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© Gorsad Kyiv

La chro­nique du Dr Kpote : mignons allons voir si la rose

Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote intervient depuis une vingtaine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « animateur de prévention ». Il rencontre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexualité et les conduites addictives. Ce mois-ci, il raconte sa rencontre avec des jeunes garçons issus d'un CHRS.

Je n’avais plus mis les pieds dans un CHRS (centre d’héber­gement et de réinsertion sociale) spécialisé dans l’accueil mères-enfants, depuis mon départ de Solidarité Enfants Sida, vingt ans auparavant. De nombreuses femmes ­suivies par l’association étaient hébergées par ces structures sociales où elles pouvaient, avec leurs enfants, souffler un peu après des parcours migratoires chaotiques, la découverte de leur séropositivité ou les traumas causés par des violences conjugales et/ou sexuelles. J’étais donc à nouveau devant un de ces centres, au cœur de Paris, hanté par ces visages du passé. Une petite bande de mecs bruyants qui tapaient la balle sur le bitume du parvis m’a sorti de ma séquence nostalgie. Ils jouaient sous le regard maternant de quelques femmes qui jouissaient des premiers rayons du soleil d’avril.

Un des jeunes m’a immédiatement interpellé : « C’est vous qui venez parler “hum-hum” avec nous ? » Si les boîtes de nuit n’étaient pas fermées, le gamin aurait pu postuler comme physio.

La rencontre avait été ­programmée par l’équipe éducative, à la demande des garçons exclus d’une séance sur les menstruations organisée en non-mixité par le Planning familial. On allait donc échanger sur le « hum-hum » et autant dire que l’intitulé pouvait nous embarquer dans des gorges très profondes.

J’avais donc en face de moi, dans une pièce servant habituellement de réfectoire, quatre jeunes garçons, entre le CM2 et la sixième, excités comme des morpions à l’appel de la toison. D’entrée, ils ont loué mon expertise des choses du sexe, préjugeant que mes quatre bagues symbolisaient autant de mariages. Ils m’ont même diagnostiqué une infidélité pathologique ! Être supposément marié plusieurs fois faisait-il de moi une bête de sexe ? J’ai parlé d’asexualité, mais ça n’a pas trop matché avec leur vision du couple, théâtre selon eux de toutes les expérimentations corporelles. L’infidélité posait aussi la question de leur vision de l’amour, de la possession, voire du contrôle. Sujet pas facile à aborder avec des gamins ayant vécu la rupture, parfois violente, du couple formé par leurs parents. De plus, dans leur cas, évoquer l’infidélité c’était convoquer l’absence, en l’occurrence celle du père.  

« J’ai sorti un paquet de capotes et ils ont hurlé, comme les "Mignonnes" du film de Maïmouna Doucouré, quand Coumba souffle dans un préservatif usagé »

Ils m’ont littéralement mitraillé de questions, passant du sida au strip-tease, des cris de l’amour aux chattes ­mouillées, des boules qui twerkent aux poils pubiens. Ils avaient la langue bien pendue des gamins qui vivent en collectivité. En quelques minutes, j’ai eu droit à toute la panoplie des joies du Net, une sorte de Brut du cul, captée ici et là et probablement en partie fantasmée. J’en ai presque oublié qu’ils n’avaient que 10, 11 ans. En répondant du tac au tac, j’ai vite été débordé par leur hyperactivité.

Au milieu de cette avalanche de chair, la question des poils a émergé. Ils ont évoqué Ava, l’héroïne du film de Léa Mysius. Devant la scène où la jeune ado évolue nue sur la plage, ils avaient pris sa toison fournie pour une culotte noire, avant qu’un plus grand ne leur stipule que le triangle de son entrejambe était formé par ses poils pubiens. Ils se demandaient si « toutes les meufs en avaient autant sur la chatte ». J’ai évoqué la diversité des corps et les injonctions sur ceux des femmes en ­m’appuyant sur la websérie Libres !, de Diglee et Ovidie. Les mecs réclament des femmes qu’elles s’épilent pour ne pas être concurrencés sur leur terrain réservé de la virilité. Et puis, d’un point de vue purement économique, le marché de l’épilation générant 2 milliards d’euros par an, l’industrie de ­l’hygiène fait tout pour que ça dure ! L’un d’eux a balayé mes arguments : « Elles se rasent parce qu’elles ont peur de rester seules ! Moi, je ne me marie pas avec un gros tas de poils comme ça. »

Puisque l’amour nuptial ne résistait pas à la pilosité, je suis revenu à du concret en signalant les risques accrus de mycoses liés au rasage. J’ai sorti un paquet de capotes de mon sac et ils ont hurlé, exactement comme les Mignonnes du film de Maïmouna Doucouré, quand Coumba souffle dans un préservatif usagé. Malins, ils en ont profité pour exiger des explications sur la présence de capotes dans le bureau des éducs, laissées à la disposition des usagères du centre. Vu que ça pouvait concerner leurs mères, quelques vannes ont fusé que, par expérience, j’ai immédiatement censurées. J’ai conservé le vif souvenir d’une bagarre après un « Ta mère est tellement chaude qu’on peut faire cuire du maïs dans sa chatte », qui avait fait jaillir de sa chaise l’intéressé tel un pop-corn éclaté.

À mieux les regarder, il y avait un côté Mignonnes au ­masculin dans ce groupe, vivant comme Angelica et Amy, les deux héroïnes, dans une structure collective. L’un d’eux avait même du linge à récupérer, comme dans le film. On a évoqué la place de la lingerie commune dans Mignonnes, véritable refuge de l’intime, où les filles s’apprêtent, révisent leurs chorégraphies et partagent leurs secrets loin des oreilles des adultes. Comme je leur demandais s’ils étaient du genre à se déhancher au rythme des tambours, l’un d’eux m’a répondu que, contrairement à Amy, il ne « faisait pas la pute sur les réseaux ». Justement, l’hypersexualisation des filles, ils en pensaient quoi, nos Mignons ? Pour éviter de s’exposer, ils ont convoqué la parole de Léo, un mec très populaire qui avait déménagé. L’absent a endossé le costume du sheitan, portant la responsabilité des conneries non assumées. Une sorte de beau gosse au gros doss. « Léo, il disait que les meufs comme ça, elles ne se respectent pas. » En grattant le vernis du respect, j’ai exhumé le religieux. Dans le film, Amy cache son smartphone sous son voile à la mosquée pour mater, en pleine prière, la rappeuse Cardi B twerker, mais eux aussi se camouflent derrière Léo pour ne pas assumer leur intérêt pour le « hum-hum ». 

Et si en chacun de nous sommeillait un Léo, toujours prompt à transgresser ? Léo, c’était « le roi, LA majesté sur le sexe ! Une majesté, mais pervers », a résumé le plus jeune. On ­sentait de l’admiration pour cet autre qui assumait le haram sans redouter le courroux des parents et du Tout-Puissant. Mais le mot « pervers » exprimait aussi sa crainte d’être débordé par ces trucs d’adultes, où des « mecs pissaient dans la bouche de femmes », du Léo dans le texte, ou plutôt dans le sexe puisque c’est ainsi qu’il leur avait décrit la fellation.

Après une démo de la pose de capotes qu’ils m’ont ­réclamée, ils sont retournés footer comme si de rien n’était. Un peu comme Amy qui quitte la scène en pleine choré­graphie sexy pour faire de la corde à sauter. Des jeux d’enfants, comme dans l’ancien temps. Celui d’avant le cul en 5G.

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