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Safer Internet Day : “Les enfants savent uti­li­ser les réseaux sociaux mais ils ne savent pas gérer”

À l’occasion de la 21e édition du Safer Internet day (Journée internationale pour un internet plus sûr), qui a lieu ce mardi 6 février, l’association Marion la main tendue, spécialisée dans la prévention et la lutte contre le harcèlement scolaire, alerte sur l’ampleur du cyberharcèlement. Interview avec sa fondatrice, Nora Tirane Fraisse.

Le Safer Internet Day, journée de sensibilisation aux dangers d’Internet et des réseaux sociaux, est-il utile selon vous ?
Nora Tirane Fraisse : Je ne suis pas là pour dire si c’est bien ou non, ce que je sais c’est que beaucoup ne connaissent pas cette journée. Je ne suis pas certaine que ça ait un fort écho chez nos enfants et nos familles. Pour la Journée de lutte contre le harcèlement scolaire [organisée les 9 novembre, ndlr], il y a des choses de faites dans les établissements scolaires. Là, le Safer Internet Day tombe le jour d’une grève de l’Éducation nationale, donc je ne suis pas sûre qu’il y aura beaucoup d’initiatives éducatives aujourd’hui. Pour l’instant, je n’ai d’ailleurs pas vu de reprise dans la presse ni d’allocution ministérielle. J’ai aussi l’impression que c’est un peu confus. Ça brasse pêle-mêle Internet et les réseaux sociaux. Ce n’est pas comme la Journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, qui dit clairement “non au harcèlement”. Si ça fait vingt ans que ça existe et que ça fait vingt ans qu’on n’en entend pas parler, c’est que peut-être on s’est trompé de chemin.

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Dans votre étude publiée en novembre dernier, vous dites que le harcèlement scolaire se prolonge sur les réseaux sociaux dans près d’une situation sur deux (44%). Quelles en sont les conséquences ?
N.T.F. : À chaque fois, on entend malheureusement, quand il y a eu un suicide ou des choses très graves, que le harcèlement scolaire s’est poursuivi sur les réseaux sociaux. Ça n’a pas débuté sur les réseaux, mais ça s’est poursuivi dessus. Et même si on retire les contenus, les conséquences sur la santé mentale sont extrêmement fortes pour les victimes. En 2021, nous avions sorti une étude qui pointait que les pensées suicidaires sont beaucoup plus élevées chez les élèves ayant vécu du cyberharcèlement. Et 67 % des personnes ayant été harcelées sur les réseaux sociaux indiquaient porter des séquelles psychologiques.

Avez-vous le sentiment que le cyberharcèlement est suffisamment pris en compte par les pouvoirs publics ?
N.T.F. :
Je crois que ce n’est pas seulement du ressort de l’Éducation nationale mais du ressort de chacun. Pour moi, ça relève de l’éducation parentale. Aujourd’hui, à partir de 9-10 ans, vous avez votre premier téléphone. Donc vous faites vos premiers pas dans ce monde virtuel sans être accompagnés. Le téléphone devient, à partir de la sixième, un outil supplémentaire pour parfois commettre des méfaits et harceler. L’important, c’est de transmettre les bonnes informations aux familles. Quand je donne son premier téléphone portable à mon enfant, je l’accompagne. De la même façon, qu’un parent qui ne sait pas conduire ne peut pas faire de la conduite accompagnée. Il faut d’abord former les familles.

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Pour lutter contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, votre association a lancé l’application Kolibri, disponible gratuitement sur iOs et Android, il y a deux ans. Quel est son but et comment fonctionne-t-elle ?
N.T.F. : Elle propose des solutions de prévention pour détecter les signaux faibles du harcèlement et du cyberharcèlement en s’appuyant sur trois piliers : la prévention, l’accompagnement et la prise en charge. Elle est à télécharger conjointement sur les mobiles des enfants, des parents et de tout adulte de confiance. Elle permet aux enfants de verbaliser leurs émotions chaque jour et demander de l’aide en cas de harcèlement scolaire ou de cyberharcèlement.
En mettant des mots sur ce qu’il ressent, l’enfant, lui aussi, peut faire redescendre le taux de violence. Au lieu de taper, d’insulter ou de mordre, il va expliquer ce qu’il ressent et pourquoi. On est actuellement en train de faire développer l’application pour l’améliorer et avoir davantage de ressources.

Le 1er février, la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, a annoncé le lancement d’un groupe d’expert·es chargé·es d’évaluer l’impact des écrans sur les jeunes. Le groupe devra notamment proposer des recommandations de régulation sur le temps d’écran des enfants. Cela peut-il être une piste pour lutter contre le cyberharcèlement ?
N.T.F. : Oui, mais ça fait dix ans ou quinze ans qu’on le dit, ça. Une ministre reste une ministre. Elle n’est pas dans les familles. On dit qu’il faut réguler le temps d’écran des enfants, mais quand vous regardez les études, le temps d’écran le plus élevé est chez les seniors. Il faut avant tout former les parents. Et proposer des alternatives aux enfants. Interdire pour interdire, ça ne sert à rien.
Beaucoup de parents pensent aussi que comme l’enfant est né à une époque où les téléphones portables sont partout, ils savent s’en servir. Non, ils savent naviguer sur Internet, ils savent utiliser les réseaux sociaux, mais ils ne savent pas gérer. Attention, je n’ai pas non plus envie de faire peur avec les écrans. L’important, c’est de voir quel usage on en a. Tout n’est pas un danger à partir du moment où c’est bien expliqué.

* Étude de l’Ifop réalisée en ligne en septembre 2023 pour l’association Marion la main tendue et Head & Shoulders, auprès de 1 001 jeunes scolarisé·es au lycée et au collège, 1 001 parents d’enfants scolarisé·es au collège et au lycée ainsi que 200 enseignant·es du second degré.

Pour signaler toute situation de harcèlement ou de cyberharcèlement, que vous soyez victime ou témoin, il existe des numéros de téléphone gratuits, anonymes et confidentiels : le 3020 (harcèlement à l’école) et le 3018 (cyberharcèlement), joignables du lundi au samedi, de 9 heures à 20 heures. D’autres informations sont également disponibles sur le site du ministère de l’Éducation nationale.

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