Sylvia Rivera, la Rosa Parks des trans

Quand la communauté queer, gay et lesbienne de New York s’est soulevée et a lancé ce qui est devenu le mouvement « Pride », Sylvia Rivera a lutté pour y inclure les droits des minorités parmi la minorité : les trans, mais aussi les sans-abri et les personnes racisé·es. Elle fut les trois.

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Sylvia Rivera, en 1996, sur les bords de l’Hudson River, à New York. Elle s’y installe, sous des tôles de fortune, après le décès de son amie Marsha P. Johnson, en 1992. © Valérie Shaff

Sylvia Rivera aurait pu recevoir la palme de l’intrépide aux yeux de la société new-yorkaise post-années cinquante. Latino d’origine (un père portoricain et une mère vénézuélienne), sans-abri, travailleuse du sexe, drag queen, militante pour « les droits des gays » (c’est comme ça qu’on disait alors) et femme transgenre… difficile de cumuler plus de « tares ». Mais au lieu de l’abattre, son statut de marginale est devenu un carburant pour cette guillerette et infatigable activiste, à qui l’on doit le T de LGBTQI+. 

Dès l’enfance, Sylvia détonne. C’est ce qui lui vaut de devoir partir de chez elle à l’âge de… 10 ans et demi. C’était en 1961. Elle répond alors au prénom de Ray. Choix masculin, conformément au genre qui lui a été assigné à la naissance. Son père l’ayant abandonnée et sa mère s’étant suicidée, la petite Ray vit avec sa grand-mère. 

N***que la police

Malgré les réprimandes de sa mamie, qui rêve d’en faire un futur mécanicien, Ray se pomponne et se voit coiffeuse. Un jour, « ma grand-mère est rentrée en pleurs, raconte Sylvia, en me disant : “Dehors, ils te traitent de ‘pato’”, c’est-à-dire “pédé” en espagnol. » C’en est trop. L’enfant tente de se suicider. Peu après son retour de l’hôpital, Ray s’enfuit.

Elle trouve refuge dans les allées d’un parc de la ville. Pour survivre, elle se prostitue. C’est là qu’une communauté de drag queens la recueille. Elles la baptisent Sylvia. Débute alors une vie d’adolescente rythmée par les allers-­retours en prison pour prostitution, pendant laquelle s’affirme sa trempe. Bien que placée en cellule « hommes », Sylvia déconne et rend les gardes à vue de ses codétenus plus « fun », rapporte l’un d’entre eux. Lorsqu’un policier lui demande : « Où caches-tu ton salami ? », elle est du genre à rétorquer… « dans ton cul ! »

Le 28 juin 1969, Sylvia sort pour la première fois dans un célèbre bar queer de Greenwich Village, le Stonewall Inn. Elle a 18 ans. Comme tous les lieux estampillés « gay » à New York, l’établissement subit les descentes régulières de la police, qui vide le pub et exige des pots-de-vin pour éviter les arrestations. Coup du destin (ou pas), ce soir-là, la communauté se rebelle. On lance des pièces, des bouteilles, des pierres à la figure des policiers… Sylvia bouillonne « de voir la révolution » se faire. Certaines sources affirment que c’est elle qui a jeté le premier projectile. 

Radicalement intersectionnelle

À la demande d’un membre du Gay Liberation Front, Sylvia s’engage ensuite dans la lutte gay et participe à son premier sit-in. Elle ne rigole pas. Avec ses ami·es de la rue, dont sa comparse Marsha P. Johnson, femme noire transgenre, Sylvia le tient trois jours non-stop. Mais le duo ne trouve pas de résonnance dans le milieu. À l’époque, on se bat pour les gays et les lesbiennes. Tout ce qui sort de cette catégorie est invisible. Alors, dans la foulée, les deux acolytes fondent le Street Transvestite Action Revolutionaries (Star). Une asso de défense des trans et jeunes LGBTQI+ sans abri, souvent racisé·es, qui sert aussi plus ou moins de foyer d’accueil. « On s’est installées dans un bâtiment qui n’était rien d’autre qu’un bidonville… Mais au moins, on essayait d’aider. On gagnait de l’argent sur le trottoir pour que les gosses qu’on recueillait ne s’y retrouvent pas. » 

En parallèle, la cause avance à petits pas. On se met à fêter l’anniversaire des émeutes de Stonewall – commémoration devenue la Gay Pride d’aujour­d’hui. Et le Conseil de New York travaille, en 1971, sur une déclaration des droits gays. À coups de pétitions et de manifs, Sylvia se décarcasse pour y inclure la protection des personnes trans et des drag queens. Pendant le débat à huis clos, elle tente – en toute sobriété – de rentrer par la fenêtre « en robe et talons hauts ». Elle est arrêtée. Et le texte n’intègre aucune mention inclusive.

Deux ans plus tard, lors de la manif pour l’anniversaire de Stonewall, Sylvia refait des siennes. Il y a une scène où s’enchaînent les speechs. « Toute la journée », elle insiste pour y accéder. Mais – amère métaphore – on lui refuse la parole. Elle fait du forcing et finit par monter. Quand elle apparaît, on la hue. Dans une combi moulante et un carré wavy, elle interpelle la foule en hurlant au micro : « Avez-vous déjà été battu·es et violé·es ? Moi j’ai été violée et battue. Par de nombreux hommes. J’ai eu le nez cassé, j’ai perdu mon travail, j’ai perdu mon appartement pour la libération de la cause gay. Et c’est comme ça que vous me traitez ? » Elle exhorte la masse à inclure les « frères et sœurs gays » oublié·es de la lutte : les personnes trans, racisé·es ou sans abri, victimes, comme elle, de double, triple, voire quadruple, peine. Elle rappelle à son public qu’il est composé de la « classe moyenne blanche » dominante. Et de ponctuer « Révolution, maintenant ! GAY POWERRRRRR ! » Quand elle descend, on l’acclame.

Ce coup d’éclat est l’image qu’il reste de Sylvia. Son fait d’armes principal, qui a planté les graines de l’intersectionnalité dans le mouvement LGBTQI+ et changé les consciences. Celui qui lui valut un bâtiment commémoratif érigé à son nom et à celui de Marsha à New York, en 2019.

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En 1973, lors de la manif pour l’anniversaire de Stonewall, Sylvia Rivera fait le forcing pour prendre la parole. Elle est acclamée à la fin de son speech. © William Hood
La cause trans jusqu’au bout

Les années suivantes, la vie de Sylvia est polluée par des soucis d’argent et surtout d’alcool. Lorsqu’en 1992, Marsha est retrouvée morte dans l’Hudson River (les autorités évoquent un suicide, mais aucun·e de ses proches n’y croit…), Sylvia s’effondre. Elle « s’installe » avec quelques camarades de Star sur les bords du fleuve, sous des tôles de fortune. Il faut une histoire d’amour – avec une certaine Julia – pour la remettre sur les routes de l’activisme. Elle œuvre pour les victimes du sida, devient responsable de l’aide alimentaire d’une église et persuade l’une des sœurs de militer pour la cause trans. 

Alors qu’elle est à l’hôpital, malade d’un cancer, elle continue – infatigable – de recevoir des représentants politiques pour les convaincre d’inclure les droits des trans dans un nouveau texte pro-gay débattu à New York. Elle obtient de faire siéger des personnes trans dans le conseil délibératif. Sylvia meurt des suites de sa maladie en 2002, à 50 ans. Ses héritiers s’en souviennent comme d’une « Rosa Parks des trans ». À un journaliste, elle résumait sa philosophie en trois mois : « Je sais l’ouvrir. » 

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