinque Terre, dans le nord de l’Italie. C’est la tête encore pleine de souvenirs fleurant bon le spritz et la mozzarella, qu’elle nous débriefe ce premier voyage en solitaire. « Je sens que je suis nourrie de plein de choses, déclare Chloé, qui ne parle pas ici des spécialités culinaires italiennes. Je n’avais jamais ressenti une telle liberté dans mes envies et dans mes choix. » Pour la jeune journaliste pigiste, ce voyage s’est presque imposé à elle. « Ça fait un an que je suis une thérapie et j’avais l’impression que partir seule allait être thérapeutique, comme l'aboutissement de ce travail. Je sens que je suis d’ailleurs encore en train de digérer cette expérience. » 

Il y a celles, comme Chloé, pour qui le voyage en solo a une valeur cathartique et celles pour qui il est parfois compliqué de voyager avec des gens ne partageant pas les mêmes valeurs qu'elles. Ninon, 28 ans, a déjà une petite dizaine de destinations au compteur. Si elle est devenue une adepte du voyage en solo, c’est que celle qui travaille dans un hôtel de luxe parisien éprouve parfois des difficultés à s’adapter à ses partenaires. « Je suis partie en Chine avec une copine qui avait peur de tout, elle n’aimait pas la forêt, elle avait le vertige, elle avait peur de prendre des taxis au noir alors que là-bas, c’est très courant. C’était très pénible, explique-elle. Si je voyage avec quelqu’un, il faut qu’il ait la même vision que moi, sinon, j’ai du mal. De toute façon, si c’est un pays que je découvre pour la première fois, je préfère être seule parce que de cette manière je peux me plonger pleinement dans la culture. »

Se confronter à soi-même

Se retrouver seule à des centaines ou des milliers de kilomètres de son quotidien, c’est surtout se confronter à soi-même. Si les voyages forment la jeunesse, ils permettent surtout de se construire, si on en croit les nombreux témoignages de jeunes femmes reçus par Causette. « C’est sûr que tu ne peux pas te reposer sur quelqu’un mais en même temps, il y a eu cet instant où je me suis dit "bon, il va falloir que tu te retrouves avec toi-même ma grande, parce que jusqu’au bout, jusqu’à la fin de ta vie, tu seras seule avec toi-même" », confie ainsi Chloé. 

« On revient rechargé de cette force double, de cette capacité à créer du lien et à ne pas se sentir nécessairement mal en étant seul ».

Marie-Noëlle Schurman, sociologue

Mais se confronter à la solitude peut aussi se révéler déroutant dans une société où elle est davantage perçue comme une épreuve qu’une richesse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Chloé a tardé avant de se lancer. « Ça peut être violent de se retrouver avec soi-même au début mais en fait, en voyageant seule, c’est là que tu rencontres beaucoup de gens, encore plus que quand tu es avec des gens », explique Chloé. La journaliste précise être devenue, grâce à ces dix jours en Italie, une experte en small talk (conversations informelles). « J’ai un milliard d’anecdotes là-dessus », dit-elle en riant.

Pour la sociologue Marie-Noëlle Schurman interrogée par Slate, la solitude peut même devenir un « outil ».  « On revient rechargé de cette force double, de cette capacité à créer du lien et à ne pas se sentir nécessairement mal en étant seul »« Il faut se donner des coups de pied aux fesses. On est toujours sans appui, toujours dans la découverte. C’est une mise à l’épreuve », concède la sociologue. Une mise à l’épreuve qui consiste pour elle à « quitter les terrains balisés, les habitudes de la vie quotidienne, les gens connus » et donc à « apprivoiser sa capacité à être seul et à construire des liens avec les autres dans un terrain inconnu ».

« Tu dois trouver des solutions par toi-même »

Aurélie, 26 ans.

Apprivoiser et s’apprivoiser. C’est exactement ce qu’a cherché Aurélie, 26 ans, en baroudant dans le sud de l’Espagne en sac-à-dos il y a cinq ans. « Ça m’a donné une telle confiance en soi. Lorsqu’il y a un couac, t’es toute seule, tu dois trouver des solutions par toi-même. En Espagne, je me suis arrêtée dans une ville où j’avais réservé un hôtel qui était super loin et mal situé. J’ai paniqué deux secondes puis j’ai fini par trouver un blablacar pour m’y emmener. » 

Ninon, elle, préfère éviter les couacs en ne laisse rien au hasard. La jeune femme prépare ses voyages des mois en avance en s’abondant autant des blogs de voyages que des recommandations du ministère des Affaires étrangères. « En étant seule, je n’ai pas le droit à l’erreur », estime Ninon. Si elle n’a jamais ressenti une insécurité ou vécu une mauvaise expérience, avec le temps, elle a développé des petites techniques : « Mon sac n’a pas de couleur flashy, je ne mets pas de bijoux et je planque de l’argent à plusieurs endroits sur moi. Tout ça, ça me permet de me sentir en sécurité. »

Les peurs de l'entourage et l'insécurité

La sécurité. C’est un mot qui est largement revenu au fil de nos discussions tant il a été admis dans notre société patriarcale que les femmes qui voyagent seules se mettent inutilement en danger. « Une femme qui voyage se retrouve tiraillée entre deux représentations misogynes : elle serait soit une novice, une incompétente qui a peur de tout et n’est capable de rien, soit une traînée, une fille de mauvaise vie qui expose sa vertu aux quatre coins du monde », écrit d’ailleurs Lucie Azema dans Les femmes aussi sont du voyage

Si aucune des trois jeunes femmes interviewées par Causette ne regrette d’avoir tenté l’aventure, la sécurité a, à un moment ou un autre, conditionné la façon dont elles ont vécu leur voyage. « Le dernier soir, je me suis retrouvée seule dans le dortoir d’une auberge de jeunesse avec un homme, raconte Chloé. Je n’étais pas du tout à l’aise alors qu’il était en fait très sympa. » De son côté, Aurélie a vécu une expérience qui, si elle le raconte aujourd’hui sur la rigolade, s’est avérée être sur le coup « traumatisante ». « Il y avait quarante lits dans le dortoir et au milieu de la nuit, je sens qu’un homme commence à s’installer dans mon lit, il s’était juste trompé de lit mais j’ai fait un bond. » 

Elles ont dû surtout composer avec les peurs de leur entourage. Ninon était au Maroc au mois de mai. Un voyage qu’elle rêvait de faire seule depuis longtemps. « Tout le monde a essayé de me dégouter d’aller au Maroc en me disant que c’était dangereux pour une femme seule, raconte Ninon. En fait, les gens projettent sur les femmes qui partent seules leurs propres peurs et insécurités. » Pour rassurer ses proches, Ninon envoie tout de même chaque matin son emploi du temps avec la ville d’arrivée et de départ à ses proches. 

Le début de quelque chose ?

Pour aider leurs camarades d'aventures solitaires à se sentir en sécurité, certaines ont choisi de mettre en relation des expatriées et des touristes. Élodie Quincieux a lancé il y a quatre ans le groupe Facebook « Les Françaises en Australie », destiné à aider des femmes qui souhaitent partir visiter le pays d’Oz. Depuis, soixante-neuf groupes se sont créés pour autant de pays et rassemblent 111 000 membres. Le principe est simple : s’échanger des conseils et des infos entre touristes et expat’ sur fond de sororité. « C’est aussi rassurant de savoir que des filles peuvent aider sur place s’il y a un souci, souligne Elodie. L’autre fois, une femme s’est retrouvée dans une auberge assez craignos à Mexico. Elle a posté un message sur le groupe des Françaises au Mexique, le soir-même, elle dormait chez une expatriée. »

Forte de ces expériences, Elodie Quincieux aimerait maintenant créer un site internet, où chaque pays aurait ses propres expatriées référentes, que les femmes en vacances seules pourraient contacter en cas de besoin. « On sent qu’il y a un engouement, on est seulement au début de quelque chose », assure-t-elle. À entendre Ninon, Aurélie et Chloé nous parlaient avec envie de leur prochaine destination, il se pourrait bien qu’Élodie ait raison.

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