Sandrine Ngatchou
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Don de gamètes pour les femmes raci­sées : le com­bat de Sandrine Ngatchou

Son parcours tumultueux pour devenir maman l’a conduite à militer pour un réel accès à la PMA pour les femmes racisées en France. Bien qu’elle ait renoncé elle-même à la maternité, à 38 ans, Sandrine Ngatchou continue de se battre pour sensibiliser les communautés non blanches à faire don de gamètes, qui manquent cruellement en France.

« La PMA pour toutes, enfin ! J’ai envie de dire », s’exclame-t-elle. L’annonce de la publication du décret de la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes, le 29 septembre, est une très bonne nouvelle pour Sandrine Ngatchou. Même si elle n’en profitera pas, elle se réjouit qu’aucune autre femme n’ait à subir les humiliations qu’elle a vécues pendant son parcours. « Mon compagnon de l’époque avec qui je portais ce projet d’avoir un enfant était souvent absent, je me pliais en quatre pour qu’il accepte de venir aux rendez-vous, explique-t-elle. Et quand il n’était pas là, je devais constamment prouver que je n’étais pas célibataire ou dans un couple homosexuel. » Mais il ne s’agit que d’un obstacle parmi la douzaine que la Franco-Camerounaise a dû affronter pendant sa tentative de PMA.

Des violences subies de tous les côtés 

Attablée en terrasse, cour Saint-Émilion, dans le XIIe arrondissement de Paris, Sandrine Ngatchou sort tout juste du travail. Sa tenue en wax, un tissu africain, ainsi que la couronne qui habille son afro concordent. Elle présente un large sourire. Pour l’ingénieure en cybersécurité de 38 ans, raconter son histoire est un devenu un plaisir. « Étant moi-même une personne infertile, je trouve qu’on parle mieux d’une cause quand on est concerné. » Elle prend le temps en fin de journée pour témoigner, parce que l’infertilité et les dons d’ovocytes, plus précisément ceux des femmes racisées, sont devenus les combats de sa vie.

En 2014, de fortes douleurs pendant les règles la poussent à consulter un gynécologue. On lui diagnostique un utérus polyfibromateux, une tumeur bénigne qui se développe sur l’utérus et ses tissus fibreux. Cette maladie peu connue est en fait très répandue chez les femmes noires. Une étude de l’université de Bordeaux montre qu’elles représentent 50 % des femmes touchées par cette maladie qui peut être d’origine génétique, hormonale ou environnementale. Pourtant, c’est la première fois que Sandrine Ngatchou entend parler de cette pathologie. Elle comprend que si elle veut un enfant, c’est maintenant, avant que la situation se dégrade, et entame donc un processus de PMA avec fécondation in vitro. Mais en 2015, après de multiples rendez-vous avec différents médecins, elle apprend que ses ovocytes ne sont plus viables. En clair, alors qu’elle n’a que 32 ans, le médecin lui annonce que ses ovaires sont « ceux d’une femme de 45 ans ». Les FIV ne pourront pas marcher.

« Chez nous, on ne parle jamais de sexualité et encore moins d'infertilité »

Sandrine Ngatchou

Pour elle, plus question de stimuler ses propres ovocytes. La seule solution, c’est le don. Commence alors une longue et douloureuse aventure où elle investit des milliers d’euros dans l’espoir de devenir mère. Lorsqu’elle se remémore ses consultations médicales, un souvenir lui revient. « La médecin m’a dit direct de partir en Espagne ou ailleurs parce qu’en France il n’y a pas de phénotypes noirs disponibles dans les Cecos [Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains, ndlr], raconte-t-elle. Le rendez-vous a été expéditif. Je venais à peine d’apprendre ma maladie qu’on me demandait d’aller à l’étranger, j’étais perdue. »

À la recherche de personnes qui la comprendraient, Sandrine Ngatchou se met à naviguer sur les forums. Elle se rend vite compte qu’elle est loin d’être la seule femme noire dans ce cas. Et se demande pourquoi, si cette maladie qui rend infertile est tant répandue chez les femmes noires, elle n’en a jamais entendu parler. Pour elle, la raison est assez claire : « Chez nous, on ne parle jamais de sexualité et encore moins de d’infertilité. » Ce constat-là lui donne envie de mettre un coup de pied dans la fourmilière.

Un investissement total pour la cause

En parallèle de son parcours de PMA, Sandrine Ngatchou décide de raconter son histoire sur les réseaux sociaux. Elle ouvre, en 2016, une chaîne YouTube, Ovocytemoi, ainsi qu’un compte Facebook où elle raconte les obstacles à son désir d’enfant. Comme un exutoire, elle met en vidéo ses souffrances et les difficultés qu’elle rencontre depuis des années. Progressivement, le contenu se diversifie avec des invitées, pour la plupart des femmes qui ont fait un don d’ovocytes et qui témoignent. Dans sa dernière vidéo, elle interroge par exemple une jeune femme de 21 ans qui a fait un don d’ovocyte récemment. Tout au long de l’entretien, Sandrine semble intriguée, mais très heureuse d’entendre le témoignage de cette étudiante. « Ma première question pour toi : qu’est-ce qui t’a pris ?! Comment t’en es arrivée à faire un don à ton jeune âge ? » demande-t-elle avec un large sourire.

Son étonnement s’explique pour plusieurs raisons. En France, le don d’ovocytes est encore assez rare. Pour des raisons de ressemblance entre la mère et l’enfant, les Cecos ont pour pratique de proposer à une femme racisée un gamète correspondant à son phénotype. C’est ce qu’on appelle l’appariement. Or, si le délai d’attente pour un ovocyte de phénotype blanc est, selon l’Agence de la biomédecine, de six mois à cinq ans, il peut aller jusqu’à dix ans pour les phénotypes non blancs – une éternité pour les couples qui ont un désir d’enfant. Lorsque Sandrine s’est inscrite au Cecos de Schiltigheim, dans le Bas-Rhin, on lui a expliqué d’emblée que la dernière fois qu’ils ont vu une femme noire passer la porte de l’établissement remonte à huit ans. De fait, Sandrine Ngatchou comprend très vite qu’il y a un réel travail de sensibilisation à faire au sein de la communauté noire pour les inciter à donner leurs gamètes. Pour ce faire, elle lance sa chaîne YouTube et, très vite, crée l’association Utasa, qui poursuit le même but. En accompagnement du blog de l’asso, Sandrine intervient dans des festivals communautaires et distribue des tracts dans la rue. En bref, elle se donne à fond et investit son propre argent dans cette cause. Marie-Anne est amie avec Sandrine Ngatchou depuis plusieurs années. Pour elle, son investissement militant pour la cause des femmes racisées infertiles ne l’étonne pas. « La Sandrine que vous voyez dans les vidéos ou en interview, c’est exactement la même dans la vie privée, témoigne-t-elle. Elle est authentique et à 100 % tout le temps. » Et ce ne sont pas les remarques désobligeantes et sexistes d’internautes ou de passant·es qui l’arrêtent. « Une fois, je distribuais des tracs dans la rue et un homme m’a dit qu’un rapport sexuel avec lui me rendrait de fertile, raconte-t-elle. J’ai appris à ne plus faire attention. »

« Je pense que l’appariement est un faux débat »

Sandrine Ngatchou

En juin dernier, lors de la promulgation du projet de loi bioéthique qui donne accès à la PMA aux femmes seules ainsi qu’aux couples de femmes, Sandrine Ngatchou se retrouve en opposition avec Pierrette Pyram, présidente de Diivineslgbtqi+. L’association militante pour les femmes afro-caribéennes souhaitait que la loi interdise l’appariement. En effet, pour Diivineslgbtqi+, la recherche d’un gamète correspondant au phénotype des femmes racisées complique énormément l’accès de ces femmes au don. Mais pour Sandrine Ngatchou, c’est un faux problème. « Avec Pierrette, on en a beaucoup parlé, mais je pense que l’appariement est un faux débat, avance-t-elle. La majorité des femmes noires que j’ai rencontrées veulent absolument un phénotype noir. » Selon Sandrine, le problème principal se situe à l’intérieur même de la communauté : le manque d’information et de sensibilisation.

Lever un tabou dans la communauté noire


Lorsqu’elle lance sa chaîne YouTube, Sandrine Ngatchou est toujours dans son parcours de PMA. Sa relation s’est fortement dégradée, le couple ne s’entend plus, celui qui est aujourd’hui son ex-compagnon accepte de moins en moins son infertilité. Tout part d’une opportunité professionnelle : « J’ai eu une grosse opportunité à Marseille. Alors j’ai demandé à mon copain de me suivre dans le Sud. Il s’est brusqué direct : comment pouvais-je oser lui demander une chose pareille ? Je n’étais même pas capable de lui donner un enfant. » Commencent alors les réflexions, puis les tensions, jusqu’au point de non-retour lorsqu’il bat la jeune femme après une dispute. Un moment qui la marque à jamais. D’une nature forte et indépendante, la voilà en pleine crise existentielle. Obligée de consulter une psychologue pour survivre. « Grâce à la psychologue, j’ai pu prendre du recul et avancer. Je pense que c’est ce qui m’a permis d’être la personne engagée que je suis aujourd’hui. » Sandrine Ngatchou quitte cet homme violent.

« L’infertilité se vit vraiment seule quand on est une femme noire »

Sandrine Ngatchou

À travers son engagement, Sandrine Ngatchou cherche aussi lutter contre le fort rejet des femmes noires infertiles au sein de leur communauté. « L’infertilité se vit vraiment seule quand on est une femme noire. Tout d’un coup, on devient comme obsolète pour notre communauté, c’est très dur. » Tout au long de son parcours, c’est le traitement qu’elle a subi de la part de son ex-compagnon, mais aussi d’autres personnes de son entourage, qui l’a le plus marquée. « Quand ma mère a appris que j’ai été frappée, elle m’a répondu : “Au moins, il t’a acceptée avec ton infertilité”, raconte-t-elle. Même si aujourd’hui nos relations sont bonnes, cette phrase reste. »

La jeune femme continuera son projet de PMA avec un nouveau compagnon, en décidant d’accepter un don de gamète ne correspondant pas à son phénotype. Mais en 2018, elle décide d’arrêter son parcours et d’abandonner son projet de grossesse. Au final, devenir maman n’était pas son rêve, il s’agissait plutôt d’une injonction de la société. « Avec le recul, je me suis dit que je n’étais pas prête à déverser autant d’argent dans un projet qui, finalement, ne m’a jamais intéressée. »

Mais son combat pour plus d’égalité dans le don de gamètes ne s’arrête pas pour autant. Pour son amie Marie-Anne, rien d’étonnant dans la détermination altruiste de Sandrine : « Une fois sortie du parcours de PMA, son investissement s’est intensifié. Je pense qu’à ce moment-là, on a retrouvé la “vraie” Sandrine, forte et indépendante ». En plus de ses réseaux, elle s’exprime dans les médias à chaque fois qu’elle en a la possibilité et n’hésite pas à donner des conseils à l’Agence de la biomédecine pour une meilleure communication. En janvier, l’agence lance une campagne de promotion du don de gamètes auprès des personnes racisées avec la réalisatrice et militante afro-féministe Amandine Gay, mais pour Sandrine Ngatchou, ce n’est pas assez. « Si on veut toucher les jeunes, il faut aller vers les influenceuses, celles qu’elles suivent au quotidien. » Consciente que le combat sera difficile à mener toute seule, elle souhaiterait que d’autres la rejoignent pour donner plus de poids à cette cause. « Quand je me rendais dans les cliniques, les Cecos, je voyais bien qu’on était des femmes noires. J’aimerais beaucoup qu’elles se joignent à moi, la porte est ouverte de mon côté ! »

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