childhood under assault africa photos
Portrait of a girl in Lesotho at sunset. Edited version for Ending Child Marriage campaign. Original file: WV_Lesotho_584.jpg. WV2274612

Vision du Monde : « Le nombre de mariages pré­coces a plus que dou­blé en 2020 »

Un récent rapport de l’ONG Vision du Monde alerte sur une hausse inédite des mariages précoces dans les pays en développement depuis le début de la pandémie. Cette violation des droits de l’enfant et notamment des filles est liée à l’augmentation de la pauvreté. Entretien avec Camille Romain des Boscs, directrice générale de l’association.

Causette : Votre rapport s’est focalisé sur quatre pays, le Bangladesh, l’Afghanistan, le Sénégal et l’Ouganda. Dedans, vous préférez parler de « mariages précoces » et non pas de « mariage forcé ». Pourquoi ce terme et comment le définit-on ?
Camille Romain des Boscs : Un mariage précoce, c’est l’union formelle ou informelle de deux personnes dont l’une des deux est âgée de moins de 18 ans. On le distingue d’un mariage forcé car il y a des mariages précoces qui se font sans coercition, par répétition de normes sociales : les croyances font que les jeunes aussi acceptent et consentent de se marier tôt parce qu’il existe cette idée que le mariage peut apporter une vie meilleure.

Quelles sont les raisons qui motivent les familles à marier leur fille mineure ?
C.R-D-B. : Il y a tout un faisceau de facteurs qui se combinent et s’alimentent les uns les autres. Le premier c’est bien souvent la pression économique et financière : en mariant l’enfant, il y a une bouche de moins à nourrir. La deuxième explication, c’est l’application et la répétition de la norme sociale, notamment par pression du groupe. Enfin, paradoxalement, les parents peuvent également marier leur fille relativement jeune pour la protéger d’une société qui peut être violente à l’égard des filles non-mariées.

Avant 2020, quel était l’état de la situation des mariages précoces dans le monde ? 
C.R-D-B. : Sur les deux dernières décennies, on était plutôt sur une tendance positive avec un ralentissement des mariages précoces. On estime à 25 millions les mariages précoces qui ont pu être évités sur les 10 dernières années, même si aujourd’hui, 650 millions de femmes dans le monde ont été des enfants mariées.

Toutefois, votre rapport montre que la pandémie a bousculé cette tendance… 
C.R-D-B. : L’UNICEF et Vision du Monde prévoient pour 2030 une augmentation de 10 millions de mariages précoces qui s’ajoutent à une précédente projection de 100 millions, et ce dans l’ensemble des pays en développement. C’est la première fois que ça repart à la hausse depuis 25 ans. En effet, entre mars et décembre 2020, on a pu constater que le nombre de mariages précoces avait plus que doublé par rapport à 2019.

Pourquoi observe-t-on une hausse des mariages précoces avec la crise du Covid-19 ? 
C.R-D-B. : La conséquence directe de la pandémie, c’est que les personnes les plus fragiles le sont encore plus, notamment celles en difficulté économique. Il y a une forte augmentation de la très grande précarité. On se retrouve alors avec des familles, qui étaient déjà dans des situations compliquées, dans une très grande vulnérabilité. A titre d’illustration, toutes les personnes qui travaillaient dans l’économie informelle se sont retrouvées sans revenus du jour au lendemain. Un mariage précoce ressemble à une porte de sortie. De plus, avec la fermeture des écoles partout dans le monde, les filles sont beaucoup restées dans les villages.
En fait, le Covid est venu renforcer toutes les violences faites aux enfants et notamment celles basées sur le genre. Il y a les mariages précoces mais aussi le travail des enfants ou, par exemple, les mutilations génitales féminines car les exciseuses elles-mêmes n’ont plus de quoi nourrir leur famille et reprennent leurs activités. Tout a la même origine : la dégradation économique qui relance les pratiques néfastes pour les enfants. La pandémie, c’est une accentuation de toutes les injustices et violences préexistantes. 

Quelles sont les conséquences d’un mariage précoce pour une jeune fille ?
C.R-D-B. : C’est une violation directe des droits humains et de la convention internationale des droits de l’enfant. Il y a des conséquences physiques, notamment car qui dit mariage précoce dit grossesse précoce. Lorsqu’une adolescente attend un enfant à un âge où elle ne devrait pas en avoir, il en résulte des complications extrêmement graves comme des infections ou des complications à l’accouchement. Un mariage précoce c’est également potentiellement des pratiques sexuelles violentes à l’intérieur du couple pour ces jeunes filles qui n’ont pas désiré ce mariage.
Ensuite, très souvent, le mariage ne se fait pas dans le village : il y a un éloignement de l’enfant et, par conséquent, des violences psychologiques dues à l’isolement, à la séparation sociale et à l’absence de protection par la famille.
Enfin, c’est aussi une violation du droit à l’éducation. Les filles qui sont mariées, et souvent enceintes très rapidement, ne vont pas à l’école. Elles se retrouvent à la maison sans aucune possibilité de retour à l’école ou d’accès à des métiers rémunérateurs. Ça résulte à enfermer ces filles dans un cercle vicieux de la pauvreté, sans aucune perspective.

Au-delà des impacts directs sur les filles, quelles répercussions ont les mariages précoces sur la société et le pays plus largement ?
C.R-D-B. : Des filles non éduquées, c’est déjà un impact économique important car elles et leurs enfants sont enfermés dans la pauvreté. Il y a également un impact sur la construction de la paix dans les pays concernés. Des pratiques violentes sur les enfants qui se perpétuent, ça fait des sociétés instables. En fait, le maintien des filles empêche le progrès et le développement de tout un pays.

Que fait Vision du Monde pour lutter contre ce fléau ? 
C.R-D-B. : Tout d’abord, nous portons une attention particulière au respect des droits des enfants. Nous faisons de la sensibilisation pour faire en sorte que les jeunes (et leurs parents) connaissent leurs droits et les fassent appliquer. L’idée est d’impliquer toutes les parties prenantes et notamment les garçons : c’est avec eux qu'il faut faire évoluer les normes. Tous nos projets sont mis en place par des équipes à 97% locales qui connaissent donc bien la culture du pays. Cette proximité permet d’établir des liens de confiance avec les familles aidées. Il faut les accompagner pour faire en sorte d’améliorer les conditions de vie dans lesquelles elles font grandir leurs enfants car tout est lié et entremêlé. Vision du Monde adopte une approche globale dans le traitement des problèmes de pauvreté et d’égalité filles-garçons. 

C’est-à-dire ? 
C.R-D-B. : Par exemple, pour lutter contre les mariages précoces, il faut améliorer l’accès à l’eau potable. Si le village n’a pas accès à l’eau potable, ce sont les filles qui vont chercher l’eau donc elles ne vont pas à l’école. Il faut régler la question du niveau économique. Cela ne veut pas dire faire du développement économique pour faire du développement économique mais afin que les parents puissent nourrir leurs enfants et faire en sorte qu’ils aillent à l’école le plus longtemps possible, pour qu’ils n’aient pas à travailler ou à se marier. C’est un soutien de profondeur et de long terme.

Le rapport mentionne également l’importance des chefs religieux, expliquez-nous.
C.R-D-B. : Quand on parle de changements sociétaux, on a beau faire appel aux droits humains, si la norme sociale dit autre chose, c’est elle qui prévaudra. Les chefs religieux sont centraux car ils sont écoutés et ont une très grande influence. Ils sont essentiels pour lutter contre les causes profondes de ces violences faites aux filles. Là dessus, on a des statistiques encourageantes : ça fonctionne ! A travers des campagnes de sensibilisation, ces leaders religieux peuvent devenir de véritables acteurs du changement. En les impliquant, ça permet notamment de remplir une première étape cruciale : favoriser l’enregistrement des naissances et les déclarer à l’état civil. En effet, ce sont eux qui officient les cérémonies comme les baptêmes ou les mariages. 

En termes de législation, où en est-on aujourd’hui dans le monde ? 
C.R-D-B. : Il y a quelques pays qui ont encore des lois qui favorisent les mariages précoces. L’âge minimum légal au Mali et en Afghanistan c’est 16 ans, en Iran, 13 seulement ! [NDLR: aux États-Unis, les mariages précoces sont interdits dans seulement 5 États]. Beaucoup de pays ont des lois mais le problème, c’est la différence entre la législation et la norme sociale ou religieuse, couplée à un contexte économique compliqué. Dans ces cas-là, le phénomène continue de se perpétuer, quoi que dise la loi. Vision du Monde interpelle donc les gouvernements et propose des solutions concrètes pour que les autorités mettent à disposition les outils nécessaires pour que le dispositif législatif soit suivi d’effet et que ce fléau s’arrête.

À notre échelle, comment vous aider ? 
C.R-D-B. : Le parrainage d’enfants permet d’améliorer sur le long terme les conditions de vie des enfants et de protéger leurs droits. Ça aide un enfant mais ça aide toute sa communauté derrière car les ressources sont mutualisées dans un fond commun pour des projets pérennes. Il faut prendre les problèmes dans leur complexité et ne pas voir un petit bout de la lorgnette, car tout est imbriqué. Ensemble, on peut faire bouger les lignes, il ne faut pas baisser les bras ni abandonner, il existe des solutions pour arrêter ce fléau.

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