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Patient·es expert·es : ces malades qui aident à (mieux) soigner

Ils et elles n’ont pas fait médecine, mais connaissent la maladie de l’intérieur. Reconnu·es comme des « patient·es expert·es », ces personnes atteintes de pathologies chroniques ou invalidantes mettent leur expérience au profit d’autres malades et, de plus en plus, au service des professionnel·les de santé.

Sa maladie, Marguerite Friconneau la connaît intimement : voilà bientôt quarante ans qu’elle vit avec. « On m’a diagnostiqué une myasthénie [une affection neuromusculaire rare, ndlr] à l’âge de 29 ans. J’ai eu une chance folle d’avoir un diagnostic rapide et juste », estime cette retraitée, aujourd’hui âgée de 66 ans. Car à l’époque, au milieu des années 1980, sa pathologie est encore largement méconnue. « Au départ, j’ai cherché des informations pour comprendre de quoi il s’agissait. Mais je n’en trouvais pas, ou seulement dans des livres de médecine qui n’étaient pas vraiment accessibles », se souvient-elle. Sur les conseils de l’assistante sociale de l’hôpital où elle est suivie, elle se rapproche alors de l’Association française contre les myopathies (AFM), au sein de laquelle elle devient très vite active. « Petit à petit, sur le tas, j’ai appris ce qu’était la maladie, j’ai commencé à faire de l’écoute de patients, à partager des informations qu’ils puissent comprendre, puis à
participer à des réunions avec des scientifiques... »,
détaille Marguerite Friconneau.

Au fil du temps, cette commerçante est devenue ce qu’on appelle une « patiente experte » : une personne qui a développé une connaissance fine de sa pathologie et fait office de médiatrice entre les patient·es et le monde médical. Face à d’autres
malades, elle pourra ainsi proposer une écoute, apporter de l’information
ou des ressources pour mieux vivre avec la pathologie. Mais elle collabore
aussi avec des professionnel·les de santé pour les sensibiliser sur les conséquences de la maladie et de ses traitements, pour les aider à développer certains outils et, plus largement, pour leur permettre d’améliorer la prise en charge des patient·es.

Diversité sémantique

« Le terme “patient expert” apparaît dans les années 1990 dans les pays anglo-saxons et sera repris en France à partir des années 2000. Mais il n’y a pas une définition partagée et consensuelle. L’une des caractéristiques de ce mouvement étant qu’il existe un grand nombre de termes pour désigner ces personnes et les activités qui leur sont associées : patient expert, patient intervenant, patient ressource, patient partenaire, pair praticien... », explique Aurélien Troisoeufs, anthropologue de la santé.

Mais derrière cette diversité sémantique, tous ces néologismes renvoient bel et bien à une même idée. « Il s’agit de personnes qui, en raison de leur propre expérience, ont acquis des savoirs spécifiques sur la maladie et ses traitements, utiles pour eux-mêmes et leurs proches. Cela leur permet d’interagir, de s’engager et de donner de l’information aussi bien aux patients qu’aux soignants, ou qu’aux politiques sanitaires », ajoute le chercheur. Des profanes qui, peu à peu, se sont taillé une place aux côtés des professionnel·les de santé, venant bousculer la relation entre soignant·es et soigné·es.

Spécialiste du « vivre avec »

« Il y a dix ans, quand je me présentais comme patient expert, les médecins me répondaient : “Expert en quoi ?”. Il a fallu expliquer, argumenter : “Vous êtes expert du savoir, mais moi, je suis quand même expert du ‘vivre avec’.” J’ai quarante ans de maladie, j’ai eu trois cancers, l’ablation du côlon, du rectum, de la prostate, de la vessie, de la vésicule biliaire. J’ai été urostomisé , iléostomisé, je suis passé par la chimiothérapie, la radiothérapie... Le “vivre avec”, je connais ! », résume Éric Balez, 58 ans. Atteint de rectocolite hémorragique (une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, ou Mici) depuis l’adolescence, cet ancien ingénieur de production n’a pas toujours été un patient expert ni même un patient engagé. Sa maladie, il l’a d’abord fuie, puis subie.

C’est après avoir connu la dépression, survécu à deux septicémies, puis croisé sur sa route une association de personnes stomisées 3, qu’il a commencé à reprendre la main sur son vécu. « De patient passif, je suis devenu patient acteur. D’abord pour moi-même – en apprenant à changer mes sondes, ce qui faisait sauter les médecins au plafond –, puis pour les autres », témoigne-t-il.

Éducation thérapeutique

Pour soutenir celles et ceux qui, comme lui, vivent avec une Mici, il s’est alors formé à l’écoute active, puis à l’éducation thérapeutique (ETP) : c’est-à-dire un accompagnement permettant au patient de gérer au mieux sa vie avec la maladie, les traitements, et leurs conséquences. « L’éducation thérapeutique est née dans les années sida. Au départ, l’idée était d’outiller les patients sur les gestes techniques et l’observance de leurs traitements. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus large que ça. En s’appuyant sur l’étoile des “cinq santés” définie par l’Organisation mondiale de la santé, on va s’intéresser à la santé physique de la personne, mais aussi à son équilibre psychologique, à sa vie sociale, affective et sexuelle. C’est une prise en charge globale et pluridisciplinaire, adaptée aux besoins de la personne », détaille Éric Balez.

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Au sein de l’Association François Aupetit, il a ainsi travaillé, dès 2008, à développer cette forme d’accompagnement dans des établissements de santé afin que les patient·es qui le souhaitent puissent participer à des séances d’éducation thérapeutique. Comme au CHU de Nice, sa « seconde maison » – c’est là qu’il est suivi depuis de nombreuses années –, où il intervient en tant que patient expert, en binôme avec un membre de l’équipe soignante.

Sortir du registre médical

« Parfois, les gens ont peur d’embêter les professionnels avec leurs questions. Ils peuvent être impressionnés. Moi, je ne porte pas de blouse blanche. Et le patient sait qu’on a le même vécu. Ça facilite le dialogue », observe-t-il. Surtout, le patient expert permet d’aborder des questions qui sortent du registre purement médical. Comment puis-je faire avec mon travail ? Comment gérer la fatigue ? Comment parler de la maladie à mes enfants ? Est-ce que je peux faire des thérapies complémentaires ? « Mon rôle, c’est de favoriser le dialogue avec les professionnels de santé, pas de me substituer à eux. Nous sommes vraiment complémentaires », insiste Éric Balez, qui y a consacré un livre 4.

Approche collaborative

« Je suis une courroie de transmission », abonde Claude G., qui intervient comme patiente partenaire dans le service d’oncologie de l’hôpital Henri-Mondor, près de Paris – celui-là même où elle a été prise en charge durant des années pour un cancer récidivant. Face aux personnes malades, elle écoute, rassure, reformule au besoin les informations délivrées par l’équipe médicale. « Une fois que j’ai vu les patients, je fais un retour à la cadre de santé avec laquelle je travaille. Je passe toujours par le bureau de coordination des soins pour discuter avec les infirmières. Parfois, je vais soulever des questions que le patient n’avait pas voulu aborder avec l’équipe, ou signaler qu’une personne a peut-être besoin d’un suivi psychologique », dépeint cette bénévole de 58 ans.

Mais son rôle ne se limite pas à échanger avec les patient·es. Elle aide aussi l’équipe médicale à développer son projet d’e-santé auprès des patient·es. Elle peut être sollicitée pour donner son avis sur une plaquette d’information. Ou être invitée à intervenir auprès de jeunes internes lors d’un module de formation sur les « annonces difficiles ». Non pas pour parler de son expérience personnelle – « La mise à distance est essentielle », rappelle-t-elle –, mais pour partager son expertise. Une expertise d’autant plus reconnue qu’elle a intégré en 2019 l’Université des Patients-Sorbonne, à Paris, où elle a suivi deux cursus diplômants.

Créée en 2010 à l’initiative de la professeure Catherine Tourette-Turgis et située dans un service de soins de l’hôpital de la Pitié- Salpêtrière, cette université a été la première au monde à former et diplômer des personnes atteintes de maladies chroniques ou invalidantes – plus de cinq cents à ce jour. « S’engager dans une formation diplômante permet de donner du sens à son histoire avec la maladie, d’apporter une légitimité académique solide à des savoirs expérientiels et de transformer son expérience en expertise pour pouvoir la partager sur le terrain choisi (services de soins, entreprises, institutions, collectivités...) », explique Catherine Tourette-Turgis, qui défend résolument une « approche collaborative entre soignés et soignants ».

Démocratie sanitaire

Depuis, l’initiative a fait des émules. En quelques années, les formations diplômantes de « patient·es expert·es » se sont multipliées dans les universités : à Marseille, à Montpellier, à Lyon... « Quand j’ai entendu parler de l’Université des patients, j’ai eu un vrai déclic », raconte Priscilla Saracco-Ollagnier, 28 ans, qui a depuis cofondé l’association Les Patients Experts. Atteinte d’endométriose depuis ses 14 ans, diagnostiquée à 21 ans, puis déclarée en invalidité professionnelle trois ans plus tard, elle a intégré la formation de l’université de Marseille en 2019, dont elle est ressortie avec un certificat universitaire. Reconnue comme patiente experte, elle a depuis contribué à développer plusieurs programmes d’éducation thérapeutique avec des associations de patient·es et travaille aujourd’hui, en freelance, dans la gestion de projets de santé.

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Une expertise qui l’a aussi amenée à être sollicitée pour participer à l’élaboration de politiques publiques. « J’ai travaillé sur la rédaction de la stratégie nationale pour la lutte contre l’endométriose et je fais partie du comité de pilotage interministériel de cette stratégie », développe-t-elle. Car les patient·es expert·es n’interviennent pas seulement dans les établissements de santé ou les associations de malades. Ils et elles sont aujourd’hui sollicité·es par des médecins, des laboratoires (qui souhaitent, par exemple, avoir leur avis sur un protocole de soins ou sur la lisibilité de leurs notices), par des institutions (comme l’Agence européenne des médicaments ou la Haute Autorité de santé)...

Diplomé·es ou non, rémunéné·es (parfois) ou bénévoles (souvent), ils et elles comptent désormais parmi les acteur·rices incontournables de notre système de santé. Et témoignent, aussi, de la mutation des relations entre soignant·es et soigné·es. « Ce qui s’est joué au XXe siècle, c’est la transformation d’un modèle paternaliste de la santé. On est passé d’un système où le patient passif recevait une information du médecin à une relation négociée, dans laquelle ce même patient commence à acquérir du savoir et à exprimer son avis. Le rôle du patient expert et sa reconnaissance par les institutions s’inscrivent dans une approche démocratique de la santé souhaitée par la société », souligne l’anthropologue Aurélien Troisoeufs. Vingt ans après l’adoption de la loi Kouchner, qui plaçait les malades (et leurs droits) au cœur du système de santé, être patient·e n’est plus seulement une condition : c’est aussi un métier.

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