AbirMoussi
Abir Moussi, casquée à l'Assemblée des représentants du peuple de Tunisie, le 1er juillet © Capture d'écran d'une vidéo publiée sur la page Facebook d'Abir Moussi

Tunisie : « indi­gna­tion la plus vive » des fémi­nistes après les coups reçus par la dépu­tée Abir Moussi en pleine assemblée

Mercredi 30 juin, en pleine séance parlementaire à l’Assemblée tunisienne, la députée Abir Moussi et cheffe du Parti destourien libre (PDL) était frappée par deux fois par deux opposants politiques issus de la majorité islamiste. Décryptage, à Tunis, de ce qui s’est joué dans la violence exercée contre cette femme politique.

Les Tunisien·nes disent qu'elle a la « r'jouliya » (force virile) mais elle peut aussi être la cible favorite des islamistes qu'elle n'épargne pas en retour. Abir Moussi, députée depuis octobre 2019, représente une opposition turbulente. Mercredi dernier, la cheffe du Parti destourien libre (PDL), thuriféraire de l'ancien autocrate Ben Ali, a été victime de deux agressions sous les ors de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).

En milieu d'après-midi ce jour-là, les députés votent une convention autorisant la création d'un bureau du Fonds de développement qatari en Tunisie. Un sujet qui cristallise ce que la quadragénaire, surnommée la « lionne », combat : des fonds étrangers et l'ombre des Frères musulmans, dont Ennahdha - parti islamiste qu'elle souhaiterait interdire - serait, selon elle, l'antenne tunisienne. Les 16 députés du PDL (sur 217) tentent d'empêcher la session et, comme à son habitude, Abir Moussi, filme la scène qu'elle diffuse sur sa page Facebook. On voit soudain Sahbi Smara, député indépendant qui a appartenu au groupe parlementaire Al Karama (« La Dignité », islamistes radicaux) la frapper au bras puis à la tête. Quelques heures plus tard, c'est Seif Eddine Makhlouf, chef d'Al Karama (18 députés sur 217), qui s'en prend à Abir Moussi.  « Va mourir » : lui lance-t-il après l'avoir mise à terre d'un coup de pied et en faisant mine de l'attirer avec des billets. « Cette agression se déroule dans un contexte de banalisation de la violence, notamment à l'encontre des femmes, analyse Amel el Mejri, juriste et enseignante-chercheuse à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l'Université Carthage, à Tunis. Sur la vidéo, on voit bien que Sahbi Smara s'avance avec confiance. Il sait qu'il ne risquera rien. Pour le citoyen lambda, cela peut être perçu comme un encouragement : "si des députés, en plein parlement, frappent des femmes sans conséquence, moi aussi, je peux le faire." » 

Privés de parole pour les trois prochaines séances

Lundi, le bureau de l’ARP s’est finalement réuni et a décidé « d'infliger la sanction maximale, que le système interne autorise, aux députés concernés, tout en appelant toutes les parties au respect mutuel et à la coopération pour le bien de l'institution et du pays ». Le règlement intérieur indique que cette punition maximale consiste en la privation de parole (mais pas de vote) pendant trois séances consécutives. L’iminuté parlementaire des agresseurs n’a, elle, pas été levée.

La société civile, elle, est montée au créneau. La Coalition nationale contre les violences à l'égard des femmes a exprimé son « indignation la plus vive » : « Nous considérons que les coups qui lui [Abir Moussi] ont été portés au visage et au corps par le premier ainsi que les billets de banque brandis en sa direction comme un appât par le second sont une insulte à la dignité physique et morale de toutes les femmes, dont on veut par-là disqualifier l’action politique et la conquête du champ public. » Pour Amel el Mejri, ce dernier geste est doublement symbolique : il rappelle l'argent ostensiblement jeté aux danseuses de cabaret de la capitale par les clients - « ce n'est qu'une femme, elle doit se soumettre aux hommes » - et il sous-entend qu'Abir Moussi, qui a défendu, jusqu'à risquer de se faire lyncher en 2011, le parti hégémonique de l'ancien régime auquel elle appartenait, est « vendue » aux Emirats arabes unis, qui s’opposent aux Frères musulmans, dans un contexte d'affrontements avec le Qatar (soutien de la confrérie).

Sous gilet pare-balles dans l'hémicycle

Ces violences ne sont pas les premières. Née à Jemmal, près de Monastir, dans une famille de fonctionnaires, la députée, connue pour son franc-parler, se dit menacée de mort et mal protégée au sein du parlement. Depuis début mai, l'avocate, qui sait jouer de son image, assiste aux sessions parlementaires avec un gilet pare-balles et un casque de motard ou une bombe d'équitation. De fait, Abir Moussi avait déjà été agressée, en octobre dernier, par Seif Eddine Makhlouf qui lui avait craché au visage. En janvier, elle fustigeait Ghannouchi (président du parti islamiste Ennahdha, au pouvoir dans des coalitions gouvernementales depuis 2011) et l'ARP qui « refusent de condamner cette violence contre moi, car je suis une opposante réelle. Ennahdha soutient le groupe Karama. »

Si Abir Moussi se revendique d'Habib Bourguiba, père de l'indépendance et à l'origine du Code du statut personnel instaurant l'égalité entre hommes et femmes dans un certain nombre de domaines, elle n'est pas pour autant une militante féministe. Elle est défavorable, par exemple, à l'égalité dans l'héritage – à l'heure actuelle un héritier masculin touche deux fois plus qu'une femme au même lien de parenté-. Pour Selim Kharrat, membre de l'ONG Al Bawsala qui observe les politiques publiques, ces violences sont les conséquences d'une « rupture entre islamistes et anti-islamistes. Les deux partis s'affrontent depuis deux ans avec une intensité qui ne cesse d'augmenter. Ces violences traduisent un blocage politique et une incapacité à régler les différends. »

« Les Frères musulmans sont plus dangereux qu'en 2012-2013 car, à l'époque, ils s'affichaient ouvertement. Aujourd'hui, ils sont conscients que le peuple tunisien s'oppose à l'obscurantisme, donc ils ont réparti les tâches : Ennahdha est la vitrine qui se présente pour un état moderne mais il y a un réseau associatif qui fait le nécessaire pour instaurer un projet obscurantiste » dénonce Abir Moussi. D'où son opposition à la création du Fonds de développement qatari.

Accusée d'obstruction parlementaire

Ses opinions, Abir Moussi les partage avec virulence à coup de blocages du parlement, sit-in et de vidéos chocs publiées sur les réseaux sociaux. Selim Kharrat évoque une « tactique de blocage [parlementaire] préméditée qui est [elle aussi] une forme de violence car le rendement [législatif] du parlement est faible alors même que la Tunisie est en difficulté économique et sociale. » Les députés du PDL sont également accusés d'avoir agressé des collègues. En juillet 2020, une députée d’Ennahdha s'était faite écraser le pied et un autre avait reçu des coups de sac à main. Le 2 février, pour dénoncer le vote de trois prêts à l’Etat tunisien venus d'organismes français et allemands, Abir Moussi criait dans un mégaphone à quelques centimètres de Fayçal Derbel, rapporteur Ennahdha de la commission des finances, jusqu'à ce que ce dernier fasse un malaise.

Abir Moussi n’a pour l’heure pas porté plainte contre ses agresseurs. De plus en plus populaire dans les sondages, la députée en impose avec sa « r 'jouliya » mais n'hésite pas à faire le grand écart. Les experts soulignent que son statut – réel – de victime lui attire, autant que sa véhémence verbale et physique contre les islamistes, la sympathie des Tunisien·nes.

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