Coaching pri­vé pour bien winner

Bien sûr, ce n’est pas aux femmes de changer pour se sentir plus à l’aise au travail. Mais d’ici à ce que la société évolue enfin, on peut compter sur quelques astuces pour se libérer du syndrome d’imposture. Jessica Bennett, journaliste spécialiste du genre au New York Times et autrice du Manuel de survie à l’usage des working girls, a accepté d’être notre coach en confiance au boulot.

119 SYNDROME DE L IMPOSTEUR 6 © Camille Besse
© Besse

Se défendre avec tact

En cas de manterrupting, Jessica Bennett suggère très simplement de ne pas s’arrêter de parler ou d’ajouter : « Je n’avais pas fini, laissez-moi une seconde. » Si quelqu’un s’approprie notre idée, ponctuer l’échange par « Merci d’appuyer ma proposition » pour rappeler que nous en sommes l’initiatrice. Si on nous demande de faire des photocopies ou de prendre des notes pendant une réunion, expliquer que cela revient à mettre une femme en position de subordination, qui vous empêche mécaniquement de vous exprimer (conseil de Katharine O’Brien, psychologue du travail, précise Jessica Bennett). Elle ajoute un autre exemple pour ne pas sentir pointer le sentiment d’imposture en cas de négociation salariale, celui d’une amie qui, avant chaque négociation de salaire ou autre, annonce d’emblée : « Les recherches prouvent que vous me trouverez moins sympathique après cette négociation. Maintenant que c’est dit, on peut démarrer. » Elle explique : « Personne n’a envie d’être biaisé. Donc, si vous exposez des données scientifiques précises, ça peut être perçu comme un effort pédagogique objectif qui apporte quelque chose, alors que si vous accusez la personne de vous avoir diminuée après coup, cela peut sembler agressif et personnel. Je cite souvent des études qui démontrent l’argument que je veux soutenir ! »
Enfin, technique imparable de notre journaliste : le test QFJ (« Que ferait Josh ? »). « Quand je n’ose pas réclamer quelque chose, je me demande comment le plus médiocre des vieux hommes blancs hyper sûr de lui se comporterait dans cette situation et je fais l’équilibre entre ma position initiale et la sienne. » Trois lettres desquelles se souvenir au prochain entretien annuel.

Adopter le discours d’une reine

« Après avoir étudié 185 présentations faites pour lever des fonds […], Lakshmi Balachandra, étudiante de troisième cycle au Boston College, a établi qu’“être calme”, “regarder dans les yeux” et “se comporter avec aisance” contribuait davantage à obtenir les financements que le contenu des présentations », relate Jessica Bennett dans son livre. Conclusion : devenir une queen de la com non verbale peut permettre d’être davantage prise au sérieux et donc nous aider à gagner en confiance. En réunion, se pencher en avant, mettre la main sur la table, se tenir droite, parler très lentement et brièvement – « Parlez en 140 caractères » comme sur Twitter, plaisante-t-elle – ou s’armer d’« accessoires qui vous empêcheront de vous agiter quand vous parlez : un stylo, une tasse… » Elle suggère aussi de « s’asseoir le plus près possible de l’endroit où les décisions sont prises plutôt qu’au fond de la salle » ou de « désigner les gens du doigt » quand on les mentionne. « C’est plus compliqué en visioconf, avec le télétravail, mais certaines femmes m’ont raconté qu’elles avaient remarqué que les hommes se plaçaient plus proches de leur Webcam. » Ne les laissons pas s’étaler jusque dans nos écrans, visiowomanspreadons !

Se mettre aux “power poses”

Dans son TED Talk sur notre langage corporel, Amy Cuddy, psychologue et professeure à Harvard, donne LE conseil de rêve s’il en est un : une posture qui, faite pendant « deux minutes » avant une prise de parole stressante, « provoque des changements hormonaux qui configurent votre cerveau pour être affirmée, confiante et à l’aise ». Vous voyez l’image d’Épinal de Wonder Woman, mains sur les hanches, jambes écartées, regard au loin ? Il s’agit de la « power pose » de base. Les travaux d’Amy Cuddy et son équipe montrent que si on imite ce genre de posture expansive pendant deux minutes, notre niveau de testostérone, « hormone de la domination » [et donc, de la confiance en soi, ndlr], augmente de 20 %, là où le cortisol, « hormone du stress », diminue de 25 %. Jessica Bennett s’est servie des power poses « de très nombreuses fois ». Que ce soit en mode sororité « juste avant de passer sur scène lors d’une conférence, avec une autre intervenante, dans les toilettes » ou même « avant une terrible rupture », confie-t-elle. « Certaines études ont remis en cause cette recherche, précise-t-elle, et il y a probablement une part d’effet placebo, mais ça me fait effectivement me sentir mieux ! »

Compter sur ses collègues

Souvent, relate Jessica Bennett, citant plusieurs études, les hommes viennent un peu avant les réunions et restent après pour discuter. Comme s’ils créaient une zone de négociation (et donc de pouvoir) informelle. Eh bien, nous enjoint-elle, rejoignons-les ! Connaître les infos qui circulent dans ces lieux peut aider à se sentir plus légitime et à faire peser sa voix. Pareil pour les afterworks, souligne-t-elle. Sinon, Melissa Ziani, coautrice d’une recherche sociologique sur le syndrome d’imposture au Canada (lire aussi page 28), suggère de copier la pratique américaine du mentorat. « Proposer un café à tel ou telle collègue qui a déjà occupé nos fonctions permet de s’inspirer de ses méthodes et de mettre des mots sur nos émotions face à notre travail quotidien. On peut aussi trouver un parrain ou une marraine. » Leur poser des questions amène à désacraliser le taf tout en se forgeant un·e allié·e.

Se créer un kit antido[u]te

« Dès que je reçois le message d’un ou d’une cheffe, collègue ou lecteur qui salue mon travail, raconte Jessica Bennett, je l’enregistre dans un dossier spécial que j’ai créé dans ma boîte mail. Je l’ai appelé “Fun/gentil”. C’est tout bête, mais ça fait du bien de savoir que je peux le consulter dans les moments où j’ai l’impression d’être nulle. » De même, faire la liste de nos avancées concrètes (« Consignez vos exploits », dit-elle) chaque fin de journée/semaine/mois permet de réaliser tout ce que l’on a accompli et que l’on a tendance à minimiser. À ajouter dans ce package de confiance en soi : un coin dans notre téléphone empli de photos de femmes qu’on admire. « Certaines recherches disent que c’est efficace, poursuit Jessica Bennett. Perso, mes role-models sont plutôt des amies ou des collègues. Elles ne donnent pas forcément de TED Talks, mais elles ont une sagesse incroyable, et les regarder évoluer depuis plusieurs années m’aide autant. » Sinon, se mettre à lire des biographies ou des autobiographies « permet de se dire que même les personnes qu’on idéalise ont pu ressentir le syndrome d’imposture. Tu réalises que ça n’est pas que toi ».

Devenir stratèges du verbe

Certains choix de vocabulaire nous effacent. D’autres rappellent notre professionnalisme à nos interlocuteurs·rices et à nous-mêmes. Si on propose quelque chose, cela peut passer par se mettre en position d’actrice (« Je suggère… ») plutôt que diluer notre idée (« Je me demandais si on pourrait… »). Dans son livre, Jessica Bennett suggère, justement, de reprendre le champ lexical sportif (« dribbler », « mouiller le maillot », « marquer un essai »). C’est s’immiscer dans un terrain sémantique jugé masculin et fort. De même, supprimer les adjectifs attendrissants ou diminuants (« sympa », « gentil·le », « serviable ») pour des termes neutres (« indépendant·e », « juste », « assertif·ve ») et bannir le registre de l’émotion (passer de « Je ne suis pas fâchée » alors qu’on fait du boudin à « Je suis préoccupée parce que [insérer un fait] »). Et supprimer les « mots béquilles utilisés pour adoucir ce que l’on dit » (comme « en fait », « euuuh », « il semblerait que… », « j’ai l’impression que »…). Pour cela, Jessica Bennett a un secret : le test du Pepsi. « C’est Bill Hoogterp, un coach du discours, qui me l’a appris. On discutait et dès que j’employais un mot inutile, il versait de l’eau dans un verre de Pepsi. C’est une métaphore impressionnante pour réaliser à quel point on noie nos discours en dix minutes seulement. Si personne n’est là pour le faire, on peut se coller du Scotch sur la main et tirer dessus dès qu’on utilise une de ces expressions. » Enfin, quand on nous complimente, répondre « Merci » et RIEN DE PLUS. Pas de « C’est Harold qui a fait le gros du travail », « Ce n’était pas grand-chose » ou « J’ai eu de la chance ». Changement facile et « radical », promet Jessica Bennett.

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