Le Rwanda, ce pays où 61% des député·es sont des femmes

Au Rwanda, le Parlement est majoritairement féminin, et les femmes occupent plus de la moitié des ministères. Mais, aux dires de l’opposition, cette avancée relève seulement de la propagande.

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© Chiara Dattola pour Causette

Impossible, désormais, de composer sans elles. Depuis le génocide de 1994, la société rwandaise se remet peu à peu, mais sa démographie reste bouleversée. Le gouvernement estime que fin 1994, la population est féminine à 70 % – même si, depuis, ce déséquilibre diminue avec le retour des réfugié·es. Si bien que les rôles traditionnellement dévolus aux hommes doivent aujourd’hui être assumés par des femmes. 

C’est dans la région instable de l’Afrique des Grands Lacs, au Rwanda, pays rural plus petit que la Belgique (son ancien colonisateur), qu’un massacre de masse est déclenché par le pouvoir au printemps 1994. Plus d’un million de personnes sont systématiquement exterminées par des milices hutu (ethnie majoritaire) et des forces gouvernementales. Les Tutsi, minoritaires, en ont été les premières victimes. Des Hutu modéré·es, des Twa et des opposant·es au génocide ont également été les cibles de ces exactions. L’horreur prend fin le 4 juillet 1994 lorsque les forces armées tutsi font tomber la capitale, Kigali. Si les femmes tutsi, twa et les opposantes n’ont pas été épargnées par les viols collectifs, les mutilations et les tueries organisées, la population masculine tutsi est décimée, les miliciens et génocidaires ont fui ou été faits prisonniers et une partie des survivants est enrôlée dans l’armée. 

Très vite, les Rwandaises s’organisent et s’entraident pour se protéger et subvenir aux besoins des plus démuni·es. Comme le résume un rapport de l’ONG International Alert, « de façon spontanée et comme en réaction aux défis post-génocide et à la guerre, les femmes se sont engagées dans le processus de réhabilitation et de reconstruction1 ». D’informels, ces mouvements se transforment en organisations. Le collectif Pro-femmes, qui regroupe alors une trentaine d’entre elles, devient le porte-parole des aspirations et des revendications des Rwandaises. Dans le même temps, celles qui s’étaient exilées reviennent au pays et ­s’associent à la lutte.

Message d’union

C’est le cas de Mary Balikungeri. Persuadée que les femmes ont un rôle central à jouer, cette activiste qui travaillait en Suisse décide de rentrer. À la même époque, une délégation de représentantes de la société civile s’organise – soutenue par le Fonds de développement des Nations unies pour la femme – afin de participer à la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, qui doit se tenir à Pékin en 1995, soit un an à peine après la fin de la tragédie. « Pour organiser ce voyage, nous avons dû nous réunir et mettre de côté tout ce qui nous divisait, se rappelle Mary Balikungeri. Nous devions représenter le Rwanda en tant que nation. »

Cet activisme trouve de l’écho auprès du pouvoir en place. La formation d’un gouvernement et d’une Assemblée nationale, au mois de juillet 1994, marque le début d’une période de transition de neuf ans. Le gouvernement – présidé par Pasteur Bizimungu, puis, depuis 2000, par Paul Kagame – s’engage en faveur de l’élargissement des droits des femmes et prend des mesures concrètes pour accroître leur ­participation à la vie politique. 

Un ministère à la Primature chargé du Genre et de la Promotion de la Famille – aux contours variables depuis 1992 – est chargé des politiques en faveur de l’égalité des genres dans les différentes institutions. À l’Assemblée, une douzaine de députées, de différents partis et appartenances ethniques, fondent en 1996 le Forum des femmes rwandaises parlementaires. « L’idée est venue de douze femmes membres du Parlement de transition à cette époque historique de “renaissance” du Rwanda qui venait de subir une épreuve de destruction totale. [...] La motivation principale était ­l’unification de la voix de celles qui, auparavant, jouaient un rôle d’arrière-plan dans la sphère publique et dans la politique en particulier, par les femmes et pour leur cause », expliquait la députée Athanasie Gahondogo en 2015, lors d’une rencontre internationale des femmes parlementaires.

Le Parlement le plus féminin au monde

En 2003, le pays clôt sa transition politique en se dotant d’une nouvelle Constitution. Les organisations féminines jouent un rôle clé dans son élaboration : l’égalité des genres est garantie dès le préambule et « l’attribution d’au moins 30 % des postes aux femmes dans les instances de prise de décision » est instaurée. La Constitution établit l’Observatoire national du genre (Gender Monitoring Office) chargé, entre autres, de surveiller le respect des principes d’égalité entre les hommes et les femmes et de lutter contre les violences et les injustices sexistes. Elle institutionnalise le Conseil national des femmes, dont les missions consistent à recueillir les idées des Rwandaises, d’améliorer leur représentation dans la gouvernance du pays et de soutenir leur action pour l’égalité. 

Lors des premières élections générales post-génocide de septembre 2003, quarante-cinq femmes sont élues à la Chambre des députés et au Sénat. Elles représentent 49 % des parlementaires, à une époque où la moyenne mondiale est de 15,1 %. Aujourd’hui, le Rwanda peut se targuer d’avoir le Parlement le plus féminin du monde avec plus de 61 % de parlementaires femmes à la Chambre des député·es. Plus de la moitié des ministres sont des femmes, qui ont d’importants portefeuilles, comme l’Environnement, l’Éducation, l’Agriculture ou l’Industrie. 

Pourtant, derrière ces chiffres se cache un bilan mitigé pour la population féminine. À l’Assemblée, peu de textes ont été élaborés pour améliorer le statut ou les droits des Rwandaises. Grâce au Forum des femmes parlementaires, une loi d’envergure sur la prévention et la répression de la violence fondée sur le genre a tout de même été votée en 2008. Mais les députées ont parfois soutenu des lois ou des dispositions pénalisant les femmes, par exemple, celles sur les congés maternité ou l’accès aux terres. L’anthropologue Jennie E. Burnet rappelle que la majorité des députées sont membres du Front patriotique rwandais (FPR, parti du président Paul Kagame, régulièrement accusé de violer les droits humains2). Ainsi, ces élues « font allégeance au FPR plutôt qu’aux circonscriptions qui les ont élues ». Quant aux voix contradictoires, elles sont réduites au silence, comme l’une des principales figures de l’opposition, Victoire Ingabire (voir encadré), emprisonnée entre 2010 et 2018 « à l’issue d’un procès entaché ­d’irrégularités », selon l’ONG Human Rights Watch.

Peu d’effet pour la vie quotidienne des femmes

De nombreux·ses chercheur·euses estiment qu’au-delà de l’affichage, la participation accrue des femmes en politique n’a que peu d’effet sur la vie quotidienne des Rwandaises. « Leur leadership au niveau national a eu un impact symbolique sur les aspirations et les attentes des femmes et des filles. Mais de nombreuses personnes ont affirmé que pour les habitantes des zones reculées, les opportunités au niveau local ou du district sont plus minces », souligne l’Agence des États-Unis pour le développement international3. Pour les spécialistes Pamela Abbott et Dickson Malunda, les pratiques culturelles et sociales, empreintes d’inégalités de genre, limitent le potentiel de transformation des politiques mises en place après le génocide : « Le Rwanda reste une société profondément patriarcale, et les attitudes culturelles à l’égard des femmes demeurent négatives, surtout dans les zones rurales4. »

Malgré ce constat en demi-teinte, Mary Balikungeri, aujourd’hui à la tête de l’ONG Rwanda Women’s Network, veut rester optimiste. « C’est un cercle vertueux. Désormais, les femmes ont voix au chapitre. Plus nous parlons, plus nous comprenons les enjeux et les politiques et plus nous aspirons à vouloir intégrer les espaces où les décisions sont prises. À la fin, nous verrons le changement ! »

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© Chiara Dattola pour Causette

Victoire Ingabire

En 2010, déterminée à lutter pour la démocratisation du Rwanda et contre le président Paul Kagame, Victoire Ingabire tente de se présenter aux élections présidentielles. Mais les autorités, ne reconnaissant pas le parti d’opposition auquel elle a adhéré, les Forces démocratiques unifiées (FDU), n’acceptent pas sa candidature. Pis, l’économiste d’origine hutu est incarcérée pour ses activités « conspirationnistes » contre le gouvernement. Libérée par grâce présidentielle au bout de huit ans, elle reprend le combat. Faisant partie de celles et ceux que Kagame nomme « les ennemis du pays », Victoire Ingabire est placée sous surveillance, et régulière- ment arrêtée. Elle considère qu’il s’agit « d’actions qui visent à (la) harceler physiquement et moralement ». Mais elle ajoute : « Le mouvement que j’ai lancé pour démocratiser le Rwanda est irréversible, on ne peut pas faire marche arrière, que je sois en prison ou morte. Le FPR [parti du gouvernement, ndlr] doit comprendre ça : le Rwanda et les Rwandais ont besoin de la démocratisation. » I.M.

  1. « Promouvoir l’égalité des sexes dans les processus de décentralisation et dans la gouvernance locale. Leçons du Rwanda », International Alert, 2012.[]
  2. « Women Have Found Respect: Gender Quotas, Symbolic Representation and Female Empowerment in Rwanda », de Jennie E. Burnet. Cambridge U. P., 2011.[]
  3. Gender and social inclusion analysis report 2019, USAID/Rwanda.[]
  4. « The Promise and the Reality: Women’s Rights in Rwanda », de Pamela Abbott et Dickson Malunda. African Journal of International and Comparative Law, 2016.[]
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