Capture d’écran 2023 03 30 à 17.58.20
© ESTELLE FENECH/ PLAINPICTURE

Un pays trans­bor­de­lisé, coin­cé entre les réacs et des militant·es prêt·es à sau­ter sur la moindre maladresse

Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote intervient depuis une vingtaine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « animateur de prévention ». Il rencontre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexualité et les conduites addictives. En cette journée internationale de visibilité transgenre, il nous livre ses réflexions sur le climat ambiant en France, à couteaux tirés.

En France, le moindre débat de société se termine comme les banquets du fameux village d’irréductibles Gaulois·es : en foire d’empoigne. C’est valable pour les retraites, mais aussi pour d’autres questions plus intimes, comme la transidentité. À la suite d’un énième débat sur le sujet, j’ai ainsi découvert l’existence du magazine en ligne de la CAF, Vies de famille, qui a fait paraître un article le 25 janvier sous le titre : « Mon enfant est transgenre, comment bien l’accompagner ? » La parole y est donnée à Maryse Rizza, présidente de Grandir Trans (environ 1 300 familles membres) et à Anaïs Perrin-Prevelle, coprésidente de l’association OUTrans. On y lit quelques conseils pour accompagner au mieux les jeunes concerné·es.

Franchement, ce papier n’a rien d’un brûlot malmenant les fondements de la famille, même les plus tradis. Mais le 17 février, une tribune signée par 80 personnes, dont Élisabeth Badinter herself, paraît dans Le Figaro sous le titre « La CAF doit cesser de promouvoir l’idéologie trans ! » De quoi remettre une pièce dans le coup de poing forain servant d’exutoire à toutes celles et ceux qui adorent se challen- ger autour d’une bonne épreuve de force sur la question du genre. Et bim, la femelliste, et paf, la féministe. Et dans le même numéro du Figaro, l’association Juristes pour l’enfance s’associe à la demande de retrait de l’article, déplorant « une information partisane et biai- sée, de nature à induire en erreur les parents et à priver les enfants des soins adéquats (...) ». Dans la foulée, bien évidemment, Marguerite Stern1, toujours à l’affût d’un os transgenre à ronger, a sauté sur l’occase pour accuser la CAF de faire la promotion du transgenrisme financée par notre CSG. Des militant·es trans ont répondu par la publication sur leurs comptes Twitter de la liste des signataires, désigné·es à la vindicte populaire comme transphobes... Une fois de plus, notre société n’en sort pas grandie.

C’est ainsi que parmi les signataires, j’ai découvert le nom de Nicole Athéa. C’est cette gynécologue qui m’a formé, il y a une vingtaine d’années, aux interventions à la vie affective et sexuelle auprès des jeunes. Son livre Parler de sexualité aux ados (Eyrolles/Crips, 2006) a servi d’introduction à ce métier pour beaucoup d’entre nous, intervenant·es. Je me souviens même de sa « carte du tendre » que j’avais utilisée à mes débuts. En 2022, elle a publié Changer de sexe : un nouveau désir ? (Hermann), qui, d’après la note d’éditeur, semble reprendre ce qui est dénoncé dans la tribune, soit l’influence négative des réseaux sociaux et des influenceur·ses trans qui « inviteraient des enfants et ados fragiles à s’engager dans de longues thérapies coûteuses et invalidantes » ne peut qu’alimenter les haines et le manque d’accompagnement psy par de vrai·es professionnel·les. Si Nicole Athéa retournait dans les lycées avec ce discours, elle serait froidement accueillie. J’ai été déçu de son soutien à cette tribune plutôt véhémente, dans un contexte sociétal très LGBTphobe et publiée six jours après le meurtre de Brianna Ghey, adolescente trans, en Grande-Bretagne. Titrer sur une « idéologie trans » induit une forme de complotisme transidentitaire dangereux qui ne peut qu’alimenter les haines. Les suicides récents de Doona, étudiante trans à Montpellier, et d’Avril, lycéenne trans à Lille, sont là pour nous le rappeler.

Lire aussi l « Nous demandons juste à vivre notre vie » : entretien avec Béatrice Denaes (Trans Santé France), pour la journée internationale de visibilité trans

Une visite sur le site d’OUTrans permet de constater que l’asso ne fait en rien la promotion d’un parcours médicalisé. Il y est clairement écrit qu’« il n’existe pas de transition parfaite ni de parcours tout indiqué. Chacun·e dispose librement de son corps et de son identité, et, de fait, du droit de les façonner comme elle·il l’entend, c’est-à-dire avec ou sans modifications corporelles (...). »

Et nous, animateur·rices de prévention pris·es dans la bagarre, on fait quoi ? On se prend des baffes des deux côtés ou on se « shibarise » pour éviter de se position- ner, comme le barde Assurancetourix ? Pour ma part, je ne vais jamais aussi loin sur le sujet avec les jeunes. Mon rôle consiste à visibiliser toutes les identités de genre et les différentes expressions de celles-ci. Ni plus ni moins. Forcément, la transidentité concerne certain·es d’entre elles et eux, et c’est important de ne pas omettre de le signaler. Pour être honnête, en dehors des classes, je me sens souvent pris entre deux feux. D’un côté, des militant·es prêt·es à sauter sur la moindre maladresse, non pour faire de la pédagogie, mais pour nous clouer au pilori de la transphobie, et de l’autre des professionnel·les de santé, intellectuel·les ou universitaires souvent un peu réacs qui veulent reprendre la main sur un changement profond de société qui leur échappe. Curieusement, on se bat contre la binarité de genre et on nous impose une binarité de choix avec deux camps qui s’affrontent.

Concernant la transidentité, j’ai tendance à être prudent, n’hésitant pas à aiguiller les jeunes vers des spécialistes en santé communautaire ou des associations mili- tantes, en précisant bien sûr qu’elles le sont. Sur Twitter, je lisais que faire preuve de pru- dence pouvait contribuer à pathologiser la transidentité, donc nourrir la transphobie. Je pense que cela revient juste à savoir rester à sa place sur des sujets qui nécessitent l’intervention de spécialistes. Dans l’article de la CAF, Maryse Rizza souligne que « la plupart des adolescents trans accompagnés s’arrêtent à une transition sociale (changement de genre et de prénom). Rares sont ceux qui entament une transition médicale (...) ». De quoi rassurer notre Agecanonix à nous, Vincent Cassel, qui, dans une interview au Guardian, a dit craindre que « si les hommes se mett[ai]ent à devenir trop vulnérables et féminins, il [allait] y avoir un problème ».

  1. Cette ancienne Femen, à l’origine du mouvement des collages contre les féminicides, est critiquée pour certaines positions jugées transphobes par une partie des féministes.[]
Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.