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© Besse

« Les "mal-​pensants" s’accrochent à leurs vieux meubles »

Mais pourquoi tant de haine ? On a posé la question à Emmanuelle Laurent, psychologue clinicienne et autrice de Comme psy comme ça, aux éditions Payot.

Causette : Quelle est cette névrose des anti-bien-pensants à s’acharner contre le « camp du bien » ?

Emmanuelle Laurent : J’ai l’impression que, pour la plupart, être « mal-pensant » est une forme de pur divertissement, de délectation à provoquer. Quand Finkielkraut éructe « je viole ma femme » devant Caroline De Haas, lors d’une émission télévisée, il crée le spectacle. Il y a un certain plaisir à être en marge de ce que l’on perçoit comme un mouvement un peu général, parce qu’on renforce en opposition sa propre identité. Les « mal-pensants » intellectuellement armés sont dans un état de nostalgie au sein d’une société qu’ils voient changer malgré eux. Ils s’accrochent aux vieux meubles qui sont en train de leur être enlevés, et donc dans une position réactionnaire. Prenez les attaques aux féministes : c’est souvent parce que leur virilité se sent menacée.

D’un point de vue psychanalytique, qu’est-ce que la bien-pensance ?

E. L. : C’est une nouvelle forme de moralisme qui se structure non plus par le haut de la société, mais par la base, à coups de Tweets. Les Social Justice Warriors [SJW, personnes nommées ainsi par leurs contradicteurs parce qu’elles défendent des positions de justice sociale. Beaucoup revendiquent aujourd’hui cette appellation, ndlr] de Twitter sont persuadés être dans le camp du bien. Ces personnes invectivent et clouent au pilori ceux qui dérogent à leur morale : en découle une certaine injonction à être de leur côté. C’est un trolling qui se drape de bienveillance, mais c’est un trolling quand même, souvent vécu comme une agression de l’autre côté. Pour le bien-pensant, cela lui permet d’évacuer une certaine forme d’agressivité inhérente à l’être humain. Nous ne sommes pas que des êtres d’amour, nous sommes aussi des êtres de haine.

Pourquoi y a-t-il autant de crispations entre ces deux camps ?

E. L. : Probablement parce que notre société est en train de se transformer profondément. Le patriarcat blanc est de plus en plus remis en question. Avant, les individus étaient intégralement chapeautés au sein de l’organisation patriarcale, mais désormais, chacun se réfère à des paradigmes très différents et donc difficiles à faire se rencontrer. Il y a une insoumission, une tentative de désaliénation. Sauf que, pour qu’une société fonctionne, il faut y être un minimum aliéné pour pouvoir s’organiser ensemble. Ici, la notion de surmoi peut être intéressante : moins il y a de cadres dans la société occidentale, plus on voit que chacun est renvoyé à son propre cadre et est de plus en plus tyrannique. Chacun dit ce qu’il doit penser à l’autre. Cette polarisation est la névrose d’une société hyper individualiste. On est tellement renvoyés à nous-mêmes qu’on supporte de moins en moins l’altérité – dans un contexte où on n’a jamais eu autant de possibilités de communiquer et de réfléchir en commun. Pour Lacan, l’énamoration est aussi entendue comme « hainamoration ». La haine, c’est la différence dans ce qu’elle a de nécessaire et d’insupportable. On comprend ainsi le côté obsessionnel de certaines crispations entre les uns et les autres.

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