La Palatine, une « grande gueule » chez le Roi-Soleil

Cette princesse du Grand Siècle n’est pas de celles qui vocalisent au balcon ou se baladent en citrouille. Charlotte-Élisabeth de Bavière, alias La Palatine, est caustique, souvent grossière, et ne mâche pas ses mots. Surtout, elle est, grâce à son abondante correspondance, un témoin majeur des mœurs de la Cour.

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Nous sommes le 20 novembre 1671 et la cour de Versailles accueille en grande pompe Charlotte-Élisabeth de Bavière, Liselotte pour les intimes, princesse allemande de 19 ans à peine, fraîchement déracinée de son Palatinat natal pour épouser Philippe d’Orléans, le frère de Louis XIV. Celle que l’on nomme à présent « Madame » devient, du même coup, belle-sœur du roi de France et duchesse d’Orléans, le jackpot ! Malheureusement, cette union n’a rien d’un mariage d’amour et, pour la jeune princesse, les désillusions vont s’enchaîner. Sitôt mariée, elle découvre le penchant de son époux pour les messieurs et déplore de le voir passer le plus clair de son temps à batifoler avec ses mignons.

C’est que le couple est des plus mal assortis : Liselotte qui, enfant déjà, préférait les fusils aux poupées, aime chasser, se coiffer d’une perruque d’homme et porter son habit de cheval. Quant à Philippe, c’est un gringalet en talons hauts, poudré et fardé à outrance, qui raffole des rubans, des bagues et des bracelets. C’est d’ailleurs lui qui décide des moindres détails de la toilette de la princesse et lui applique lui-même le rouge sur les joues. Or, les bijoux, les dentelles et les yeux de biche, la princesse s’en contrefiche royalement. Alors, pour passer le temps et survivre loin des siens dans la jungle hostile de la cour du Roi-Soleil, la jeune femme se lance dans la rédaction d’une abondante correspondance. Un bon moyen de pousser des gueulantes en toute impunité. Et il y a de quoi ! En effet, cette femme éprise de liberté se retrouve claquemurée dans le carcan protocolaire de la cour de Versailles, au milieu des flatteries hypocrites et des jolies manières des courtisans. Se refusant à cette mascarade – et pour en rire plutôt qu’en pleurer –, elle écrit donc du matin au soir, avec une trempe et un franc-parler devenus légendaires, des ragots sur ses contemporains ou les menus désagréments de son quotidien.

C’est ainsi que, sans tabou ni détour, elle évoque son mariage, qui n’est pas des plus heureux. « Si l’on peut recouvrer sa virginité après n’avoir pas, pendant dix-neuf ans, couché avec son mari, pour sûr je suis redevenue vierge ! » note-t-elle avec une pointe d’ironie à l’âge de 44 ans, alors que son Philippe ne l’a effectivement plus touchée depuis près de vingt ans. Course à l’héritier mâle oblige, Monsieur le frère du roi avait dû se faire violence et s’était résigné à tenter d’obtenir une descendance avec son épouse. Ainsi, dans les premières années de leur mariage, la princesse avait donné naissance à trois enfants : un premier fils, décédé en bas âge, un second, fièrement prénommé Philippe, comme son père, et qui deviendra régent à la mort du roi, et, enfin, une fille, la future duchesse de Lorraine, répondant au doux nom d’Élisabeth-­Charlotte. Aussitôt cette formalité conjugale dûment accomplie, Monsieur avait décidé de faire chambre à part et Madame, comprenant qu’elle n’en obtiendrait pas davantage, s’était résolue à le laisser vaquer à ses plaisirs et à vivre avec lui en bonne amitié, comme deux complices. Après tout, l’amour ne se commande pas. De toute façon, elle ne s’aime pas beaucoup : « Ma graisse s’est mal placée, de sorte qu’elle me va mal. J’ai, sauf votre respect, un derrière ­effroyable, un ventre, des hanches et des épaules énormes, la gorge et la poitrine très plates. À vrai dire, je suis une figure affreuse, mais j’ai le bonheur de ne pas m’en soucier, car je ne souhaite pas que quelqu’un tombe amoureux de moi. Je suis persuadée que mes bons amis ne regarderont que mon caractère, pas ma figure. »

Pour le reste, La Palatine est bien décidée à ne pas se laisser enquiquiner et n’y va pas de main morte. Voici, pour exemple, ce qu’elle livre à sa marraine et confidente, la duchesse Sophie-Charlotte de Hanovre, depuis le château de Fontainebleau où elle ne peut disposer de sa propre chaise percée : « Vous êtes bien heureuse d’aller chier quand vous voulez ; chiez donc tout votre chien de soûl. […] J’ai le chagrin d’aller chier dehors, ce qui me fâche parce que j’aime à chier à mon aise, et je ne chie pas à mon aise quand mon cul ne porte sur rien […]. Ah ! maudit chier, je ne sache point plus vilaine chose que de chier. » Voilà une verve bien fleurie dans la bouche d’une princesse au sein d’une Cour où tous rivalisent de charme et d’élégance. 

La Maintenon, une “vieille conne”

Mais La Palatine n’en a cure et ne mâche pas ses mots. Ainsi, elle ose traiter Madame de Maintenon – la favorite de Louis XIV et son ennemie jurée – de « vieille conne », tout en sachant pertinemment que son courrier est ouvert. Sans honte ni embarras malgré son haut rang, elle raconte encore dans ses lettres son mépris pour la bigoterie et les superstitions : « Mon confesseur actuel est raisonnable en tout, sauf en ce qui a trait à la religion. […] Mais je lui ai dit sans ambages que j’étais trop vieille pour croire à toutes ces bagatelles de miracles. » Aussi s’endort-elle souvent à l’église au cours des interminables sermons et c’est alors au roi, son voisin de messe, de la réveiller à petits coups de coude.

Ne redoutant ni les bassesses des favoris et des maîtresses ni les remontrances des confesseurs, elle parvient à demeurer hors de tout complot et mène une vie paisible. Entourée de sa douzaine de chiens, elle se consacre également à l’éducation de ses petits-enfants. Après vingt années de veuvage, l’infatigable épistolière dépose la plume en 1722, à l’âge de 70 ans, laissant en héritage plus de 90 000 lettres, récits d’une rare sincérité et d’une étonnante modernité. Aujourd’hui en partie publiée, cette œuvre attachante, à la lecture plutôt plaisante, est le témoignage impertinent de la vie quotidienne dans l’une des plus somptueuses cours d’Europe. Enfin – dernier legs et non des moindres –, c’est aussi à cette princesse allemande amatrice de bonne chère que l’on doit l’introduction en France de la choucroute et de la salade de lard. Grande dame ! 

Priscille Lamure partage sa passion pour l’Histoire sur son blog.


Correspondance complète de Madame, Duchesse d’Orléans, traduit par M. G. Brunet. Éd. Charpentier, 1869.

Madame Palatine, princesse européenne, de Dirk Van der Cruysse. Éd. Fayard, 1988. 

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