toddler sitting on desk
© Jerry Wang

Lettre à la sco­la­ri­sa­tion obli­ga­toire : « Tout le monde apprend, natu­rel­le­ment, par­tout, tout le temps et for­cer cet appren­tis­sage n'a pas de sens »

Causette est par­te­naire de Lettres d’une géné­ra­tion, un site sur lequel les adolescent·es et jeunes adultes fran­co­phones sont invité·es à écrire une lettre à un des­ti­na­taire qui ne peut pas répondre. Toutes les deux semaines, Causette publie l’une de ces mis­sives.
Alors qu'Emmanuel Macron envi­sage de réduire dras­ti­que­ment les pos­si­bi­li­tés d'instruction à domi­cile dans le cadre du pro­jet de loi de lutte contre les sépa­ra­tismes, dans ce neu­vième épi­sode, Auriane, 20 ans et vivant à Paris, s’adresse à la sco­la­ri­sa­tion obli­ga­toire, qu'elle n'a pas connue.

Vous avez entre 15 et 25 ans et sou­hai­tez par­ti­ci­per au pro­jet Lettres d’une géné­ra­tion ? Écrivez-​leur par là !

"Bonjour,
Je ne suis jamais allée chez vous, l’école, et comme ça intrigue sou­vent, je vous écris.

J’ai bien­tôt 21 ans. Ce choix, ce fut d’abord le choix de mes parents. Mon père, à ma nais­sance, a réflé­chi à toutes les choses qu’un parent doit choi­sir pour son enfant : quoi man­ger, où habi­ter etc. ; l’école en fai­sait par­tie. Il s’est deman­dé pour­quoi, un jour, il allait devoir me dire : « à par­tir de main­te­nant et pen­dant les 15 pro­chaines années, tu vas com­plè­te­ment chan­ger ton rythme de vie, aller dans un endroit que tu n’as pas choi­si et y res­ter 8h par jour. » En pen­sant à ça, il s’est dit qu’il devait trou­ver une rai­son valable pour m’y envoyer, il vou­lait que j’apprenne par plai­sir, et jusqu’à ce jour… il ne l’a pas trou­vée et il a convain­cu ma mère.

Au fur et à mesure, j’ai com­pris pour­quoi mes parents avait fait ce choix et c’est deve­nu le mien. J’ai réa­li­sé que tout le monde apprend, natu­rel­le­ment, par­tout, tout le temps et que for­cer cet appren­tis­sage, impo­ser les sujets et le rythme n’avait pas de sens et pou­vait même avoir un effet néfaste.

Mes jour­nées n’étaient jamais iden­tiques. Ma mère a créé un groupe de ren­contres pour les enfants non sco­la­ri­sés en région pari­sienne. Ces sor­ties, on y allait deux ou trois fois par semaine. On se retrou­vait dans des parcs et des musées. On par­ti­ci­pait à des cours de cirque, de danse, de des­sin, de musique ou de chant. On a tou­jours été très entou­rés, et grâce à ce réseau, j’ai côtoyé des per­sonnes de tous les âges. C’était impor­tant aus­si pour les parents de se ren­con­trer et de se sou­te­nir. Car ce n’est pas tou­jours facile d’assumer ce choix face aux per­sonnes qui ne com­prennent pas, les voi­sins, les amis, la famille, les col­lègues, c’est un choix qui sus­cite beau­coup de juge­ments et d’incompréhension.

Le reste du temps on res­tait à la mai­son pour jouer, des­si­ner, regar­der des films ou séries, lire et décou­vrir tout ce qui pou­vait nous inté­res­ser. J’avais le temps de me plon­ger dans tout ce qui pou­vait m’intéresser, pen­dant un jour ou trois mois. Tous nos appren­tis­sages sont venus de nos envies et besoins du moment, accom­pa­gnés par notre entou­rage. Chez nous il n’y avait pas de leçons, pas de matières, on appre­nait tout au fil de nos acti­vi­tés et nos interactions.

Au fil des années, lorsque je ren­con­trais des enfants sco­la­ri­sés et qu’on com­men­çait à dis­cu­ter de vous, il y avait quelques minutes de ques­tions, d’explications, limite de tests. « Mais alors com­ment tu as appris à comp­ter ? Tu sais où est ce pays ? » Mais au final, on pas­sait vite à autre chose et j’ai tou­jours pu m’intégrer faci­le­ment à d’autres groupes, avec d’autres enfants.

Vous l’avez peut-​être enten­du, en ce moment beau­coup de parents sont en train de se mobi­li­ser pour main­te­nir ce droit que nous avons tous aujourd’hui de pou­voir apprendre où l’on veut, à notre rythme et à notre propre ini­tia­tive, sans vous.
Car vous ne conve­nez pas à beau­coup de monde. Il y a des enfants har­ce­lés, jugés, qui perdent leur goût d’apprendre, leur curio­si­té, leur confiance, ou qui n’ont tout sim­ple­ment pas envie de pas­ser toutes leurs jour­nées à res­ter assis chez vous.

Je suis très contente que mes parents aient pu nous offrir ce type d’éducation. Ça m’a per­mis d’avoir du temps pour me décou­vrir, me lais­ser explo­rer ce que je vou­lais sans qu’on me dirige, sans être for­cée, sans pression.

Il y a deux ans, j’ai eu mon bac lit­té­raire en can­di­dat libre. J’ai vou­lu le pas­ser pour l’expérience, vu que je n’avais jamais vécu d’examen avant. Je l’ai raté une pre­mière fois mais ça m’a per­mis de savoir ce qu’il fal­lait amé­lio­rer. Pour l’instant, il ne m’est pas utile mais qui sait, peut-​être un jour ?

Aujourd’hui, je fais du mon­tage vidéo et de la pho­to en auto­di­dacte. C’est le métier que j’envisage, sur­tout le mon­tage vidéo, domaine où je trou­ve­rai plus faci­le­ment du travail.

Je par­ti­cipe à plein de pro­jets dif­fé­rents, pour moi ou pour d’autres. Dans la conti­nui­té de ce que j’ai vécu ces vingt der­nières années, je me laisse la pos­si­bi­li­té d’explorer, d’expérimenter et de me confron­ter à ce que le monde peut me pro­po­ser et ce que je peux lui offrir en retour."

Auriane, 20 ans, Paris

Lettre d’une géné­ra­tion, épi­sode 8 l Lettre à ma poule : « Tu es entrée dans ma vie comme une vic­toire, une espé­rance, une nou­velle manière de manger »

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accom­pa­gner les com­bats qui vous animent, en fai­sant un don pour que nous conti­nuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés