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©Aqua Mécanique.

Pesticides : la jus­tice fran­çaise condamne Bayer-​Monsanto à ver­ser 11 135 euros à un agri­cul­teur intoxiqué

Après quinze ans de procédure judiciaire, le tribunal de Lyon a finalement condamné la société Bayer, ex-Monsanto France, à indemniser l’agriculteur Paul François pour son intoxication à l’herbicide Lasso en 2004. Une somme qui reste très insuffisante, selon lui.

La victoire a un goût amer. Le tribunal judiciaire de Lyon a condamné, mercredi 7 décembre, le géant allemand de l’agrochimie Bayer – qui a racheté Monsanto en 2018 – à indemniser l’agriculteur charentais Paul François à hauteur de 11 135 euros. L’exploitant céréalier avait été accidentellement intoxiqué en 2004 par un pesticide de la firme Monsanto. « Certes, pour la première fois, la justice française condamne un fabricant de pesticides pour avoir intoxiqué un agriculteur, mais 11 135 euros pour quinze ans de vie mis entre parenthèses, de nuits sans sommeil, j’aurais peut-être mieux fait de mettre ce temps à profit pour jouer au Loto ! », a réagi Paul François auprès du journal Le Monde après le verdict.

Tunnel judiciaire

L’agriculteur, aujourd’hui âgé de 58 ans, s’intoxique gravement le 27 avril 2004, en inhalant accidentellement les vapeurs d’un pesticide, alors qu’il inspecte la cuve de son pulvérisateur, qu’il pensait vide. Le pesticide en question est l’herbicide Lasso, commercialisé par la firme américaine Monsanto. Il sera interdit trois ans plus tard en raison de son potentiel cancérogène. Pris de malaise, l'homme a tout juste le temps d’expliquer à sa femme ce qui vient de se produire avant de se retrouver aux urgences, crachant du sang. En 2007, Paul François attaque Monsanto en justice. Le début d’un interminable bras de fer devant les tribunaux français et d’un tout aussi long calvaire physique : hospitalisations à répétition, comas, malaises, céphalées aiguës, amnésies, vertiges, bégaiements, anxiété…

En 2012, la justice reconnaît Monsanto « responsable du préjudice » subi par Paul François et condamne la firme à « indemniser » l’agriculteur. Mais entre les appels et les pourvois en cassation de Monsanto – puis de Bayer, qui rachète la firme en 2018, et qui conteste l’intoxication de l’homme -, il s’écoule dix ans de plus pour que la justice tranche sur le montant de l’indemnisation. Au total, il aura fallu quinze ans pour que Paul François obtienne réparation devant la justice française.

Un montant « pas du tout à la hauteur »…

« C’est une satisfaction dans la mesure où ce jugement est la sixième décision de justice à retenir la responsabilité de Monsanto, commente l’avocat de l’agriculteur, Me François Lafforgue, auprès du Monde. Mais le montant de l’indemnisation n’est pas du tout à la hauteur des préjudices subis. » L'agriculteur réclamait plus d'un million d’euros au groupe allemand au titre des souffrances physiques et morales et des pertes liées à son incapacité à travailler. Mais le tribunal de Lyon considère que si Paul François a bien été victime d’une intoxication aiguë avec un stress post-traumatique, les troubles chroniques ne peuvent être imputés à l’inhalation du Lasso. Par ailleurs, les juges français·es ont déduit de la somme les indemnités versées par les assurances et évaluées à 142 000 euros, pour parvenir à un montant d’indemnisation de 11 135 euros.

Contacté par Le Monde, Bayer a annoncé prendre acte d'une « décision équilibrée », qui « correspond à moins de 1 % de la demande de monsieur Paul François », et qu’elle « respectera l’ensemble des dispositions de cette décision ».

… et « pas dissuasif »

« 11 135 euros, ce n’est absolument pas dissuasif pour inciter les fabricants à adopter des pratiques plus vertueuses », a regretté l’avocat de Paul François. Ce dernier n’a pas encore décidé s’il ferait appel de la décision du tribunal de Lyon mais a indiqué au Monde, ce jeudi 8 décembre, qu’il se préparait à une nouvelle mobilisation, devant le siège de Bayer à Bruxelles pour réclamer la « fin de l’impunité ».

Paul François et les associations de défense de l’environnement et de la santé qui le soutiennent (Henri-Pézerat, Générations futures, Alliance pour la santé et l’environnement) accusent en effet le géant allemand de continuer à produire le Lasso sous une forme différente, malgré son interdiction sur le sol européen il y a quinze ans, et de continuer à l’écouler en dehors des frontières de l’Union européenne (UE), sous d’autres appellations commerciales. En tout, une quinzaine de formulations contenant la substance active du Lasso, l’alachlore - visée par l’interdiction, car classé cancérogène probable - ou des molécules dérivées, ont ainsi été identifiées.

Un avant et un après

Même si l’indemnisation requise par le tribunal de Lyon est loin de satisfaire Paul François, son avocat estime qu’il y aura « un avant et un après » : « Le regard sur les fabricants de pesticides a changé. La plupart des victimes de pesticides que nous défendons sont très attachées à la portée symbolique des décisions de justice qui peuvent être rendues, au-delà de l’aspect purement financier. Elles le font parce qu’elles ne veulent pas qu’il arrive à d’autres ce qui leur est arrivé », a souligné Me Lafforgue auprès de France Info.

Depuis 2020, un fond d’indemnisation des victimes professionnelles des pesticides a été créé. L’association Phyto-Victim, créée justement par l’agriculteur charentais, a reçu cette année plus de 600 dossiers de demandes d’indemnisation.

Lire aussi I Agriculture : seul 1% des aides publiques contribue réellement à la réduction des pesticides

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