Marie-​Angélique Le Blanc, la pre­mière enfant sauvage

Oubliée de l’histoire, Marie-Angélique Le Blanc est un cas très rare d’enfant sauvage à avoir réussi à parler, écrire et lire après plusieurs années de vie en forêt. Découverte en 1731 dans l’est de la France, elle pourrait être originaire d’Amérique du Nord. Retour sur un destin exceptionnel.

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©Lola Fourmy Johnny Goérend

« Les gens croyaient que c’était une supercherie, elle est tellement exceptionnelle ! C’est un cas rare d’enfant sauvage qui a pu s’assimiler à la société française », explique Julia Douthwaite Viglione, professeure de français dans l’Indiana et autrice d’un ouvrage 1retraçant l’histoire de Marie-Angélique Le Blanc. Son nom ne vous dit peut-être rien, pourtant Marie-Angélique Le Blanc n’a rien à envier au célèbre Victor de l’Aveyron – son cadet d’une soixantaine d’années –, dont l’histoire fut racontée notamment par François Truffaut dans son film L’Enfant sauvage. Marie-Angélique est l’un des premiers cas recensés en France de ceux qu’on appelait alors « les enfants sauvages ».

C’est dans la forêt de Songy, près de Châlons-en-Champagne (Marne), que la jeune fille est découverte en septembre 1731. D’après les différents récits, elle aurait été aperçue nageant dans la rivière (une qualité peu répandue à l’époque), courant comme un lièvre et grimpant aux arbres tel un écureuil. Elle est alors découverte « pieds nus, le corps couvert de haillons et de peaux, le visage et les mains noires comme une négresse », selon la description d’une certaine Marie-Catherine Hecquet dans un livre 2 (1755). La jeune fille s’exprime par cris, se nourrit de viande crue, chasse à mains nues et impressionne par sa force et son agilité. 

Pour les villageois·es, elle est une figure du diable. Le châtelain local, le vicomte d’Épinoy, ordonne sa capture et la confie à son berger « comme une chose qui lui tenait à cœur et du soin de laquelle il serait bien payé ». Si on lui attribue l’âge de 9 ans au moment de sa capture, cet âge est impossible à confirmer, pas plus que le temps qu’elle aurait passé dans la forêt, où elle s’enfuit à plusieurs reprises. Un attrait pour la liberté qui s’explique aussi par l’alimentation, les mets cuits la rendant violemment malade.

Mystère autour de son histoire

Son état de santé fragile entraîne, en octobre 1731, son entrée à l’hospice général de Châlons et son baptême anticipé. Dès 1732, « la jeune fille sauvage de Songy » devient Marie-Angélique Memmie (du nom du premier évêque de Châlons) Le Blanc. Dès lors et jusqu’aux années 1750, Marie-Angélique est prise en charge par différentes institutions religieuses : à Vitry-le-François, Joinville en Champagne, Reims et Paris. C’est là que la jeune fille est « rééduquée ». Sa capacité à parler rapidement le français, tout comme elle le lit et l’écrit, étonne. Son talent pour la couture fait penser à certains historien·nes qu’elle n’aurait pas toujours vécu à l’état sauvage. Son évolution rapide, le mystère autour de son histoire, dont elle n’a visiblement que peu de souvenirs, passionnent les intellectuels de toute l’Europe : les philosophes James Burnett, Voltaire ou Louis Racine échangent avec Marie-Angélique, et la reine de Pologne, Catherine Opalinska, l’observe attraper les lièvres à la main lors d’une partie de chasse en 1737. 

Mais cette « socialisation » ne se fait pas sans mauvais traitements, comme le notent les observateurs de l’époque. Dès sa capture, elle est « dressée » pour perdre ses habitudes « sauvages ». « Il fallait qu’elle rentre dans le moule, pas une femme qui nageait avec les grenouilles et montait aux arbres. Elle était tellement libre que ça a bien failli la tuer ! C’est cet aspect féministe qui nous a intéressés », détaille Aurélie Bévière, la scénariste d’une BD qui lui est consacrée 3. Si plusieurs récits affirment qu’elle aurait voulu entrer dans les ordres et que cela lui aurait été refusé, pour Julia V. Douthwaite, il s’agit moins d’une envie réelle que d’une manière d’éviter un nouvel abandon. 

Célébrité du XVIIIe siècle

On lui accorde une pension royale, probablement pour « exposer au monde » ce personnage rare de l’histoire du XVIIIe siècle. Grâce à cette pension, Marie-Angélique termine son parcours atypique en s’installant à Paris.

Le mystère autour de Marie-Angélique Le Blanc reste immense. Si son existence exceptionnelle ne fait aucun doute, ses origines restent un point de friction entre les différents commentateur·rices. « Il se peut qu’elle soit juste une orpheline, ce qui expliquerait pourquoi elle a appris le français si vite », propose Julia V. Douthwaite. Pour l’écrivain Serge Aroles, elle serait une Meskwaki, d’une tribu amérindienne de Haute-Louisiane, capturée puis emmenée au Labrador (Canada) par des Français ayant ensuite fui vers l’Hexagone 4. S’il y a bien trace dans les archives d’une sauvagesse à bord d’un bateau accostant en 1720 à Marseille, d’après Julia V. Douthwaite, son âge et celui de Marie-Angélique ne permettent pas d’attester qu’il s’agit de la même personne. 

Comme souvent, l’origine des enfants sauvages et les raisons qui les ont poussés à vivre à l’état de nature restent inconnues. Mais en comparaison avec Victor de l’Aveyron, il existe très peu de recherches historiques confirmées sur le cas de Marie-Angélique Le Blanc. « En tant que personnage fort, indépendant, qui a marqué le XVIIIe siècle, je ne peux m’empêcher de penser à l’invisibilisation de l’histoire des femmes, note Gaëlle Hersent, illustratrice de la BD Sauvage. À sa mort en 1775, douze chaises sont inventoriées dans son appartement, preuve que la pensionnée du Roi recevait beaucoup. Sacré parcours pour la « jeune fille sauvage » de la forêt champenoise.

1. The Wild Girl, Natural Man, and the Monster: Dangerous Experiments in the Age of Enlightenment, de Julia Douthwaite Viglione. Chicago UP, 2002.

2. L’identité de l’autrice est source de controverse, le texte est attribué par certain·es au scientifique La Condamine.
Histoire d’une jeune fille sauvage trouvée dans les bois à l’âge de dix ans, de Marie-Catherine Hecquet. Éd. Folio 2 €, 2017.

3. Sauvage. Biographie de Marie-Angélique Le Blanc (1712-1775), d’Aurélie Bévière, Jean-David Morvan et Gaëlle Hersent. Éd. Delcourt, 2015.

4. Les Enfants-loups, 1344-1954, de Serge Aroles. Éd. Terre, 2004.

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