La Voyageuse : « Il fau­drait que chaque femme voyage seule au moins une fois dans sa vie »

Difficile de se lancer dans le couchsurfing, cet hébergement chez l’habitant, quand on est une femme et qu’on voyage seule. L’entreprise La Voyageuse entend apporter une solution aux dangers encourus par les voyageuses solos. Créée en juillet 2019 par Christina Boixière, c’est la première plateforme de mise en relation entre des voyageuses solitaires et des hébergeuses solidaires. Promouvant l’émancipation des femmes et l’égalité des genres face et grâce au tourisme, la start-up connaît un franc succès. Entretien avec sa fondatrice.

woman walking on street surrounded by buildings
© Timo Stern

Causette : Concrètement, c’est quoi La Voyageuse ?
Christina Boixière : La Voyageuse, c’est une plateforme en ligne qui connecte des femmes aspirant à dormir chez l’habitant en toute sécurité et des femmes qui veulent bien les accueillir. Les hébergeuses ne paient évidemment rien et les « couchsurfeuses » paient une inscription de 119 euros annuels, sur lesquels se rémunère l’entreprise lancée en 2019. L’idée m’est venue du constat que trop de femmes n’osent pas voyager seules parce qu’elles ont peur. À ce propos, les chiffres issus du questionnaire que j’avais rédigé pour monter mon business plan sont édifiants : 81 % de femmes qui y ont répondu indiquaient avoir peur de voyager seules. Ceux à qui l’entre-soi féminin de La Voyageuse déplaît n’ont pas conscience des dangers. Par ailleurs, les hébergeuses ne sont pas forcément célibataires, elles vivent souvent avec leur compagnon.
Aujourd’hui, on a 1 750 hébergeuses aux quatre coins du monde. En tout, on a vendu 800 pass, dont 400 après le confinement. Pour le déconfinement, on a créé un pass spécial à 39 euros pour trois mois, il a visiblement été apprécié [rires].

Votre projet est inédit, racontez-nous votre parcours !
C. B. : Les débuts n’ont pas été faciles. Surtout en tant que femme et en tant qu’étrangère [Christina Boixière est taïwanaise, ndlr]. J’étais seule et je ne savais pas comment faire connaître mon projet à Bordeaux. J’ai commencé par trouver un espace de coworking et un incubateur, Les Premières. J’ai ensuite gagné plusieurs prix, comme le Prix Spécial Incubateur des Premières Nouvelle-Aquitaine. Puis, j’ai constitué mon équipe en 2017. On a travaillé sur le business plan, puis pendant un an sur la plateforme Internet. Une fois lancée, de grands médias ont parlé de nous : Les Échos, La Tribune… et France Inter, dont l’article nous concernant a été partagé 12 000 fois sur Facebook. Je n’ai pas eu à faire grand-chose, le succès est venu de lui-même [rires]. Et récemment, c'est l'Organisation mondiale du tourisme [rattachée à l'ONU] qui a couronné mon entreprise du prix Innovation tourisme durable, en 2020.

“Beaucoup de femmes voyagent en solitaire pour se reconnecter avec elles-mêmes”

Qu’est-ce qui plaît tant aux femmes chez La Voyageuse ?
C. B. : La solidarité. Le projet est fait par des femmes, pour les femmes. Il s’agit d’une communauté. Les hébergeuses veulent aider en ouvrant leur porte, c’est tout simple pour elles, mais ça peut changer la vie de celles qu’elles accueillent. En voyageant solo par le passé, certaines femmes ont subi des agressions sexuelles, par exemple, ce qui a détruit leur confiance en elles, mais aussi leur confiance vis-à-vis du monde. Sans La Voyageuse, ces femmes-là ne voyageraient plus. La Voyageuse, c’est un outil qui a pour but d’empouvoirer. Et puis, les femmes ne voyagent pas toujours pour les mêmes raisons que les hommes. Les hommes voyagent seuls surtout pour découvrir de nouveaux endroits, s’amuser, etc. Alors que, selon les retours que nous avons, beaucoup de femmes voyagent en solitaire pour se reconnecter avec elles-mêmes. C’est un voyage intérieur, en quelque sorte. Et La Voyageuse encourage ça. C’est pourquoi beaucoup de mères célibataires se sont inscrites chez nous après le confinement. Prendre soin d’un enfant alors qu’on est confinée, c’est épuisant. Elles ont besoin de se retrouver. Et comme La Voyageuse permet de voyager avec un enfant, aucun souci d’organisation !

Avec cet accent porté sur la rencontre avec l’habitante, La Voyageuse propose une autre façon de voyager, dans laquelle la culture locale et le quotidien partagé tranchent avec le tourisme de masse et ses excès. On peut y voir une dimension écologique. Peut-on donc dire que La Voyageuse est écoféministe ?
C. B. : Au départ, on voulait juste aider les femmes à voyager solo. Ce n’était pas voulu, mais l’aspect écologique s’est imposé naturellement. En promouvant les liens humains, on favorise le slow tourism. Le respect des cultures locales, la réduction de l’impact environnemental, reconnecter avec la nature et la simplicité, tout ça plaît aux écoféministes, c’est sûr. Mais pas que [rires] ! Évidemment, le projet est destiné à toutes les femmes !

“Les hébergeuses veulent que la différence vienne à elle”

Justement, comment faites-vous pour que La Voyageuse inclue toutes les femmes ?
C. B. : Avant qu’une hébergeuse soit acceptée sur notre plateforme, elle passe un entretien téléphonique durant lequel on s’assure de partager les mêmes valeurs (solidarité, relations humaines). Ces femmes sont ouvertes d’esprit. Elles veulent que la différence vienne à elles. Après le séjour, on discute avec les voyageuses pour obtenir un retour. C’est grâce à elles que La Voyageuse s’améliore. Par exemple, certaines femmes en situation de handicap nous ont parlé de leurs besoins. Pour l’instant, nous n’avons pas les moyens de mettre en place des dispositifs spéciaux pour elles, mais dès que possible on travaillera sur ce point. Nous ne créons pas la plateforme seules, on la crée avec notre communauté.

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour le futur de La Voyageuse ?
C. B. : J’aimerais vraiment aider le plus de femmes possible, notamment dans les pays où les droits des femmes ne sont pas respectés. Il faudrait que chaque femme voyage seule au moins une fois dans sa vie. Parce que voyager seule, ça change une vie lorsqu’on est une femme. Nous qui sommes si peu entendues, on apprend enfin à s’écouter soi-même. Lorsqu’on voyage seule, on prend nos propres décisions. Ça redonne confiance en soi. C’est pour ça que, suite à l’augmentation des violences conjugales pendant le confinement, nous offrons des pass de trois mois gratuits aux victimes. Il y en a eu cent édités pour le moment. Finalement, ma mission, c’est qu’on n’ait plus besoin de La Voyageuse. On devrait pouvoir voyager comme les hommes, sans validation de la part de qui que ce soit.

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