Les Italiennes sous le fas­cisme de Mussolini : des ventres des­ti­nés à enfanter

Il y a cent ans jour pour jour, les Chemises noires de Mussolini marchaient sur Rome. À la tête de l'Italie fasciste pendant vingt ans, le Duce a cloîtré les femmes italiennes dans leur rôle de mamma tout en érodant leurs libertés et leurs droits.

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Affiche publicitaire de propagande italienne
vantant les mérites de la Journée de la mère et de l'enfance. 1937

Le 28 octobre 1922, des milliers de Chemises noires convergent vers Rome. Les militants menacent de prendre le pouvoir par la violence si le gouvernement n’est pas remis à leur chef Benito Mussolini, député d’un tout jeune parti pour l’heure minoritaire, le Parti national fasciste. Deux jours plus tard, le 30 octobre, alors que les Chemises noires n’ont même pas encore franchi le Rubicon, le roi Victor-Emmanuel III cède et charge Mussolini de former un nouveau gouvernement.

Si la propagande fasciste exaltera plus tard les « 300 000 de la marche sur Rome », il s’agit en réalité davantage d’un coup de bluff que d’un coup d’État. En fait, la marche sur Rome ne rassemble que quelque 26 000 hommes mal équipés. Mais la pression sur le pouvoir fonctionne. L’ère fasciste commence. Le Duce n’a plus d’obstacle sur sa route. Le 3 janvier 1925, le Royaume d’Italie est placé sous une dictature antilibérale, anticommuniste et antiféministe, avec pour ambition de créer l’Uomo nuovo italien, un nouvel homme fort et viril.

Cantonner les femmes à la maison

Si le régime exalte une masculinité virile dans la sphère publique, il cloître les femmes dans l’intimité de la sphère privée. Avec le Duce, elles seront reléguées, tout au long des deux décennies que durera la dictature fasciste, au rang de casalinga, moglie e madre, c’est-à-dire femme au foyer, épouse et mère. Pour l’historienne italienne Victoria de Grazia, comme elle l’écrit dans le cinquième tome de l'œuvre L’Histoire des femmes, « la pratique fasciste envers les femmes présente de nombreuses similitudes avec celle des nazis » qui cantonnent, elle-aussi, les femmes dans leur foyer.

Pourtant, au départ, lorsque Benito Mussolini, alors jeune politicien de 36 ans, fonde en 1919 un mouvement qui deviendra le noyau du fascisme italien, les femmes y ont leur place. Le mouvement politique leur fait miroiter une association aux prises de décisions politiques. Le programme de Mussolini prévoit en effet le suffrage universel, ce qui permettrait aux femmes de voter, mais aussi d’être élues. De la même manière, il promet de leur accorder le droit de divorcer. 

Sous le fascisme, les femmes ne voteront jamais

Une fois à la tête du pays, Mussolini apporte comme gage de sa bonne volonté la création en 1925 d’un groupe restreint et sélectionné de femmes auquel il octroie le droit de vote pour élire les maires et leurs conseillers. Mais trois mois à peine après cet accord, les élections sont finalement invalidées, racontent les universitaires Enrica Bracchi et Émilie Hamon-Lehours, dans l’article Les femmes pendant le fascisme1. Les maires auparavant élus sont remplacés par des hommes directement nommés par le gouvernement. En somme, sous le fascisme, les femmes ne voteront jamais. Idem pour le divorce initié par les épouses, il n’adviendra jamais sous Mussolini.

Pire, les lois dites fascistissimes promulguées l’année suivante érodent les droits des femmes. L’activisme féminisme – en vogue dans l’Europe de l’Entre-deux-guerres - est réprimé. Se battre pour les droits des femmes revient désormais à se battre contre le régime fasciste. Des milliers de personnes – en particulier des femmes –seront même internés dans des asiles pour ne pas avoir voulu se conformer aux mœurs imposées par le régime.

Repeupler l'Italie

Bien sûr, avant Mussolini, les femmes italiennes vivaient déjà sous la tutelle des hommes. Le régime du Duce s’est basé sur le droit de la famille régi par le Code Pisanelli de 1895 dans lequel, par exemple, les femmes ont avant tout un rôle de reproductrices. Et c’est ce même rôle que va réaffirmer le fascisme italien pendant deux décennies. Benito Mussolini l’affirme d’ailleurs dans un discours en 1931 : « La femme doit obéir… Mon opinion quant à son rôle dans l’État s’oppose à tous les féminismes. Naturellement, elle ne doit pas être esclave, mais si je lui concédais le droit de vote, on se moquerait de moi. Dans notre État, elle ne doit pas compter. » Sauf pour remplir son devoir pour la patrie : repeupler l’Italie, décimée comme ses voisins par la Première Guerre mondiale.

L’année d’avant, le régime interdit l’information sur la contraception tout comme la fabrication et la vente de contraceptifs. En parallèle, il met en place une politique nataliste dans laquelle les familles nombreuses sont portées aux nues. Dans un pays aux 40 millions d’habitant·es en 1930, Mussolini a pour ambition d’atteindre les 60 millions d’Italien·nes. Une politique nataliste que l’on retrouvera d'ailleurs quelques années plus tard chez Pétain, même si les ressemblances idéologiques font encore débat chez les historien·nes. L’historienne Francine Muel-Dreyfus, dans son livre, Vichy et l’éternel féminin, rappelle que la France de Pétain ne s’est pas contentée de collaborer avec les Allemands mais a voulu aussi reconstruire le pays sur un modèle fasciste, basé sur les valeurs traditionnelles : Travail, Famille, Patrie. 

Récompenser la fertilité des mères

En Italie, les mères les plus « prolifiques » obtiennent des reconnaissances officielles et des privilèges. À l’instar de notre Fête des mères créée par Pétain, Mussolini institue en 1933 son pendant italien, la Journée de la mère et de l’enfance. Elle célèbre symboliquement chaque 24 décembre la fertilité des femmes. Les quatre-vingt-treize mères les plus prolifiques du pays, c’est-à-dire qu’elles ont eu au moins quatorze enfants, reçoivent une récompense financière des mains du Duce et du Pape Pie XI. Si, à l’origine, le parti de Mussolini est férocement anticlérical, il comprend assez rapidement que son projet de grande nation ne pourra aboutir dans le soutien de l’Église. 

Le fascisme italien ne se contente pas de traiter les femmes comme une entité unique liée à leur destin biologique de mères. Il les prive de toute autre ambition que celle d’enfanter. À l’image des Françaises, la Première Guerre mondiale avait sorti de l’ombre des millions de travailleuses en Italie. Des femmes que le régime fasciste s'attachent à remettre dans l’ombre de leurs foyers en limitant leur accès à certaines professions. Dès 1923, elles se voient interdire la fonction de directrice de lycée, puis à partir de 1926, le droit d’enseigner l’histoire, la philo et l’économie. En 1934, Mussolini instaure la politique dite des « quotas négatifs ». Il est par exemple précisé que dans les administrations publiques et privées, le personnel administratif féminin ne doit pas dépasser 10 %.

Pour ce qui est du travail industriel, à la fin des années 1920, des secteurs entiers sont dorénavant réservés aux seuls hommes. Ce sont les syndicats fascistes, en accord avec le patronat, qui mettent en œuvre cette discrimination sexuelle lors des négociations des conditions de travail, des embauches et des contrats. Ces attaques successives envers le travail féminin dissuaderont de nombreuses femmes d'étudier, faute d’opportunités d’emploi. L’unique corporation qui demeura exclusivement féminine fut celle des sages-femmes. De ce fait, les historien·nes ont constaté que l’analphabétisme a progressé pendant l’ère fasciste chez les femmes du prolétariat. 

Vague féministe post-fascisme

Le 27 avril 1945, alors qu’il tente de fuir, Benito Mussolini est arrêté sur les bords du lac de Côme par la Résistance italienne – qui a par ailleurs connu un fort engagement féminin. Il est exécuté avec sa maîtresse, Clara Petacci. Il en est fini de l’ère fasciste du Duce. Les femmes italiennes, à qui il avait fait miroiter le droit de vote en 1925, votent pour la première fois de manière totale le 2 juin 1946. Une deuxième vague féministe peut donc déferler dans les années 70, avec notamment La Rivolta Femminile, le premier mouvement exclusivement féminin créé par Carla Accardi. 

Le culte de la mère a survécu au fascisme en Italie. Aujourd’hui encore, le mythe de la mamma porté aux nues par le Duce, colle à la peau des Italiennes. Elles sont avant tout représentées comme des mères, « des repères essentiels pour tous, comme si sans elles, la vie de la famille ne tournait plus », indiquent Enrica Bracchi et Émilie Hamon-Lehours dans leur article. En témoigne Silvio Berlusconi qui n’a jamais perdu une occasion d’afficher sa vénération pour sa « mamma Rosa » avant qu’elle ne meure en 2008 à 97 ans. Aujourd'hui encore, les femmes sont toujours cantonnées à la sphère du foyer, en témoigne le taux d’activité des Italiennes, le plus faible d’Europe, avec 48,7 % en 2020. En France, ce taux grimpe à 62 %. 

Pour Giorgia Meloni, Mussolini a « beaucoup accompli »

Presque quatre-vingt ans après la mort du Duce, son héritage pourrait bien se voir ressusciter à travers Giorgia Meloni. Forte d’une coalition dite « de centre droit » et composée de son parti post-fasciste Fratelli d'Italia, de Forza Italia et de la Ligue, la première femme à la tête de l’Italie flirte idéologiquement avec l’héritage du Duce. Giorgia Meloni revendique haut et fort son identité de mère. « Je suis une femme ! Je suis une mère ! Je suis italienne et je suis chrétienne », scandait-elle en 2019. Une phrase qui sonne comm une matrice idéologique.

Elle revendique aussi des affinités avec le dictateur fasciste. À 19 ans, elle affirmait déjà à la chaîne française France 3 que le dictateur était « un bon politicien ». À 45 ans et dans un exercice consommé d’équilibriste, la Première ministre reconnaît encore aujourd’hui à Mussolini d’avoir « beaucoup accompli », sans l’exonérer pour autant de ses « erreurs ». Giorgia Meloni serait-elle en train de rallumer la flamme fasciste en Italie ? La question n’est pas encore tranchée pour l’universitaire Enrica Bracchi. « Si des éléments sont évidents, il est trop tôt pour se prononcer », répond-elle avec précaution à Causette. Une chose est sûre cependant : Benito Mussolini aurait certainement vu d’un mauvais œil une femme à la tête de l’Italie. 

Lire aussi I Elections en Italie : un « triomphe » pour le post-fascime de Giorgia Meloni

  1. Les femmes pendant le fascisme, article universitaire d’Enrica Bracchi, maîtresse de conférences en italien à l’Université de Nantes et d’Émilie Hamon-Lehours, docteure en études italienne à La Sorbonne, 2018.[]
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