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Portrait de Sohane Benziane

Il y a vingt ans, Sohane Benziane, 17 ans, était brû­lée vive au nom d'une riva­li­té masculine

Un hommage sera rendu à Sohane ce soir, à Vitry-sur-Seine, à l'endroit où une plaque commémorative rappelle ce féminicide qui avait suscité l'effroi à l'échelle nationale et une véritable prise de conscience des violences faites aux femmes.

Ce mardi à 18h, Assia Benziane se rendra devant la plaque en hommage à Sohane Benziane sans son écharpe d'élue mais en tant que membre de la famille. Cousine de celle qui a été brûlée vive le 4 octobre 2002, l'adjointe municipale chargée des droits des femmes à Fontenay-sous-Bois dans le Val-de-Marne, n'aura qu'à traverser la Seine pour rejoindre Vitry-sur-Seine, un peu plus au sud du département. Une épreuve, comme chaque année depuis dix ans qu'Assia Benziane s'y rend, mais aussi une nécessité, glisse-t-elle à Causette, « pour que personne n'oublie Sohane ». Il y a vingt ans jour pour jour, Jamal Derrar, 22 ans, conduisait l'adolescente de 17 ans dans un local à poubelles de la cité Balzac de Vitry, l'arrosait d'essence et mettait le feu à l'aide d'un briquet devant deux amies de Sohane.

Ce meurtre n'est à l'époque pas nommé féminicide, le terme n'étant pas encore utilisé. « Mais ç'en est un sans conteste, ressitue Assia Benziane, même si aujourd'hui en France, on utilise le mot pour décrire un meurtre conjugal. » Dans l'acception large de la notion de féminicide - meurtre d'une femme en raison de son genre - l'immolation de Sohane intègre la définition : Jamal Derrar s'en prend à Sohane Benziane pour laver son honneur et se venger du petit-ami de la jeune fille, Issa, dont il est le rival.

Une marche nationale d'un mois

Quoi qu'il en soit, l'affaire provoque l'effroi à l'échelle nationale. En février 2003, des milliers de personnes rejoignent la « marche des femmes des quartiers contre les ghettos et pour l’égalité », organisée par 4 filles et 2 garçons, qui traverse 23 villes de France et débouche sur d'importantes manifestations sur l'ensemble du territoire le 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Rien qu'à Paris, ils et elles sont 30 000 à rendre hommage à Sohane Benziane et à exiger « plus jamais ça ». « Comme je n'avais que 14 ans, ma mère m'a protégée et je ne suis pas allée manifester, se souvient aujourd'hui Assia Benzian. Mais j'en garde un souvenir très fort, et ma première prise de conscience que nous ne vivions pas dans un monde égalitaire. Les gens étaient pris de sidération, parce que ce qui s'était passé avec Sohane était alors inimaginable en France. »

Le supplice n'avait pas été que physique, comme avaient témoigné Monia et Isabelle à la barre de la cour d'assises du Val-de-Marne en 2006. « Jamal Derrar "voulait lui faire peur pour qu'elle ne revienne plus. Il était énervé", raconte [alors Monia], selon cet article du Monde. Sohane disait qu'elle "n'allait plus revenir, mais il l'a arrosée d'essence. Elle a voulu s'enfuir, elle disait 'pitié, arrête'. Elle criait. Elle pleurait. Il lui a fait une balayette. Elle s'est relevée, m'a agrippée. C'est là qu'il a sorti le briquet". Jamal Derrar "approchait et reculait la flamme", elle disait "pitié, arrête. Et puis Sohane a pris feu d'un coup", termine Isabelle. »

25 ans de réclusion

Jamal Derrar est condamné à 25 ans de réclusion pour « actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Son complice, Tony Rocca, qui a tenu close la porte du local à poubelle pour ne pas que Sohane s'échappe, à 8 ans, mais il fait appel. En deuxième instance, en 2007, il voit sa peine alourdie à 10 ans.

Dans le sillage de la colère suscitée par le féminicide de Sohane, Fadela Amara, militante féministe et anti-raciste, créé l'association Ni putes ni soumises pour lutter contre l'oppression des femmes dans les quartiers. « Ce sursaut féministe et cette indignation collective a porté notre famille, observe Assia Benziane. J'aurais aimé qu'il en soit de même pour les femmes brûlées vives, comme Sohane, par la suite : Shaïna Hansye en 2019, Chahinez Daoud en 2021. » Sur les raisons qui expliquent que ça n'ait pas été le cas, l'élue municipale évoque un « trop plein d’informations qui font qu'on passe d’un sujet à un autre trop vite mais aussi, encore et toujours une complaisance avec les violences faites aux femmes ». Celle qui a mis du temps à se rendre compte que le meurtre de sa cousine avait été le moteur principal de son engagement féministe s'interroge sur les avancées menées en vingt ans : « D'un côté, il y a eu #MeToo. De l'autre, on est toujours en train de se demander si une gifle d'un homme envers sa compagne est si grave que ça. »

Plaque profanée

Symbole de l'ultra violence des hommes sur les femmes, la mort de Sohane Benziane sera commémorée mardi 18h à Vitry, devant la plaque qui rappelle le souvenir de l'adolescente et sur laquelle il est inscrit : « A la mémoire de Sohane, pour que les garçons et les filles vivent mieux ensemble dans l'égalité et le respect, Sohane 1984 - 2002. » D'apparence consensuelle, cette plaque fut l'occasion d'un nouvel outrage pour la famille Benziane. Plusieurs fois profanée par des inscriptions injurieuses, elle fut déplacée au cimetière Montparnasse à Paris avant de retrouver sa place le 4 octobre 2005 aux pieds de la tour où vivait Sohane. Assia Benziane, qui se souvient de sa cousine comme d'une jeune fille « pétillante, disponible et douce » reste très marquée par ces profanations. Aujourd'hui, alors que, selon leurs informations, Jamal Derrar serait sorti de prison l'année dernière, c'est elle que les sœurs de Sohane ont chargée de prend la parole pour l'ensemble de la famille.

Aux côtés du cercle familial, c'est un assemblage politique hétéroclite qui se réuniera à la mémoire de l'adolescente. Sont attendu·es la ministre chargée de l'Égalité Isabelle Rome, sa prédécesseure, aujourd'hui secrétaire d’État chargé de l'Économie sociale et solidaire et de la Vie associative, Marlène Schiappa, mais aussi l'actuel maire de Vitry Jean-Claude Kenedy (PCF) ou Francis Szpiner, maire Les Républicains du XVIème arrondissement de Paris et avocat de la famille Benziane. « Eux comme d'autres ont été des soutiens précieux à ma famille pour traverser tout cela », dit avec pudeur Assia Benziane.

Engagement

Elle-même élue sur la liste Fontenay en commun, proche de la Nupes, elle s'est donné pour responsabilité, dès la fin de son adolescence, de lutter pour les droits des femmes. Cela a commencé par la création d'une école associative pour l'éducation des Algériennes à l'occasion d'un séjour dans sa famille peu après le meurtre de Sohane. Aujourd'hui, cela passe par un combat de pointe à Fontenay. Elle énumère : « Nous avons formé l'ensemble des personnels en contact avec le public à l'accueil des femmes victimes, tout le monde chez nous a la même fiche de liaison pour repérer et accompagner. Nous avons créé l'observatoire municipal des violences faites aux femmes, mais aussi un poste d'intervenant social dans le commissariat pour gérer l'aspect pratique de la mise sous protection des femmes victimes. Nous avons des appartements relai, des places d'urgence, et mis en place un critère de priorité pour l'obtention d'un logement social. Nos centres municipaux de santé pratiquent des IVG. » Et ajoute dans un sourire : « J'ai même initié l'écriture inclusive dans la rédaction de nos communications, même si cela m'a coûté quelques critiques au début. » Ce travail de fond, c'est peut-être le plus bel hommage qu'Assia pouvait rendre à Sohane.

Lire aussi l Féminicide de Shaïna Hansye : un grand cœur assassiné

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