Marie Laveau : Voodoo Queen

“Ô Marie, combien de temps encore contrôleras-tu la pluie ? 1 Au lendemain de l’ouragan Katrina, c’est la prière que le musicien Chris Thomas King adressa à Marie Laveau, une prêtresse vaudou et brillante femme d’affaires, connue au-delà de la Louisiane. Plus d’un siècle après sa mort, l’esprit de cette étrange divinité flotte encore sur cette contrée qui la vit naître.

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Marie Laveau, reine du vaudou, représentée entourée de sa maison
et de sa tombe. © Charles Massicot Gandolfo/The New Orleans
Historic Voodoo Museum

À la fin du XVIIIe siècle, la Louisiane était une terre mouvante que s’arrachaient Français, Espagnols et Anglais 2, peuplée de colons, d’exilés, de riches propriétaires terriens et de pauvres hères, d’esclaves et d’affranchis. On y parlait français, un peu anglais, un brin espagnol. On y mangeait de l’alligator, du ragoût, de l’andouille et du gombo. Marie Laveau, née en 1794 dans le bayou 3 créole, d’un planteur blanc influent et d’une femme noire affranchie à la beauté renommée, grandit dans un pays à son image, métissé. 

En 1819, elle épousa un charpentier, Jacques Paris. Comme beaucoup d’immigrés haïtiens, esclaves ou enfants d’esclaves, Jacques était un Créole très attaché aux rites et traditions venus d’Afrique, que ses ancêtres s’étaient vu interdire une fois jetés sur leur terre de servitude et baptisés de force. Ils n’avaient alors pour seuls bagages que la musique et certaines coutumes transmises précieusement, comme le vaudou. Pas étonnant que Jacques ait enseigné à Marie ce culte, plein de mystères, de fétiches, de transes et d’incantations. Il ne savait pas encore qu’elle deviendrait la Voodoo Queen la plus fameuse de l’Histoire. 

Six mois après les noces, Jacques disparut sans laisser de traces. Un tournant dans la vie de Marie. La « veuve Paris », comme on la surnommait, se fit alors coiffeuse à domicile dans les familles aisées, puis, comme les barbiers d’un autre temps, commença à prodiguer des soins. Rapidement, ses bienfaits furent reconnus : grâce aux enseignements de Jacques, elle savait utiliser la nature pour soigner les plaies du corps et panser celles de l’âme. Quand les épidémies de fièvre jaune et de typhus s’infiltrèrent dans le delta du Mississippi, Marie était partout, épongeant les fronts, brûlant les encens, préparant des potions. On l’appelait de toute la région pour chanter des incantations. 

Un business florissant

Remariée à un capitaine, Christophe Glapion, dont elle eut quinze enfants (les on-dit assurent que sa beauté attirait les amants comme des mouches), elle commença à établir son business. Elle visitait les malades dans les maisons cossues comme dans les baraques des plantations, rendait visite aux condamnés à mort pour leur parler de l’au-delà et absoudre leurs péchés. Avec le temps, on venait nombreux la voir dans sa maison de St Ann Street, tout près du Congo Square 4. Contre monnaie sonnante et trébuchante, ses enchantements pouvaient faire tomber en amour un indifférent, ou tomber dans la foi le dernier des scélérats. Ses rituels, mélanges d’occultisme, de magie païenne, de divination et de messes catholiques, invoquaient les divinités vaudous et les saints du panthéon chrétien, tels Bondyé (le Bon Dieu), Ezili Danto (Notre-Dame du Perpétuel Secours, qui protège des ouragans) ou Limba (saint Pierre, gardien des carrefours et de l’au-delà). 

Toujours suivie de chats noirs et d’un chien à trois pattes, arborant un serpent borgne nommé Zombie 5 en guise d’étole, couverte de gris-gris, de poudres d’os et de pattes de coqs, elle était autant crainte que respectée, à la manière d’une déesse antique. On disait qu’elle pouvait transformer le sable en or et faire tourner la chance. Mais c’est surtout sa propre fortune qu’elle assura : femme d’affaires sans vergogne, elle fréquentait le gotha louisianais – Rosette Rochon, une propriétaire terrienne très riche ; le flibustier Jean Lafitte ou Jean-Louis Dolliole, chef de la communauté noire de La Nouvelle-Orléans. Au faîte de sa gloire, ses pouvoirs ne connaissaient pas de frontières : les clients, noirs ou blancs, venaient de Charleston, Savannah, voire de New York ! Le marquis de La Fayette, de passage à La Nouvelle-Orléans, serait lui-même venu présenter ses hommages à la Reine vaudou. 

Juin 1881 : de L’Abeille de la Nouvelle-Orléans au New York Times, tous les journaux font leur Une sur la mort de Marie Laveau, « une femme à l’histoire incroyable, âgée de près de 100 ans, portée au sépulcre ». On dit que sa tête fut retrouvée au sommet de sa maison, on dit aussi qu’elle est morte de vieillesse, toute asséchée sous ses longues dreadlocks blanches, sourire aux lèvres. Mais la version la plus répandue – et la plus romanesque – raconte qu’un ouragan détruisit sa maison et que, réfugiée sur le toit, elle refusa les secours et hurla : « Mo olé mò dan lac çala » (« C’est dans ce lac que je veux mourir »), avant d’être engloutie par le lac Pontchartrain débordant de fureur. Une fois les eaux retirées, elle serait revenue à la vie et aurait poursuivi ses activités comme si de rien n’était. 

Toujours invoquée, un siècle plus tard

En réalité, c’était sa fille Marie Laveau II (Marie Philomène Glapion) qui avait repris le flambeau. Or, la vraie Marie Laveau continue à faire parler d’elle. On dit que quand une Reine vaudou s’éteint, son esprit réintègre le flot de la vie et divague dans les lieux qui lui étaient chers. Voilà pourquoi, depuis plus d’un siècle, on invoque Marie Laveau quand le ciel fait des siennes, quand les amants se font rares, quand la maladie menace. 

Alors qu’elle fut officiellement portée en terre, sous les hourras et les honneurs de la foule et du pays, au St Louis Cemetery n° 1, les locaux considèrent que sa sépulture réelle est cachée au St Louis Cemetery n° 2. Les deux tombes ont longtemps été graffitées de croix rouges et noires, de signes vaudous, constellées de pièces de monnaie, de cailloux, estampillées d’ex-voto et d’images saintes. Si vous passez par La Nouvelle-Orléans et que vous souhaitez voir votre vœu exaucé, sachez, en revanche, que Marie n’accepte aujourd’hui que l’argent, les cigares, le rhum blanc et les bonbons. La mort a ses exigences…

1. Like a Hurricane (Ghost of Marie Laveau), de Chris Thomas King, album Rise (juin 2006). 21st Century Blues Records.

2. Nommée « Louisiane » en l’honneur de Louis XIV, la terre est française. Cédée en 1762 aux Espagnols et en 1763 aux Anglais, elle est récupérée en 1800 par les Français, avant d’être finalement vendue, en 1803, par Napoléon Ier aux jeunes États-Unis d’Amérique pour la modique somme de 15 millions de dollars.

3. Marécage du sud de la Louisiane.

4. Ancienne place du marché aux esclaves, ce square était, à l’époque de Marie Laveau, un lieu de danses et de culte vaudous. Il deviendra un peu plus tard le premier berceau du jazz et sera rebaptisé « Louis Armstrong Park ».

5. Dans la mythologie vaudou, les zombies incarnent la frontière mouvante entre le monde des vivants et celui des morts. 

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